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Internationale de l'Education
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Oui, désormais un autre monde est possible

Publié 22 décembre 2009 Mis à jour 22 décembre 2009

« Nous avons la capacité d’obtenir le monde que nous désirons si nous avons le courage de prendre un nouveau départ. » Le Président américain Barack Obama, au Caire, le 4 juin 2009.

Pour passer d’une époque de changements à un changement d’époque il est indispensable que la réaction de la société se produise, car elle ne peut pas rester impassible, spectatrice, témoin de ce qui se passe, mais elle doit participer activement. Seulement alors les gouvernements seront authentiquement démocratiques, agissant en vertu de la volonté majoritaire des citoyens, tout en écoutant et en respectant tous les avis. Je ne me lasse pas de répéter l’importance du fait que, à la fin de la terrible Deuxième guerre mondiale, les Nations Unies… aient décidé de faire débuter le préambule de leur Charte par ces mots : « Nous, peuples… résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Il était clair que c’était les « peuples » qui devaient construire la paix au travers de leurs authentiques représentants et le faire en vertu de l’engagement suprême contracté envers les générations futures.

Toutefois, ce ne furent pas « les peuples », mais plutôt les Etats, nombre d’entre eux autoritaires, qui interprétèrent la Charte à leur façon; la coopération s’est vite changée en exploitation, les aides en prêts, les valeurs universelles en lois du marché. Le fait de préparer la guerre pour assurer la paix a prévalu sur la construction d’une paix durable. Abandonnées progressivement par les grandes puissances, converties en agence humanitaire au lieu de constituer le cadre juridique et éthique à échelle supranationale, les Nations Unies ont vu leur rêve de démocratie planétaire se dissoudre dans des regroupements ploutocratiques (G7, G8, G20…) qui ont remplacé « Nous, les peuples… » par « Nous, les puissants …».

La situation s’est détériorée progressivement et, au terme de la « guerre froide », une économie de guerre, soutenue par les grands producteurs de matériel de guerre, s’est consolidée jusqu’à atteindre, en l’an 2000, des investissements quotidiens de près de 3 milliards de dollars quand les morts pour cause de famine et de maladies à présent évitables se comptaient de 60 à 70 mille personnes chaque jour. Il n’existe pas la volonté politique, parmi les grandes puissances, de favoriser le développement endogène ou de garantir l’égale dignité de tous les êtres humains.

Et le panorama actuel constitue une honte collective, qui exige un changement aussi radical qu’urgent.

Ce changement est désormais possible car, au cours des dernières années, s’est produite une rapide « maturation » des capacités nécessaires pour que les anciens « sujets » deviennent des citoyens du monde et acquièrent une conscience globale. Par conséquent, ils ont la possibilité d’effectuer des comparaisons, base fondamentale de l’éthique. En outre, il y a eu augmentation du nombre de femmes occupant des charges publiques et dans les instances de prise de décision, et, enfin, nous pouvons participer à distance au travers des technologies de communication modernes (Internet, SMS…).

De par la « tension humaine » que produit la présente crise – économique, environnementale, alimentaire, énergétique, démocratique, éthique… – existe une opportunité extraordinaire de convertir en action la surprise et l’indignation ressentie par ceux qui réclamaient inutilement des fonds raisonnables pour éradiquer la faim ou le SIDA, et qui ont observé que les institutions qui ont ouvert les vannes financières pour le « sauvetage » sont celles-là mêmes qui, avec cupidité et irresponsabilité, ont conduit à cette situation de crise…

Il doit être observé que les racines de cette crise multiple se situent précisément dans la grossière erreur de remplacer les « principes démocratiques universels » de justice sociale, de solidarité, d’égalité… par les mécanismes du marché. Il en est résulté une inégalité économique grandissante, favorisant des remous sociaux et mettant en évidence l’insoutenable légèreté de la démocratie, pour paraphraser Kundera.

