Les mécanismes d’évasion fiscale
Mais cet argent n’arrive pas dans les caisses de l’Etat par le biais des recettes fiscales, étant donné que les entreprises multinationales ont tiré parti de leur portée internationale pour se soustraire à leurs responsabilités et éviter ainsi de contribuer aux besoins sociaux nationaux et communautaires en s’acquittant d’une taxe équitable et responsable.
Les communautés perdent des milliards de dollars américains
En mars 2010, l’organisation Global Financial Integrity a publié un rapport estimant que le montant total des comptes bancaires détenus dans des juridictions et des pays étrangers par des non-résidents avoisinait les 10 milliards de dollars. Ces pays et juridictions - les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Iles Caïmans figurant en tête de liste - autorisent le maintien du secret bancaire.
Selon l’étude de l’Institut de recherche de l’IE, le nombre de comptes détenus à l’étranger dans des juridictions n’appliquant pas la levée du secret bancaire a augmenté de 9% par an, dépassant ainsi le taux de croissance de la richesse mondiale enregistré au cours de ces dix dernières années. Il est estimé que sur l’ensemble des transactions mondiales, 60% d’entre elles transitent en réalité par les paradis fiscaux. Une situation identique est également observée au sein de l’Union européenne, où l’évasion fiscale représenterait, selon les estimations, de 2 à 2,5% du produit intérieur brut (PIB).
L’étude souligne une diminution de la contribution fiscale réelle des entreprises multinationales aux finances publiques et à la société en général, et ce, malgré une augmentation de leurs bénéfices. Que ce soit en raison de pressions politiques ou tout simplement via l’évasion fiscale, le montant des recettes fiscales issues de l’impôt sur les sociétés est passé d’environ 4,2% du PIB mondial en 1985 à environ 2,4% en 2008. Toutefois, au cours de cette même période, la part du PIB que représentent les bénéfices des multinationales a augmenté dans la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), si bien qu’elle s’élève actuellement à près de 35% dans cette zone géographique, par rapport à seulement 25% environ au début des années 1980. Pourtant, le pourcentage de taxes réellement payées a diminué de moitié.
Si les multinationales s’acquittaient du même taux d’imposition que celui en vigueur en 1980, leur contribution fiscale représenterait l’équivalent d’environ 5% du PIB. Au lieu de cela, la moitié de ces revenus n’arrive jamais dans les caisses de l’Etat et doit être trouvée ailleurs.
Différentes techniques d’évasion fiscale
Les multinationales mènent leurs activités aux côtés des entreprises nationales mais, souvent, elles ne s’acquittent pas des mêmes taux d’imposition. Elles ont en effet la capacité de mettre les pays en concurrence, de délocaliser leurs activités ou de menacer de le faire.Ces entreprises exercent donc des pressions sur les gouvernements pour alléger l’impôt sur les sociétés et demeurer attrayantes aux yeux des investisseurs.
Parmi les techniques visant à « minimiser » le poids de la taxation des sociétés, analysées par le rapport L’imposition des sociétés dans le monde et le financement de services publics de qualité, figurent le recours aux paradis fiscaux à l’étranger, entraînant une concurrence entre les localités et les pays en matière d’avantages fiscaux (« arbitrage ») et celle, nettement moins connue, des « prix de transfert ».
On estime que ces techniques sont à l’origine d’une perte annuelle de plusieurs milliards de dollars en termes de recettes fiscales pour les budgets nationaux - une somme suffisante pour fournir les ressources nécessaires à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Cette somme comblerait aussi les besoins budgétaires des services sociaux dans les pays industrialisés, y compris l’augmentation des dépenses liées à la migration et la mobilité mondiale.
Cette situation peut et doit être changée !
Même sans modifier la législation en matière de fiscalité, le simple fait de combler certains vides juridiques permettrait déjà de faire une grande différence pour les ressources financières publiques.
Les services publics ne représentent pas des dépenses « caritatives », souligne le rapport de l’Institut de recherche de l’IE. Les multinationales elles-mêmes utilisent les services publics mis en place par les gouvernements. Elles bénéficient notament d’une infrastructure de transport gérée par l’Etat - les routes, les chemins de fer, les aéroports et les ports maritimes qui permettent d’acheminer les marchandises et les mettre sur le marché.
Par ailleurs, les multinationales dépendent des systèmes scolaires publics pour assurer la formation de la main-d’œuvre - un rôle particulièrement important dans la société de l’information du 21e siècle. Des systèmes d’enseignement de haute qualité permettent également de former des employé(e)s qualifié(e)s.
Initiatives à entreprendre
L’étude explique en outre que la première démarche à entreprendre pour procéder à une modification indispensable du paradigme consiste à créer un consensus entre les gouvernements de l’OCDE afin d’appliquer, avec toute la rigueur qui s’impose, les principes directeurs de l’organisation en matière de prix de transfert et d’impôt sur les sociétés, ainsi que ses directives révisées à l’intention des entreprises multinationales.
Le rapport L’imposition des sociétés dans le monde et le financement de services publics de qualité reconnaît que si l’on souhaite combler les vides juridiques, il sera également nécessaire de changer les mentalités et de faire preuve d’une réelle volonté politique dans ce domaine. Autrement dit, il s’agit de modifier ce principe largement admis selon lequel l’évasion fiscale est un objectif légitime des multinationales. Combler ces vides juridiques serait un premier pas vers un changement de paradigme, un changement qui nous écarterait d’une voie où, en définitive, tout le monde sort perdant, et qui nous engagerait dans celle où la plupart d’entre nous ont une chance de gagner. N’est-ce pas là un des grands principes défendus par nos démocraties et nos économies de marché?