Droit d'auteur·e et matériel pédagogique au Sénégal
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Le droit d'auteur·e accorde aux auteur·e·s un contrôle exclusif sur leurs œuvres, mais dans l’éducation, l’équilibre entre l’accès à l’information et le respect des droits d’auteur·e est un défi majeur. Il est essentiel de garantir un accès équitable aux savoirs protégés tout en préservant les droits des artistes et auteur·e·s. C’est dans ce contexte que nous avons mené une étude concluant à une nécessaire adaptation de la législation sénégalaise dans le but de faciliter l'exercice des activités d’enseignement et de recherche.
Au Sénégal, la Société Sénégalaise du Droit d'Auteur et des droits Voisins (SODAV) définit le droit d'auteur·e « comme l’ensemble des droits que les lois nationales accordent aux auteurs sur leurs œuvres dans les domaines littéraires et artistiques » (SODAV, s. d.). Deux principes fondamentaux régissent les droits d'auteur·e : le droit moral (inaliénable et imprescriptible) et le droit patrimonial (limité dans le temps).
L'utilisation du matériel pédagogique protégé par le droit d'auteur·e pose plusieurs problèmes juridiques liés à ses formes d’usage. Ainsi, il existe diverses exceptions qui permettent son utilisation dans l’éducation et garantissent une utilisation sans risque. Nous savons que l'apprentissage et l'enseignement sont étroitement liés et le matériel pédagogique jouent un rôle essentiel dans ce processus en contribuant à la production de connaissances, à la qualité de l'enseignement et des performances scolaires (Mbodj, 2021 ; UNESCO, 2016; UNICEF Innocenti Research Centre, 2017). Cependant, des obstacles limitent l'accès aux matériels pédagogiques, soulevant des questions sur l'équité et les responsabilités légales liées à leur utilisation.
Les pays en développement font ainsi face à divers défis juridiques puisqu’ils ne réunissent pas toutes les conditions garantissant aux personnels de l’éducation l’accès et l’utilisation du matériel pédagogique sans s’exposer à la loi. En Europe et aux Etats-Unis, le dispositif juridique prévoit des assouplissements tels que la notion d’exception pédagogique (Protocole d’accord sur l’utilisation et la reproduction des livres, des œuvres musicales éditées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche, 2016) ou la Fair Use Doctrine (Copyright Law of the United States, s. d.) qui autorisent une copie limitée d'œuvres protégées par le droit d'auteur·e à des fins pédagogiques et de recherche sans l'autorisation du propriétaire.
Notre recherche comble un manque de données sur le matériel pédagogique et les défis liés au droit d'auteur·e au Sénégal. Il s’agissait d’examiner la législation sur le droit d'auteur, l'identification du matériel pédagogique utilisé, l'analyse des défis rencontrés par les personnels enseignants pour accéder au matériel protégé par le droit d'auteur·e, et l'évaluation de l'impact de ces défis sur l'éducation au Sénégal.
La recherche s’est basée tout d’abord sur une analyse documentaire pour examiner la législation sur le droit d'auteur·e au Sénégal et comprendre les défis liés à l'utilisation du matériel pédagogique protégé. Ensuite, des questionnaires en ligne ont été administrés à 267 enseignantes et enseignants (niveaux élémentaires, moyens-secondaire et université) dans les 14 régions du Sénégal en zone urbaine et rurale. Ensuite, des groupes de discussion ont été organisés avec 14 enseignantes et enseignants (7 à l’élémentaire et 7 au moyen-secondaire, dont 6 sont en situation de handicap) et ont permis d’explorer leur expérience en matière d'accès, de stratégies, de défis d'utilisation et compréhension du matériel pédagogique protégé.
Ce qu’il en ressort, c’est qu’au Sénégal, la législation sur le droit d'auteur·e (datant de 1973 et 2008) doit être ajustée au regard des normes internationales concernant les exceptions éducatives, particulièrement concernant les ressources numériques. La loi de 2008 comporte certaines exceptions mais, elles ne prennent pas en compte les réalités numériques et les besoins éducatifs actuels vis-à-vis du numérique et de l'accès pour les personnes en situation de handicap.
Le type de matériel d'enseignement utilisé diffère selon les niveaux d'enseignement. Des dotations fréquentes en matériels et ressources pédagogiques imprimées sont faites aux établissements, particulièrement au niveau élémentaire et moyen-secondaire en zone urbaine et rurale. Par ailleurs, des supports imprimés protégés par le droit d'auteur·e, tels que les manuels commerciaux et les fiches pédagogiques, sont également utilisés dans ces niveaux. L'utilisation de matériels pédagogiques numériques est moins répandue, sauf pour les personnels enseignants du supérieur qui l’utilisent davantage, même si cela varie en fonction de la nature ouverte ou protégée de ces ressources. Concernant les enseignantes et enseignants en situation de handicap, leurs activités pédagogiques dépendent souvent d'équipements spécialisés qui ne sont pas toujours disponibles ou obsolètes.
Par ailleurs, la recherche révèle que les enseignantes et les enseignants rencontrent des difficultés pour accéder au matériel pédagogique protégé par le droit d'auteur·e, évitant souvent son utilisation ou sa diffusion dans diverses activités pédagogiques. Les coûts élevés associés au matériel protégé les poussent parfois à recourir à certaines pratiques qui les exposent à des risques juridiques. Les personnels enseignants en situation de handicap sont particulièrement concernés par ces difficultés et certains recourent à des stratégies de création ou d’adaptation.
La méconnaissance des lois sur le droit d'auteur·e parmi les enseignantes et les enseignants apparait comme le défi majeur car beaucoup déclarent ignorer les lois en la matière et ne comprennent pas pleinement les contraintes juridiques, n’ayant jamais reçu de formation sur le droit d’auteur·e . Les enseignantes et les enseignants en situation de handicap sont confronté·e·s à des défis supplémentaires en raison de l'inaccessibilité du matériel pédagogique protégé.
Les recommandations finales insistent sur la nécessité d'ajuster la loi de 2008 pour la rendre conforme aux engagements internationaux tout en adoptant une approche opportuniste et humaine facilitant l'accès à la connaissance, en particulier pour les personnes en situation de handicap, tout en soutenant le développement du pays.
Bibliographie
Mbodj, M. (2021). Apprentissage collaboratif : Analyse du discours écrit d’étudiants sénégalais partant des principes du Knowledge Building et de scripts flexibles dans deux situations éducatives soutenues par des plateformes numériques distinctes.
UNESCO. (2016). Déclaration d’Incheon et Cadre d’action pour la mise en oeuvre de l’ODD 4. Initiative pour le droit à l’éducation. https://www.right-to-education.org/fr/resource/d-claration-d-incheon-et-cadre-d-action-pour-la-mise-en-oeuvre-de-lodd-4
UNICEF Innocenti Research Centre. (2017). Assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. In UNICEF Innocenti Research Centre, Construire l’avenir (p. 24‑28). UN. https://doi.org/10.18356/5b6f4c9e-fr
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.