Observations de Fred van Leeuwen, Secrétaire général de l’Internationale de l’Education, Conférence internationale de l’Israel Teachers Union et de l’Internationale de l’Education, tenue du 9 au 11 février 2014
Je vous remercie pour cette aimable introduction.
Monsieur le Secrétaire général Wasserman, distingués orateurs, invités et collègues, je suis très heureux d’être ici avec vous aujourd’hui en ce moment charnière des discussions et des processus décisionnels mondiaux sur l’éducation et sur l’avenir.
Le dernier Rapport mondial de suivi sur l’Education pour tous a été publié voici moins d’un moins. C’est le résultat du travail annuel de l’UNESCO en vue de suivre les progrès dans la réalisation des objectifs de l’Education pour tous. Comme vous le savez, l’échéance mondiale pour la réalisation de ces objectifs, y compris l’enseignement primaire universel, est 2015.
Le rapport de cette année a brossé un tableau que l’on peut, assez franchement, qualifier de très sombre.
Je suis certain que vous avez lu les manchettes: les gouvernements perdent 129 milliards de dollars par an parce que les enfants n’apprennent pas. Cela inclut 37 pays qui perdent au moins la moitié des fonds qu’ils consacrent à l’enseignement primaire parce que des millions d’enfants dans le monde n’acquièrent pas les compétences de base.
Quelque 175 millions de jeunes des pays pauvres, soit environ un quart de la population des jeunes, ne savent pas lire une phrase entière. Seul un enfant sur cinq parmi les plus pauvres termine ses études primaires en ayant acquis les compétences de base en lecture et en mathématique.
Dans un tiers des pays analysés, moins des trois quarts des enseignantes et enseignants actuels du primaire sont formés selon des normes nationales. De plus, les systèmes éducatifs négligent des minorités significatives, même dans les pays à haut revenu. En Nouvelle-Zélande, alors que presque tous les élèves issus de ménages riches ont atteint les niveaux minimaux en 4e et 8e années, seulement deux tiers des élèves pauvres y sont parvenus. En France, moins de 60 pour cent des immigrés ont acquis les compétences minimales en lecture.
Ces faits sont extrêmement perturbants. Malheureusement, étant donné qu’ils sont passés par le moulinet des journalistes, ils sont trop souvent présentés d’une manière prévisible qui aggrave les dégâts.
Dans de trop nombreux rapports, cette situation est portée à l’actif des habituels suspects : les enseignantes et esneignants.
Je voudrais dire quelque chose qui va peut-être paraître radical pour le représentant d’un syndicat d'enseignants: il existe effectivement un enseignement inapproprié, un enseignement inefficace et un enseignement non professionnel. C’est le cas trop souvent dans de trop nombreux endroits de la planète.
Pour autant, les rapports sur la crise de l’apprentissage ne peuvent pas rester incontestés. Vous ne pouvez pas remonter le fil de résultats d’apprentissage médiocres des élèves et vous arrêter au point de croisement entre l’élève et l’enseignant, pas plus que vous ne pouvez expliquer un mauvais état de santé par l’interaction entre un patient et son médecin.
Comme toujours, la vérité impose une plongée plus profonde dans le rapport.
Le rapport avance, à juste titre, deux éléments: premièrement, les gouvernements au niveau mondial ne respectent pas leurs engagements de financement de l’éducation et, lorsqu’ils investissent, les fonds bénéficient aux privilégiés aux dépens des plus marginalisés, ce qui creuse effectivement les inégalités.
De plus, de nombreux pays n’ont pas adéquatement investi dans la formation des enseignantes et enseignants et un grand nombre d’entre eux a eu recours à des enseignantes et enseignants non qualifiés, recrutés dans le cadre de contrats temporaires, pour répondre aux demandes d’un système éducatif en expansion.
Deuxièmement, les gouvernements n’ont pas correctement élaboré et mis en œuvre – c’est-à-dire financé – des politiques globales pour le personnel enseignant. Partout dans le monde, des enseignantes et enseignants travaillent dans le cadre de contrats précaires, gagnent moins que le salaire minimal et sont dépourvus des qualifications, des compétences, du soutien et du matériel didactique nécessaires pour enseigner et bien enseigner.
L’enseignement et l’apprentissage continuent de se dérouler dans des environnements qui ne sont ni sûrs ni sains, sans contrôle et, dans certains cas, dans des classes surpeuplées, avec du matériel insuffisant et des installations sanitaires au mieux médiocres.
