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Décès de Tom « Father Africa » Bediako

Publié 29 mars 2018 Mis à jour 25 mars 2019

L'Internationale de l'Education est triste d'apprendre le décès de Tom Bediako, un remarquable syndicaliste de l'éducation ghanéen qui, pendant plus de 10 ans, a apporté une contribution considérable au renforcement des syndicats de l'éducation et à la qualité de l'éducation en Afrique en tant que Coordinateur régional en chef de l'Internationale de l'Education pour la région.

« C’est avec une immense tristesse et un sentiment d’incrédulité que nous avons appris le décès de notre bien-aimé Tom Bediako », a écrit le Secrétaire général de l’Internationale de l’Education (IE) David Edwards dans une lettre datée du 28 mars et envoyée à David Ofori Acheampong, Secrétaire général de la Ghana National Association of Teachers(GNAT).

« Nous nous joignons à vous en souvenir de Tom, qui a joué un rôle si important dans le renforcement des syndicats de l’éducation en Afrique », a-t-il également souligné, ajoutant que l’IE « se souviendra de la quête sans fin de Tom pour améliorer la qualité de l’éducation et le statut des enseignants en Afrique, non seulement en termes d’accès et de taux de scolarisation, mais avant tout en ce qui concerne la manière dont l’éducation peut émanciper les êtres humains ».

Edwards a rappelé que « en tant que Coordinateur régional en chef de l’IE pour l’Afrique depuis la création de l’IE en 1993 jusqu’à sa retraite en octobre 2003, Tom, « Father Africa » comme il était affectueusement connu de nombreux collègues, a travaillé sans relâche pour faire en sorte que tous les syndicats d’enseignants africains aient au moins une chance de devenir des partenaires sociaux reconnus par leurs gouvernements ».

Il décrit Bediako comme « un militant syndical et collègue dévoué et compétent, mais aussi un ami proche et un camarade qui nous manquera cruellement ».

L’IE exprime ses plus sincères condoléances aux parents, amis et communauté de Tom.

Ci-dessous l’interview de Tom Bediako publiée dans le magazine de l’IE Worlds of Education 40 en avril 2012:

Un géant de l'éducation et du syndicalisme au Ghana: Tom Bediako

Leader ghanéen dans le secteur de l'éducation, Tom Bediako a laissé son empreinte dans le mouvement syndical des enseignant(e)s à travers toute l'Afrique. Il a maintes fois été récompensé pour son travail réalisé en tant qu'enseignant et syndicaliste durant plus d'un demi-siècle. Âgé de 79 ans, Bediako continue de promouvoir un discours ferme et n'a rien perdu de son engagement. Au cours de cet entretien, jamais il ne jette un regard nostalgique sur le passé. Au contraire, il partage avec nous sa vision de l'avenir de l'éducation dans son continent. Face à la crise financière et économique, il souligne, parmi d'autres préoccupations, l'importance d'investir des fonds publics dans l'éducation, d'établir des mécanismes efficaces de dialogue entre les syndicats et les autorités nationales, et de construire un mouvement syndical puissant et unifié dans ce secteur aux niveaux national et international.

Investir dans la qualité de l'éducation

Nous avons accompli de nombreuses choses en Afrique. Des écoles ont été construites à travers tout le continent, y compris dans les villages les plus petits et les plus reculés. Ces écoles ouvrent des portes sur le monde. Je me considère comme étant l'exemple vivant de l'importance capitale de rendre l'enseignement fondamental accessible à toutes et à tous dans notre société: les riches comme les pauvres, dans les villes comme dans les zones rurales. Je suis allé dans une école primaire de mon village et l'apprentissage m'a encouragé à continuer d'apprendre et à considérer l'étude comme un style de vie. Sans cette école primaire, je n'aurais jamais pu aller au-delà des frontières de mon village.

Nous avons fait des progrès en termes d'accès à l'enseignement. Il est cependant triste de constater que l'augmentation des inscriptions scolaires soit souvent allée de pair avec une diminution de la qualité de l'enseignement. C'est pourquoi notre prochain défi consistera définitivement à faire un bond en avant et à investir dans la qualité de l'éducation. Je suis fermement convaincu que les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités à cet égard, afin de garantir et renforcer un système d'enseignement public, qui tienne compte des élèves sur le plan intellectuel, émotionnel et physique.

Sauver l'enseignement public

Nous ne devrions jamais abandonner les missions importantes de l'enseignement. J'observe une tendance croissante à privilégier un type d'enseignement uniquement axé sur les évaluations et les examens. Nous ne devrions pas laisser faire cela. Un être humain qui va à l'école représente tellement plus qu'une personne seulement intéressée par des résultats. Je constate que cette vision étriquée de l'enseignement offre un terrain favorable au développement des écoles privées. L'unique ambition de ces écoles consiste à préparer les élèves à réussir leurs examens. Ces écoles privées prolifèrent rapidement au Ghana comme dans l'ensemble du continent africain, étant donné que les autorités publiques n'ont jamais traité la question de la qualité de manière appropriée. Il est temps de nous recentrer sur la qualité afin de sauvegarder le système public.

