Blog: Tout ce que m’a appris Ron Thorpe
David Edwards, Secrétaire général adjoint de l’Internationale de l’Education, se penche sur la carrière, la vie et l’influence de son ami et collaborateur Ron Thorpe, décédé la semaine dernière des suites d’une longue maladie.
Au cours de ma vie, j’ai eu le privilège non seulement de rencontrer des gens véritablement exceptionnels, mais aussi d’avoir pu partager un peu de leur temps, d’en apprendre un peu plus sur eux et parfois même de collaborer dans le cadre de projets importants. Ron était l’une de ces figures d’exception. Et aujourd’hui, à l’heure de lui dire adieu, je souhaiterais m’arrêter un instant sur tout ce qu’il m’a appris, en tant qu’ami, intellectuel de notoriété publique, leader et visionnaire.
J’ai fait sa connaissance alors que j’étais encore membre de la National Education Association(NEA) et que nous étions chargés de planifier le premier Sommet international sur la profession enseignante en marge de la Célébration de l’enseignement et de l’apprentissage de la chaîne WNET. Nous avons discuté à maintes reprises pendant plusieurs mois, avant de nous rencontrer en personne sur le perron nous amenant à la salle où se tenait le dîner organisé par les Leeds à l’occasion du lancement de PISA. Après avoir été présentés par Dennis Van Roekel, alors Président de la NEA, il a fait un pas en arrière en disant: « Oh ! Je vous imaginais plus grand. Vous me paraissiez plus grand au téléphone. » Ce à quoi Van Roekel a répondu: « Ilétait encore bien plus grand lorsqu’il a commencé à travailler pour nous! » Nous avons éclaté de rire. C’était un bon départ pour notre amitié et nous nous sommes toujours efforcés de nous faire rire.
Nous étions également liés par nos origines communes, le sud-ouest de la Pennsylvanie, ses aciéries et ses rivières. Nous discutions souvent de notre parcours qui nous avait amenés jusqu’à Cambridge, Massachusetts, avant de nous lancer à la découverte du monde. Les chemins étaient quelquefois improbables, atypiques, parfois séparés par les années, mais nous reconnaissions tous deux à quel point ils étaient importants pour arriver à comprendre le pouvoir transformateur de l’éducation et l’importance d’être en relation avec les gens qui nous entourent. Il prenait toujours le temps d’écouter les projets de mes filles et m’encourageait à faire le nécessaire pour toujours être à leurs côtés dans la vie. Un jour, nous nous sommes donné rendez-vous pour aller acheter des petits gâteaux dans une boulangerie de New York pour fêter le sixième anniversaire de ma fille à Bruxelles le jour suivant. C’est à ce moment aussi qu’il m’avouait encore dissimuler des œufs dans le jardin de sa fille à Pâques.
J’adorais ses histoires et la façon magistrale dont il les racontait et les illustrait. Le temps passé avec Ted Sizer avait profondément affûté sa perception de la profession enseignante et de l’éducation publique. En retour, je nourrissais mon esprit de ces idées et des études qui y étaient associées. Ses recherches sur les meilleurs moyens d’élever le niveau de l’enseignement aux Etats-Unis sont devenues des modèles de référence.
Un jour, il m’a expliqué que les taux extrêmement élevés de diplômé(e)s en médecine étaient le résultat d’un système conçu pour garantir l’encadrement des candidat(e)s entrants à chaque étape de leur formation de manière à assurer leur réussite. Il savait que nous devions créer des systèmes plus efficaces pour préparer les enseignant(e)s, et que ceux/celles qui préconisent d’ouvrir les portes à des enseignant(e)s moins chers/chères et non formé(e)s empêchent les responsables politiques et la profession elle-même de travailler ensemble à cette fin. Dénoncer les détracteurs et leurs projets farfelus ne suffisait pas pour instaurer le changement. C’est pourquoi il avait décidé de travailler avec les plus grand(e)s professionnel(le)s et de créer une vision exploitable par les enseignant(e)s et leurs syndicats. Il retrouvait cette énergie et cet enthousiasme qu’il avait suscités à la WNET et l’insufflait dans sa mission au Conseil national. Tout cela, il l’a réalisé en peu de temps.
Il m’a appris qu’un véritable leader fait ce qui est nécessaire, sans se perdre dans la hiérarchie politique ou chercher à satisfaire son ego. Que ce soit dans le cadre des Sommets ou des Célébrations, il se montrait toujours pragmatique et capable de résoudre les problèmes. Si tout le monde était occupé et que quelqu’un devait courir chez Kinkos pour faire de copies à 11 heures du soir, il s’excusait auprès d’invités tels que Brian Williams, Oliver Sachs ou d’autres personnalités pour faire honneur à la profession enseignante... et faire un saut en taxi chez Kinkos. Tou(te)s ceux/celles qui le connaissaient savaient qu’il était un homme capable de fournir un travail exceptionnel, tant il accordait du soin à tout ce qu’il entreprenait.
Sur la scène mondiale, il était éblouissant. Je me souviens de l’avoir présenté à l’occasion de la Journée mondiale des enseignant(e)s au siège de l’UNESCO à Paris, où il a prononcé un discours particulièrement applaudi sur une nouvelle vision de l’enseignant(e), considéré(e) non plus comme un(e) simple travailleur/euse du savoir, mais bien comme un(e) travailleur/euse de la sagesse apportant sa contribution au monde que nous voulons. Il était tout aussi extraordinaire dans son rôle de maître de cérémonie au lancement de la campagne de l’IE « Uni(e)s pour l’éducation de qualité » aux Nations Unies, où il a exprimé de façon éloquente la voix des enseignant(e)s et incité nos partenaires à passer à l’action.
Ces derniers jours, j’ai relu ses derniers courriels pour retrouver le calme et le réconfort de sa voix. Je suis sûr que tou(te)s ceux/celles qui l’ont connu font de même. Dans l’un de ses messages, il explique l’importance d’aller de l’avant et de poursuivre notre mission, quoi qu’il arrive. Son humanité, sa franchise, son cœur transparaissent tellement dans toutes ses paroles et ses écrits. En fin de compte, c’est ce qui me manquera le plus, plus encore que ses petites blagues.