La principale leçon à tirer de ce rapport est que la crise de l’apprentissage frappera des générations d’enfants à moins que les gouvernements ne prennent des mesures urgentes: attirer les meilleurs candidats dans l’enseignement, leur donner la formation et le perfectionnement professionnel nécessaires, les déployer à l’intérieur des pays là où ils sont les plus nécessaires et leur offrir des incitations afin de s’engager durablement dans l’enseignement.
Le fait est qu’une éducation de qualité durable pour tous ne sera pas une réalité en l’absence d’investissements adéquats dans les compétences et la motivation du personnel enseignant par la formation, la formation continue, des conditions de travail et des salaires décents et un accès au dialogue social, sans oublier les outils appropriés et les environnements nécessaires pour faciliter l’enseignement et l’apprentissage. La véritable crise ne se situe pas au niveau de l’apprentissage, mais bien au niveau de la politique, de l’engagement et d’un financement durable sur le long terme.
Aucune organisation ne s’est battue autant que celles qui représentent les enseignantes et enseignants pour obtenir les ressources, les outils et les environnements propices à l’enseignement et à l’apprentissage et pour professionnaliser le corps enseignant.
C’est la raison pour laquelle l’Internationale de l’Éducation mène une campagne mondiale afin de faire en sorte que l’éducation continue de figurer en haut des priorités de la stratégie du développement, alors que le monde passe à la version suivante des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Et il ne s’agit pas uniquement de l’éducation en tant que problème d’accès, mais d’une éducation empreinte d’exigences de qualité.
La qualité est importante. Elle ne peut être un luxe réservé à quelques-uns; elle est une nécessité pour chaque étudiante et étudiant. Et je ne parle pas uniquement des compétences en lecture, en écriture et en calcul. Elles sont toutes vitales. Mais si nous voulons véritablement influencer l’avenir, nous devons viser plus haut.
Il y a un peu plus d’un an, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon, a fait part d’une ambition plus élevée pour l’éducation. Il a déclaré que chaque enfant doit aller à l’école, que la qualité de ces écoles doit être améliorée et que le produit de ces écoles doit être des citoyens productifs, prêts à diriger l’avenir.
Le Secrétaire général parlait pour le monde, en disant: « L’éducation doit pleinement assumer son rôle essentiel d’aider les gens à créer des sociétés plus justes, plus pacifiques et plus tolérantes ».
Au sein de l’Internationale de l’Education, qui représente 30 millions d’enseignantes et enseignants dans plus de 170 pays du monde, cela fait plusieurs décennies que nous défendons l’Education pour tous. Aujourd’hui, nous aussi, nous visons plus haut.
Nous avons lancé une campagne mondiale, intitulée « Uni(e)s pour une éducation de qualité », afin de rassembler nos membres, leurs communautés, leurs partenaires et les nations en vue de parvenir à une éducation de meilleure qualité pour un monde meilleur. Mais surtout, par notre travail et nos organisations, nous inspirons et incitons les enseignantes et les enseignants à être les principaux défenseurs de l’accès à une éducation de qualité dans chaque recoin de la planète.
Nous vous reparlerons de la campagne « Uni(e)s » plus en détail demain après-midi.
Mais l’important est que la promotion de la citoyenneté mondiale par une éducation de qualité n’est pas seulement inscrite dans notre ADN d’enseignantes et enseignants et de professionnelles et professionnels de l’éducation, elle est ancrée dans notre vision de la civilisation. Une éducation de qualité n’est pas simplement un bien public. C’est un droit fondamental de la personne.
En décembre, cela fera soixante-cinq ans que la Déclaration universelle des droits de l’Homme a reconnu le rôle de transformation que peut avoir une éducation de qualité, au-delà des lettres et des chiffres. Pour en reprendre les termes de cette déclaration: « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux (…) pour le maintien de la paix ».
Ces mots ont leur importance. Notre vision d’une éducation de qualité ne se définit pas uniquement en termes de résultats d’apprentissage, mais aussi en termes de plein épanouissement de la personne et de contribution de celle-ci à la société.
Les gouvernements et les institutions intergouvernementales internationales ont accordé trop peu d’attention à l’éducation en tant que droit humain. Les engagements pris dans la Déclaration du Millénaire pour parvenir à un enseignement primaire universel et à l’égalité des genres doivent encore être atteints et il reste moins de 1.000 jours jusqu’en 2015. Malgré une hausse significative des inscriptions dans l’enseignement primaire, les progrès se sont ralentis et les inégalités demeurent profondes. Les groupes qui tendent à rester exclus sont les pauvres, les filles, les enfants handicapés, les enfants des zones rurales, les enfants se trouvant dans des situations de conflit ou d’après-conflit et les migrants, pour n’en citer que quelques-uns.