Absence de débat sur les questions essentielles

Le rôle des enseignants a radicalement changé au cours de ces dernières décennies en Afrique. Souvent, l'enseignante ou l’enseignant était la seule personne du village sachant lire et écrire. A l'époque où les pays africains ont accédé à leur indépendance, les enseignants vivaient pour enseigner. Au Ghana, en Tanzanie, en Zambie et dans tout le continent. Il y avait un engagement fort à bâtir la nation. Aujourd'hui, les enseignantes et les enseignants enseignent pour vivre. Je ne peux pas le leur reprocher, mais il est certain qu'ils travaillent dans une perspective différente.

Cela montre également que, à l'heure actuelle, les enseignants et leurs syndicats travaillent différemment. Les syndicats et les autorités éducatives ont établi des règles solides en matière de négociation ainsi que des réglementations sur les salaires et les conditions de travail. Mais lorsqu'il s'agit d'aborder les préoccupations professionnelles et les défis liés à l'éducation, force est de constater qu'il n'existe quasiment aucun débat bien structuré pour traiter les questions essentielles dans ces domaines. En théorie, nous avons au Ghana le Conseil national des services éducatifs pour débattre de ces questions. Mais les autorités éducatives n'utilisent pas ce mécanisme de consultation.

Nous avons besoin d'un dialogue institutionnalisé performant pour discuter des politiques éducatives. Trop de syndicats de l'éducation n'ont pas d'opinions fondées en matière de politiques éducatives. Nous devrions y travailler sans relâche et, en tant que professionnels, nous devrions apporter au débat notre grande expérience quotidienne de l'enseignement.

Les syndicats doivent bâtir l'unité

Lorsque j'ai commencé ma carrière d'enseignant, il existait environ 17 organisations d'éducateurs. Aujourd'hui, les éducatrices et les éducateurs s'expriment - quasiment - d'une seule voix par l'intermédiaire de la Ghana National Association of Teachers(GNAT), regroupant plus de 160.000 membres. Nous observons que cette avancée vers l'unité s'affirme dans bon nombre de pays africains et nous avons bien évidemment pu la constater au niveau international lorsque le Secrétariat professionnel international de l'enseignement et la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante ont fusionné pour créer l'Internationale de l'Education (IE).

Mais je remarque que l'unité fixe également des conditions et doit répondre à ses propres obligations. Les syndicats étant parvenus à créer l'unité et occupant une position de monopole ne doivent pas avoir peur de la diversité. Lorsque l'unité devient un objectif en soi, le syndicat court le risque de voir ses opérations réduites à une forme de « danse rituelle » et de créer un consensus à l'avance. Je constate cette situation actuellement. Certains syndicats ne se livrent que trop peu à la critique ouverte et à une analyse approfondie en interne. Dès lors, la question essentielle est: comment créer un débat interne permettant de tirer le meilleur du syndicat et de ses membres?

J'ai assisté aux avancées vers l'indépendance politique dans mon continent. Au cours de ces cinquante dernières années, tous les pays sont passés du statut de colonie à celui de nation indépendante. Toutefois, ce chemin n'a pas abouti à l'indépendance financière et économique. Nous nous sommes développés en un village mondial où ceux et celles qui possèdent côtoient les mendiants. J'estime que travailler sans relâche pour atteindre pleinement l'auto-détermination représente un grand défi pour l'Afrique. Je considère que le mouvement syndical et les éducatrices et les éducateurs qui y participent activement ont un rôle à jouer dans la réalisation de cet objectif.

L'identité africaine nous renforce

Nous, nous sommes membres d'une organisation mondiale, mais il semble que bon nombre de syndicats africains aient renoncé à prendre leur destinée en main. J'ai déployé beaucoup d'efforts pour arriver à unifier les enseignants africains par le biais de l’Organisation des enseignants de toute l’Afrique et du Centre panafricain des enseignants. Je déplore que cela n'ait pas fonctionné tel que je l'avais envisagé. Nous n'avons pas réussi à créer le lien entre les membres de la communauté enseignante mondiale et le développement de notre propre identité africaine. Je le regrette profondément, car je pense que c'est précisément notre identité africaine qui nous sert de repère et nous renforce.

Personnellement, je suis fier d'avoir participé à la lutte pour la liberté et la libération en Afrique du Sud, ainsi qu'à la naissance d'un grand syndicat de l'éducation, le South African Democratic Teachers’ Union. C'est avec émotion que j'ai vu la communauté mondiale des éducateurs réussir à rassembler plusieurs groupes et organisations d'enseignants dans une seule salle et à les faire adopter un programme conjoint s'appuyant sur une plate-forme commune.

Lorsque je me retourne vers le passé, je me rends compte que la vie m'a apporté des moments et des revirements inattendus. Je suis devenu enseignant par hasard et pour m'extraire de la pauvreté. Plus tard, j'ai suivi une formation pour devenir journaliste, que je n'ai d'ailleurs pas terminée afin de pouvoir retourner à l'enseignement. Et suite à toute une série de hasards et de coïncidences, j'ai fini par travailler pour le GNAT. Et ensuite pour l'IE. Un long chemin a été parcouru depuis mon village ghanéen jusqu'au village mondial. Pourtant, ce n'est pas encore le moment pour moi de retourner dans mon village, car il reste encore de nombreuses choses à accomplir.