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Maroc: un rapport souligne les inéquités causées par la privatisation de l’éducation

Publié 31 janvier 2020 Mis à jour 6 février 2020

Une nouvelle étude commissionnée par l’Internationale de l’Éducation met en garde contre la privatisation croissante des écoles marocaines, indiquant que cette dernière n’a pas amélioré les résultats d’apprentissage, mais a créé une société multi-vitesses.

Intitulée Privatisation de l'éducation au Maroc – Un système éducatif à plusieurs vitesses et une société polarisée, l’étude de Khadija Abdous montre comment les réformes gouvernementales ont cherché à privatiser l’éducation, mais ont failli à en accroître la qualité. Lancée aujourd'hui à Casablanca, l’étude explique que favoriser l’enseignement privé au détriment de l’enseignement public a approfondi l’inégalité et la ségrégation.

Privatisation en hausse, pauvres résultats d’apprentissage, inégalité croissante

Les résultats d’apprentissage au Maroc sont pauvres, le pays se plaçant au 47e rang sur les 49 participant à l'étude Tendances de l'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences (TEIMS) en 2015. Suivant les conseils de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, le Maroc a fait des écoles privées une part importante de sa stratégie relative à l’éducation, au détriment des écoles publiques.

La nouvelle étude de l’Internationale de l’Éducation note que le soutien considérable du gouvernement à l’enseignement privé et le sous-financement des écoles publiques a conduit à une augmentation spectaculaire du nombre des écoles privées, particulièrement au niveau du primaire. Alors qu’en 1990 3,6% des élèves du primaire étaient inscrits dans des écoles privées, en 2016 la proportion s’est envolée à près de 16%. De plus, 84% des centres d’éducation de la petite enfance sont privés, 61% d’entre eux étant des écoles coraniques, traditionnelles et non-accréditées.

Toutefois, comme Abdous le fait observer, l’augmentation du nombre des écoles privées ne se traduit pas par des résultats d’apprentissage en hausse pour les élèves. En outre, la prolifération des écoles privées a créé un système dans lequel les revenus familiaux déterminent dans une large mesure la qualité de l’éducation à laquelle les enfants ont accès. Ce résultat contraste fortement avec la vision exprimée par le gouvernement marocain qui déclare que « l’enseignement privé un partenaire de l’enseignement public dans la généralisation et la réalisation de l’équité ».

Les écoles publiques sont rongées par le sous-financement et une qualité médiocre

Tandis que le gouvernement met la priorité sur l’enseignement privé, l’étude indique que certaines écoles publiques manquent de l’infrastructure et des matériels d’enseignement de base.

L’entrain gouvernemental à couper dans les dépenses a amené la mise en place de plusieurs programmes toujours en cours par lesquels des enseignant∙e∙s du public expérimentée∙e∙s et qualifié∙e∙s ont été encouragé∙e∙s à quitter la profession ou à prendre leur retraite de façon anticipée.

Les principes du marché appliqués à l'éducation déprofessionnalisent l'enseignement

L'étude met également en évidence les conséquences de la politique gouvernementale et de la privatisation accrue pour la profession enseignante au Maroc. Alors que les enseignant·e·s expérimenté·e·s se retiraient des écoles publiques pour travailler dans l'enseignement privé, le gouvernement a embauché 70.000 enseignant·e·s contractuel·le·s pour répondre à la pénurie d'enseignant·e·s, ce qui a entraîné une précarité sans précédent dans la profession. Les mauvaises conditions d'emploi des enseignant·e·s contractuel·le·s ont entraîné des grèves à répétition et de nombreuses heures d'apprentissage perdues dans les écoles publiques.

De plus, comme le souligne Abdous, le gouvernement a récemment lancé un partenariat avec Teach for Morocco, une organisation qui place des enseignant·e·s non qualifié·e·s ayant seulement quelques semaines de formation dans les écoles publiques, ce qui porte atteinte au statut de la profession.

Les écoles privées sont non réglementées et rentables

Les politiques éducatives du Maroc sont axées sur la scolarisation pro-privée – la charte nationale fixait un objectif de 20% d’élèves fréquentant les écoles privées d'ici 2010. Les acteurs privés bénéficient du soutien du gouvernement, y compris une assistance administrative et financière. Pendant ce temps, la réglementation gouvernementale pour les écoles privées est inadéquate, en particulier la réglementation sur les frais de scolarité et l'inscription. L'étude prévient qu'à mesure que les écoles publiques se dégradent, l'enseignement privé devient rapidement un marché rentable avec peu de freins et contrepoids pour en préserver la qualité.

Internationale de l’Éducation: seul un enseignement public gratuit et de qualité peut garantir l'équité

Commentant les résultats de la recherche, le Secrétaire général de l’Internationale de l’éducation, David Edwards, a déclaré: « Nous sommes profondément attachés à l’équité et à la justice sociale. Lorsque ces deux principes sont appliqués au secteur de l'éducation, ils impliquent l'égalité d'accès à un enseignement public gratuit et de qualité pour tous sans discrimination. Nous appelons le gouvernement marocain à s'éloigner des écoles privées qui aggravent les inégalités et la ségrégation et se concentrent plutôt sur l'enseignement public – le seul moyen d'atteindre l'équité promise en matière d'éducation ».

Le résumé des résultats de la recherche est disponible en anglais, arabe et français.

L'étude complète est disponible en français.

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Au cours des quatre dernières années, la campagne Réponse mondiale de l’Internationale de l’Éducation a mené la lutte contre la privatisation et la commercialisation croissantes de l’éducation auprès des organisations membres dans toutes les régions du monde.