Les frais d’inscription et les coûts indirects de l’éducation demeurent le principal obstacle à un accès équitable à une éducation de qualité. Un engagement renouvelé en faveur d’une éducation de qualité gratuite doit être pris de toute urgence. En tant que bien public et droit fondamental, l’éducation doit être financée par des fonds publics.
Aucun enfant ne devrait se retrouver exclu d’une éducation de qualité en raison de son coût.
En tant que syndicalistes enseignants, notre engagement envers une éducation de qualité n’a jamais faibli. Nous pensons qu’une éducation de meilleure qualité est la clé d’un monde meilleur. Et nous connaissons les ingrédients d’une éducation de meilleure qualité. Conduire nos jeunes de la pauvreté à la participation et au leadership pour un développement durable requiert des enseignantes et des enseignants de qualité, des outils et des ressources de qualité et des environnements d’apprentissage de qualité.
Aujourd’hui, une Education de qualité pour tous est encore un rêve pour des millions de jeunes.
Plus de 67 millions d’enfants en âge de fréquenter l’enseignement primaire et 71 millions d’adolescents ne sont pas scolarisés, tandis que 775 millions d’adultes, dont deux tiers de femmes, sont analphabètes. On enregistre toujours une pénurie de plus de cinq millions d’enseignantees et enseignants par rapport au nombre nécessaire pour atteindre l’objectif d’un enseignement primaire universel en 2015.
Une étude après l’autre montre au monde que l’éducation est la pierre que l’on jette dans la mare. Elle perturbe le statu quo. Lorsque les parents sont plus éduqués, ils ont des enfants en meilleure santé. Les familles sont mieux à même de gérer les fluctuations de revenus.
L’Internationale de l'Education a participé aux discussions sur le développement et l’éducation après 2015, en exposant une vision plus large de l’éducation.
Une éducation de qualité est fondamentale pour la réalisation de tous les autres objectifs du développement, notamment l’égalité des genres, la santé, la nutrition et le respect de l’environnement.
Cette après-midi, nous parlerons de l’égalité des genres. C’est un sujet qui intéresse énormément l’Internationale de l’Education. Le Rapport mondial de suivi a mis en évidence la nécessité de résoudre le problème de la violence fondée sur le genre à l’école, qui constitue un obstacle majeur à la qualité et à l’égalité dans l’éducation. Le rapport prévoit également qu’il faudra attendre 2072 pour que toutes les jeunes femmes les plus pauvres des pays en développement soient alphabétisées et probablement jusqu’au siècle prochain pour que toutes les jeunes filles issues des familles les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne finissent le cycle inférieur du secondaire.
Ne soyons pas naïfs.
Nous savons qu’il existe certains éléments des secteurs public et privé qui préféreraient que les enseignantes et enseignants n’interviennent pas dans la politique de l’éducation ou dans le processus politique d’élaboration de cette politique. Et certains d’entre eux n’ont pour autre but que d’éliminer purement et simplement l’enseignement public et d’exploiter ces ressources publiques pour un bénéfice privé.
Nous n’allons nulle part. Je veux que ce soit clair. Au contraire, nous allons saisir chaque occasion d’exposer les faits et l’importance capitale des enseignantes et enseignants dans l’éducation et de l’éducation publique en tant que bien public et en tant que droit de chaque étudiante et étudiant.
Nous connaissons tous la phrase prononcée par Nelson Mandela de façon si éloquente: « L’éducation est l’arme la plus puissante que nous puissions utiliser pour changer le monde ».
Cette arme ne peut pas être maniée par les seuls enseignants. Pour réaliser la vision ambitieuse de M. Ban Ki Moon d’élever nos objectifs en matière d’éducation et de développement à rien de moins que la citoyenneté mondiale, nous devons être audacieux. Nous devons dépasser les limites de nos alliances traditionnelles et reconnaître qu’en coopérant, nous avons le pouvoir de changer le monde.
Je suis ici pour vous dire que les enseignantes et enseignants et les professionnelles et professionels de l’éducation du monde entier, représentés dans l’Internationale de l’Education, sont pleinement engagés dans cette voie. Nous travaillons à intégrer dans la politique ce que les enseignantes et enseignants voient dans leurs classes, ce dont les parents rêvent pour leurs enfants et ce que les élèves voient comme le chemin à suivre pour leur participation en tant que citoyennes et citoyens du monde.
Je suis ici pour dire très sincèrement que les enseignantes et les enseignants du monde sont fiers d’appeler l’ITU notre partenaire. Nous vous félicitons pour cet anniversaire remarquable et nous sommes plus que disposés à vous aider à relever les défis qui nous attendent.
Je vous remercie.