La Conférence ministérielle de l’OMC révèle que le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accroître
La 8e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce s’est clôturée le 17 décembre dernier, après 3 jours de réunions de haut niveau ayant mis en évidence les divisions de plus en plus profondes entre les pays développés et les pays en développement.
Dans sa conclusion, le Président de la Conférence, Olusegun Olutoyin Aganga, du Nigéria, a souligné que si l’ensemble des ministres ont reconnu l’importance du système commercial de l’OMC fondé sur des règles, aucun progrès n’a cependant été réalisé pour résoudre les divergences de points de vue qui bloquent les négociations depuis ces dix dernières années.
« Les ministres reconnaissent qu’il y a des différences de point de vue notables quant aux résultats possibles que les membres peuvent obtenir dans certains domaines […]. Dans ce contexte, il est peu probable que tous les éléments du Cycle du développement de Doha puissent être conclus simultanément dans un avenir proche ».
Les fossés entre les pays riches et les pays pauvres ont été mis en exergue dès le premier jour de la Conférence, suite à l’intervention d’un groupe composé essentiellement de pays de l’OCDE appelant les ministres du commerce à s’engager contre le « protectionnisme », en acceptant de ne pas augmenter les droits de douanes ou de ne pas adopter de nouvelles mesures, même si celles-ci sont compatibles avec les règles de l’OMC.
Tout en reconnaissant l’importance de résister au protectionnisme, les ministres du commerce de nombreux pays en développement ont insisté sur la nécessité de pouvoir maintenir une marge de manœuvre politique suffisante pour leur permettre de répondre à leurs besoins spécifiques en termes de développement.
Lors d’une séance organisée par la Confédération syndicale internationale dans le cadre de la Conférence ministérielle, le Ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies, a vigoureusement critiqué cet engagement contre le protectionnisme. « Certaines règles de l’OMC pour lesquelles nous avons lutté et que nous avons acquises accordent certaines flexibilités ainsi que les marges de manœuvre politiques nécessaires pour soutenir les besoins et les intérêts de pays en développement tels que l’Afrique du Sud », a-t-il déclaré dans sa conclusion, avant d’ajouter : « S’engager contre le protectionnisme reviendrait à bafouer ces droits durement acquis ».
Davies a souligné que certains ministres avaient lancé un avertissement concernant les mesures protectionnistes qui, comme au cours de la Grande Dépression, risqueraient de plonger notre économie mondiale déjà fragilisée dans une récession prolongée.
Davies a toutefois déclaré que ces ministres ont passé sous silence une autre leçon importante qu’il convient de tirer des années 1930, lorsque les pays ont prématurément réalisé des coupes budgétaires drastiques qui ont compromis la reprise.
« Aujourd’hui, la plus grande menace qui guette la reprise économique n’est pas le protectionnisme commercial mais bien les mesures d’austérité et les restrictions budgétaires mises en place par bon nombre de gouvernements », a déclaré Davies.
Les ministres participant à la Conférence ont également été divisés concernant des propositions visant à introduire de nouvelles problématiques devant être traitées par l’OMC, notamment le changement climatique, la sécurité alimentaire, le commerce et les taux de change, et l’énergie.
Au cours de la séance de clôture, Aganda, Président de la Conférence, a précisé que bon nombre de ministres « ont émis des réserves au sujet de l’ouverture de négociations sur de nouvelles questions, [en raison de] la possibilité que les questions soient examinées de façon sélective ou que l’attention soit détournée des questions non résolues dans les négociations [en cours] ».
Les négociations visant à libéraliser le commerce des services, y compris dans le secteur de l’éducation, sont également dans l’impasse, étant donné que les ministres ne parviennent pas accorder leurs points de vue sur les droits de douane pour les produits industriels et sur les subventions agricoles.
Suite à une série de réunions avec des responsables et des délégué(e)s présent(e)s à la Conférence, le Consultant senior de l’IE, David Robinson, a signalé que bon nombre de pays restaient peu enclins à libéraliser les services éducatifs, principalement en raison de la pression exercée par les syndicats d’enseignants.
« Toutefois, force est de constater qu’il existe un petit groupe de pays influents qui continue à encourager les autres pays à ouvrir leurs secteurs de l’éducation à la concurrence commerciale et à l’investissement privé », a mis en garde Robinson.
Il a également souligné que, vu l’impasse permanente dans laquelle se trouvent les négociations, certains ministres ont insisté pour modifier la manière de mener les négociations sur les services. Plutôt que mener des négociations multilatérales où tous les secteurs de services sont abordés simultanément par tous les membres de l’OMC, certains suggèrent que les membres intéressés par des secteurs de services spécifiques entament des discussions « plurilatérales ».
« Les discussions plurilatérales » ne sont pas une idée nouvelle, mais aujourd’hui cette proposition semble avoir pour but de replacer les pourparlers au centre des négociations et non en périphérie », a déclaré Robinson. « Le danger réside dans le fait que l’on observe un groupe de pays partageant les mêmes points de vue et qui parviennent à obtenir un accord qui leur convient, par exemple dans le cadre des services éducatifs, et qui font ensuite pression sur les autres pays pour obtenir leur adhésion à cet accord. Cette démarche altère fondamentalement la nature des négociations et fait pencher la balance en faveur des pays cherchant à obtenir des concessions ».
En réponse à la perspective d’entamer de nouvelles négociations sur une base plurilatérale, le groupe des pays BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – a publié une déclaration conjointe suite à la Conférence, dans laquelle il stipule : « Nous n’encouragerons ni ne soutiendrons les approches plurilatérales, ni aucune autre modalité de discussion pouvant compromettre ou affaiblir le caractère multilatéral des négociations ».
La Conférence a également vu cinq pays latino-américains mettre en cause les « pratiques exclusives et non démocratiques » appliquées en amont de la réunion.
La Bolivie, Cuba, l’Equateur, le Nicaragua et le Venezuela ont publié une déclaration les dissociant d’une directive politique préparée en vue de la Conférence, considérant qu’elle « reflète uniquement le point de vue de certains membres ».