Il est désormais possible de renforcer la démocratie en vue d’accomplie le changement radical que représente le Président Obama parmi les dirigeants mondiaux: dialogue, collaboration, recherche constante de la paix à travers la justice et l’égale dignité pour tous les êtres humains. « Ensemble, a-t-il proclamé, nous pouvons. »

Cela est désormais possible, car il est devenu clair que le multilatéralisme est indispensable. Il ne s’agit pas de renforcer quelques-unes des institutions du Système, mais plutôt de les changer radicalement. Si nous nous limitions à seulement réformer nos institutions financières, ce serait comme si Roosevelt s’était arrêté à Bretton Woods.

En effet, dans 10 ou 12 ans, ce changement d’époque tant attendu pourra se produire, en passant d’une culture de force et de contrainte à une culture de dialogue, de conciliation, d’alliance et de paix. Le temps de la grande transition d’une culture de la force vers une culture du mot est venu.

Jusqu’à il y a peu, on a continué d’investir d’immenses sommes dans l’armement propre aux conflits armés conventionnels qui, depuis la guerre du Vietnam, est tombé en désuétude. L’Administration Bush a porté les dépenses militaires, à la fois les siennes et étrangères (celles des pays « alliés »), jusqu’à des limites invraisemblables. Mais à présent, heureusement – et voici un autre facteur important pour sortir de notre situation de crise actuelle – le Président Obama a décidé de se diriger vers le désarmement, en offrant un plan concret pour réduire les arsenaux, changer d’approche et freiner la prolifération des ogives nucléaires. Comme Obama l’a indiqué, « nous devons choisir entre des investissements destinés à maintenir la sécurité du peuple américain et d’autres servant à enrichir une entreprise industrielle ou un grand entrepreneur ».

Il est désormais possible, en renforçant le système multilatéral et en éliminant immédiatement les paradis fiscaux (en faisant finalement comparaître devant les tribunaux les délinquants qui se livrent au trafic d’armes, de drogues, de brevets, de capitaux et d’êtres humains), de remplacer partiellement les investissements dans l’armements par des investissements dans le développement global durable : les énergies renouvelables, la production d’aliments (agriculture, aquiculture et biotechnologie), obtention et conduite d’eau, santé, transports, logement… . C’est seulement ainsi que seront évités les bouillons de culture qui créent des flux migratoires de personnes désespérées et de violence.

Cela est désormais possible, mû par le sentiment intime que, une fois pour toutes, la main levée doit laisser la place à la main tendue. Les mots clés sont « implication » et « partage ». J’ai la certitude que, actuellement, une grande majorité de citoyens occupant un emploi contribueraient à un Fonds volontaire de solidarité sociale. Ce que nous ne pouvons pas nous permettre de faire est de toujours penser que les problèmes – auxquels nous avons contribué en bonne partie de par notre silence et notre inaction – seront résolus par ceux qui n’ont pas su enrayer des systèmes basés sur la déréglementation et la spéculation.

« Tous les êtres humains sont égaux en dignité » : telle est la clé – si lucidement établie dans la Constitution de l’UNESCO et dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme – pour entrer dans une nouvelle ère. Tous les êtres humains capables de créer, d’imaginer, d’inventer et d’entreprendre ce nouveau commencement, en étant conscients que nous disposons des capacités et de la volonté requises. Et puis, contrairement à ceux qui restent attachés dans le passé et à leurs privilèges, contrairement aux sceptiques et aux pusillanimes, nous amorceront le changement que nous désirons, vers cet autre monde de nos rêves. Avec sérénité, car nous savons que nous pouvons le faire. Comme l’a si joliment exprimé Álvaro Cunqueiro: « L’oiseau chante même si la branche craque, parce qu’il connaît la force de ses ailes ».

Par Federico Mayor Zaragoza.

Homme politique, poète et scientifique espagnol, Federico Mayor Zaragoza a servi comme Directeur général de l’UNESCO pendant 12 années, à partir de 1987. Sous son égide, l’UNESCO a créé le programme Culture de la paix qui met l’accent sur l’éducation pour la paix, les droits humains et la démocratie entre autres thèmes. En 1994, Federico Mayor a contribué à faire du 5 octobre la date à laquelle est célébrée annuellement la Journée mondiale des enseignants. Cet article était publié dans le journal El País et est republié ici sous une forme quelque peu abrégée avec permission de l'auteur. Il a été publié dans Mondes de l’Éducation, No 32, décembre 2009.