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Réforme des droits d’auteur dans l’UE: pourquoi les éducateur·rice·s et les citoyen·ne·s doivent s’en inquiéter

Publié 19 mars 2019 Mis à jour 27 mars 2019

Selon l’Internationale de l’Education, la nouvelle réforme des droits d’auteur de l’Union européenne changera la manière dont les citoyen·ne·s et les éducateur·rice·s partagent, communiquent, apprennent et créent des connaissances, et menace ainsi le dialogue démocratique.

Le 25 mars, l’Union européenne (UE) a franchi une étape de plus vers la finalisation de la réforme controversée des droits d’auteur dans l’UE, qui soulève des inquiétudes majeures parmi les enseignant·e·s, les chercheur·euse·s et les citoyen·ne·s de l’UE dans leur ensemble, comme le souligne l’Internationale de l’Education (IE), le syndicat mondial des enseignant·e·s et des éducateur·rice·s. Selon l’IE, la version actuelle du texte confirmera le contrôle que les acteurs privés exercent sur la manière dont les citoyen·ne·s en Europe partagent, communiquent, apprennent et créent des connaissances, ce qui nuit à la liberté d’expression et au dialogue démocratique.

Des changements positifs et une exception

Le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE), le Bureau européen de l’IE, a exprimé ses inquiétudes au nom des syndicats européens du secteur de l’éducation et de la recherche à différentes étapes du processus de ladite réforme des droits d’auteur. Il s’est réjoui que la Commission européenne ait reconnu l’importance d’élargir les « possibilités d’utiliser des ressources protégées par les droits d’auteur pour l’enseignement, la recherche et le patrimoine culturel », ainsi que de favoriser « davantage l’accès international aux contenus en ligne ».

L’ exception visant l’extraction de données et de textes représente une autre proposition positive soulignée par l’IE,car elle facilitera la recherche de données et de contenus dans de grandes bases de données de recherche.

Le projet de réforme prévoit une exception paneuropéenne obligatoire aux droits d’auteur à des fins d’enseignement et d’apprentissage. En principe, elle permettrait aux éducateur·rice·s et chercheur·euse·s d’utiliser des travaux protégés par un droit d’auteur et de s’en inspirer dans le cadre de l’enseignement et de l’apprentissage (par exemple, diffuser une vidéo en classe, écouter un morceau de musique). Malgré cette mesure positive, l’IE a signalé plusieurs lacunes juridiques dans le projet de texte qui pourraient créer des obstacles à l’utilisation de travaux protégés par un droit d’auteur au sein des écoles et universités de l’UE.

Principales critiques

Selon l’IE, la réforme des droits d’auteur comporte plusieurs sections problématiques qui entravent l’accès à une éducation de qualité en Europe:

1. Les contrats commerciaux vs la défense de l’éducation en tant que droit humain

L’IE regrette que l’UE n’ait pas mis en place une véritable exception en matière de droits d’auteur à des fins d’éducation et de recherche. Cette exception existe, mais elle peut être contournée par des contrats de licence commerciaux (comme indiqué dans l’article 4 (2) du projet de texte). Conformément à ses documents politiques adoptés lors du Congrès, l’IE soutient que l’éducation, en tant que droit humain, exige une exception aux droits d’auteur qui soit protégée contre l’exploitation commerciale. Cette disposition se révèle particulièrement importante étant donné que les contrats de licence commerciaux compromettent les exceptions, créent des obstacles juridiques à la collaboration transfrontalière et augmentent les incertitudes juridiques ainsi que la charge de travail des enseignant·e·s.

2. Une définition étroite des lieux d’éducation

La proposition actuelle limite l’utilisation des travaux numériques aux environnements numériques sécurisés. Selon l’IE, cette définition ne cadre pas avec la réalité des enseignant·e·s et des chercheur·euse·s. Les éducateur·rice·s communiquent par courriel et travaillent sur des réseaux en ligne pour échanger du matériel et collaborer entre institutions. Par ailleurs, la proposition actuelle exclut les activités pédagogiques entreprises par les musées et les bibliothèques, qui travaillent généralement en étroite collaboration avec les établissements scolaires et jouent un important rôle de soutien en matière d’éducation et de recherche.

3. La fragmentation plutôt que l’égalité des droits pour tou·te·s les enseignant·e·s au sein de l’UE

Outre la perspective de renverser les exceptions grâce aux contrats commerciaux, la possibilité pour les Etats membres de définir dans quelle mesure un travail peut être utilisé par un·e enseignant·e représente un autre aspect préoccupant de la proposition actuelle relevé par l’IE. Ainsi, un pays peut permettre aux enseignant·e·s de partager une image partiellement, alors qu’un autre pays autorisera l’enseignant·e à la partager entièrement avec la classe.

Rejet et mobilisation

Dans ses prises de position politique, l’IE a déploré que l’objectif initial de la Commission européenne visant à favoriser l’égalité des droits en Europe et à faciliter la collaboration transfrontralière en matière d’éducation est loin d’être atteint. L’organisation a souligné que la nouvelle directive augmentera la fragmentation et laissera de côté nombre d’enseignant·e·s, créant ainsi des obstacles au travail basé sur du matériel et des outils numériques.

Un nombre croissant d’Etats membres rejettent la directive dans sa forme actuelle, car la proposition « peine à trouver le juste équilibre entre la protection des détenteurs de droits et les intérêts des citoyens et entreprises de l’UE.  [...] Par ailleurs, (...) la directive manque de clarté juridique, mènera à une incertitude juridique pour de nombreuses parties prenantes concernées et pourrait empiéter sur les droits des citoyens européens. »

L’IE estime que la proposition visant à introduire un filtrage obligatoire de tous les contenus chargés sur les plateformes commerciales entraînera vraisemblablement une censure et une surveillance généralisée des citoyen·ne·s.

Plusieurs organisations sociales ont appelé à une journée d’action européenne le 23 mars,lors de laquelle des manifestations et activités de sensibilisation seront organisées dans plusieurs villes.

Le CSEE et l’IE exhortent le Parlement européen à rejeter cette proposition le 25 mars prochain et à « se rappeler des valeurs de l’UE. La législation sur les droits d’auteur doit favoriser la diversité et la démocratie européennes et non les affaiblir. »