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Internationale de l'Education
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La privatisation déguisée menace l’éducation publique

Publié 4 septembre 2008 Mis à jour 4 septembre 2008

Une nouvelle étude commanditée par l’Internationale de l’Education révèle qu’une tendance croissante à la privatisation de l’éducation publique est souvent dissimulée sous le vocable de « réforme éducative » ou introduite subrepticement en tant que « modernisation ». D’où le titre de l’étude : La privatisation déguisée dans le secteur éducatif public.

Les recherches ont été menées par le Prof. Stephen Ball et le Dr. Deborah Youdell, tous deux de l’Institute of Education, University of London. Les auteurs explorent deux formes principales de privatisation. Premièrement, l’importation des idées, techniques et pratiques du secteur privé afin de rendre les écoles plus semblables à des entreprises. Deuxièmement, l’éducation publique qui s’ouvre à la participation du secteur privé dans un but lucratif. La première forme de privatisation ouvre souvent la voie à la deuxième.

Les deux formes de privatisation ont de sérieux impacts sur la façon dont l’enseignement est dispensé, dont le programme des cours est déterminé, dont les enseignants sont formés, dont les étudiants sont évalués et, en fin de compte, sur les valeurs de l’éducation publique aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement.

Fred van Leeuwen, Secrétaire général de l’IE, a déclaré : « Comme ce rapport l’indique clairement, c’est l’esprit même de l’éducation qui est en jeu. Pour dire les choses plus crûment : l’éducation consiste-t-elle à donner à chaque enfant, chaque jeune homme ou jeune femme, la chance de développer pleinement son potentiel en tant que personne et membre d’une société ? Ou s’agit-il d’un service vendu à des clients qui, dès leur plus jeune âge, sont considérés comme des consommateurs et des cibles marketing ? »

Dans le monde entier, les enseignants et leurs syndicats défendent activement le concept de l’éducation publique de qualité comme étant un droit fondamental des enfants. Dès lors, cette transformation dissimulée de l’éducation, bien public, en marchandise soulève de nombreuses craintes.

Pour Fred van Leeuwen, « L’Internationale de l’Education a commandité cette étude pour lever le voile sur la tendance à la privatisation. Nous avons besoin d’une plus grande transparence et d’une meilleure compréhension de la situation afin de pouvoir nous engager dans un débat public ouvert à propos de l’avenir de l’éducation dans nos sociétés ».

Un rapport préliminaire a été publié pour le Congrès mondial à Berlin en juillet 2007 et présenté par les auteurs lors d’une séance en sous-groupe. L’Institut de recherche de l’IE a commandité ce rapport et le Réseau de recherche de l’IE s’est réuni à deux reprises afin de discuter des problèmes de la privatisation et d’évaluer les conclusions qui en ressortent. Le rapport final a été lancé officiellement le 17 juin au Trade Union Centre à Londres.

John Bangs de la National Union of Teachers, membre du Bureau de l’Institut de recherche de l’IE : « Il s’agit de la première analyse sérieuse de l’impact international de ces tendances à la privatisation sur les systèmes éducatifs publics ». Évoquant le Secrétaire général de la NUT, décédé il y a peu, il ajoute que « Steve Sinnott aurait été ravi de lire ce rapport ».

Jerry Bartlett, Secrétaire général de la NASUWT et membre du Bureau exécutif de l’IE déclare : « C’est là le premier signal d’alarme lancé par l’IE concernant l’impact considérable de la privatisation sur l’éducation. Par la privatisation, l’Etat abandonne sa responsabilité de fournir un droit fondamental. Ce sera un outil assurément précieux pour faire campagne contre la perte de l’esprit de service public dans l’éducation. »

Stephen Ball fait remarquer que ce qu’on appelle l’industrie de l’éducation est une industrie des plus lucratives. « Les services d’éducation représentent la plus grande industrie exportatrice pour le Royaume-Uni, environ 28 milliards de livres sterling par an. C’est un énorme secteur d’affaires ! »

Et au sein de cette grande industrie, la classe émergeante des « édupreneurs » est sur les rangs pour engranger les meilleurs bénéfices. Les agences d’évaluation, par exemple, pèsent des millions de dollars dans les pays qui évaluent la qualité de l’éducation en se basant prioritairement sur les résultats de tests. Dans le cadre de la législation « No Child Left Behind » (aucun enfant laissé pour compte) votée sous George W. Bush, environ 45 millions de tests ont été effectués chaque année aux Etats-Unis. Ce qui, d’après Stephen Ball, représente un bénéfice de 517 millions de dollars pour le secteur privé.

Au niveau international, la Banque Mondiale travaille elle aussi activement à la promotion de la participation des entreprises privées aux systèmes éducatifs publics. Stephen Ball estime que « la Banque mondiale place le secteur privé au centre de sa politique dans les pays en développement ».

Le Dr. Youdell ajoute que, dans bon nombre de pays en développement, les tendances à la privatisation sont souvent plus courantes dans les projets éducatifs nouvellement lancés par la Banque mondiale ou financés par de l’aide internationale. Selon elle, étant donné qu’ils dépendent davantage des financements extérieurs, les pays en développement sont inévitablement plus exposés à la privatisation sous toutes ses formes.

Stephen Ball avertit que dans de nombreux pays, la privatisation a tant progressé qu’elle est maintenant considérée comme inévitable ou simplement comme « de bon sens ». Il enjoint au personnel de l’éducation de se méfier des initiatives privées et de ne pas s’arrêter aux bénéfices immédiatement apparents, par exemple des ordinateurs, de l’équipement ou du matériel d’apprentissage « gratuits ».

Selon Stephen Ball, les effets les plus insidieux de la privatisation sont la façon dont les relations entre les enseignants, les étudiants et les parents ont changé. Lorsque l’éducation devient un bien de consommation, les résultats (y compris les réussites des étudiants) sont considérés comme des produits. De cette façon, les directeurs d’école se transforment en gestionnaires d’entreprise, les enseignants techniciens et les étudiants, en fonction de leurs résultats, deviennent des éléments d’actif ou de passif dans une école mise en compétition avec les écoles voisines.

Il met en évidence le fait qu’il est plus que nécessaire de mener des « audits éthiques » afin d’évaluer l’impact de la participation du secteur privé à l’éducation publique.

Bob Harris, consultant principal de l’IE, se réjouit de ce rapport et fait l’éloge de son potentiel comme outil pour les syndicats d’enseignants, outil qui permettra de développer des stratégies et de résister aux formes les plus flagrantes de privatisation. Il met en évidence la nécessité pour les syndicats de mieux comprendre les menaces que les pressions de la privatisation font peser sur l’éducation publique (et en fin de compte sur les services publics dans leur ensemble) et d’agir énergiquement pour mettre des contre-propositions en œuvre.

Selon lui, « le débat ne devrait pas concerner la nécessité des réformes éducatives mais plutôt le type de réformes et les conditions de la réussite ».

Par Guntars Catlaks

Cet article à été publié dans Mondes de l'Éducation, No. 27, Septembre 2008.