Chronique du « printemps érable » au Québec
Projet de loi 78
Le 17 mai, le Gouvernement présente le projet de loi 78, qui ordonne la fermeture des établissements, où les étudiant(e)s sont encore en grève, jusqu’au mois d’août. Elle limite considérablement le droit de manifester. Elle prévoit aussi que le Ministre de l’Education peut révoquer le droit des associations étudiantes de percevoir des cotisations, d’avoir accès au collège, etc.
Cette loi répressive prévoit de fortes amendes pour les étudiant(e)s, les personnes, les associations étudiantes et les syndicats qui contreviendront à la loi.
La réaction de la population est immédiate. Nombreux/Nombreuses sont ceux/celles qui dénonceront la loi et descendront dans la rue. Des rassemblements solidaires ont également lieu ailleurs au Canada et même à Paris, à New York, etc. Les syndicats de l’extérieur de la province promettent de continuer à soutenir financièrement la cause.
Le 22 mai, à l’occasion du 100ème jour de grève étudiante, plus de 200.000 personnes participent encore à une manifestation plurielle à Montréal; plusieurs défient la loi 78 en dérogeant à l’itinéraire soumis à la police.
Les processions de casseroles, pratique inspirée du Chili, se multiplient aux quatre coins de la province, attirant chaque soir des foules de plus en plus nombreuses et diversifiées, qui prennent d’assaut les rues en jouant allégrement du chaudron. La lutte contre la hausse des droits de scolarité devient une lutte pour la démocratie, pour une économie au service de la communauté et non pas l’inverse.
Années 60: Le Québec choisit de démocratiser l’enseignement supérieur
Au Canada, l’éducation est de juridiction provinciale. Ainsi, la province de Québec a la responsabilité du système de l’éducation de la maternelle à l’université, bien que le gouvernement fédéral contribue aussi au financement notamment, de l’enseignement supérieur par l’entremise de transferts fiscaux.
Jusqu’au début des années 60, le Québec était la province ayant un des taux de diplomation universitaire les plus faibles. Une véritable révolution, dite tranquille, allait s’opérer, entre autres, en éducation. Le projet de société qui naît dans cette décennie est fondamentalement social- démocrate et privilégie les impôts comme source de revenus pour l’Etat et non pas la tarification des services.
La création du Ministère de l’Education et la prise en charge par le secteur public de l’éducation vinrent largement contribuer à démocratiser l’éducation et à rehausser les taux de diplomation. Le Québec allait innover en créant un réseau en enseignement supérieur distinct des universités et unique au monde, soit les collèges d'enseignement général et professionnel (CEGEPS), qui offrent à la fois des programmes techniques et des programmes préuniversitaires préparatoires aux études universitaires. De plus, le Ministère de l’Education allait créer, aux quatre coins de la province, un réseau d’universités publiques qui allaient contribuer à la démocratisation du réseau particulièrement hors des grands centres urbains, le réseau de l’Université du Québec. Ces années se traduiront par une hausse substantielle du financement des universités.
Appel à des élections
Ces manifestations se prolongent jusqu’au début de l’été. Les vacances sonnent une accalmie. Au début du mois d’août, juste avant le retour en classe forcé et encadré par la loi 78, le Premier Ministre dissout le Gouvernement et convie les citoyen(ne)s aux urnes. La stratégie est claire: miser sur un certain mécontentement de la population pour se faire réélire.
Depuis des mois, le Gouvernement n’a pas cessé de qualifier les étudiant(e)s de personnes violentes, irrespectueuses, trouble-fêtes, terroristes, voyous, etc... Il compte rallier à sa cause ce qu’il nomme « la majorité silencieuse », c’est-à-dire ceux/celles qui n’osent pas dire qu’ils désavouent la contestation de la hausse. Les étudiant(e)s refusant de faire le jeu du gouvernement décident, parfois à contrecœur, de mettre fin à la grève. Ils/Elles sont nombreux/euses à miser sur les élections.
Nouveau gouvernement
Finalement, le 4 septembre, la population québécoise choisit d’élire un nouveau gouvernement qui s’est engagé à annuler la hausse des droits de scolarité et la loi 78 et de lancer un vaste processus de consultation sur l’avenir des universités et de leur financement. Les étudiant(e)s misent sur la consultation à venir afin de démontrer qu’il est possible de financer adéquatement l’enseignement supérieur autrement que par l’imposition de droits de scolarité, et que le principe de gratuité des années 60 demeure toujours pertinent.
La lutte de milliers d’étudiant(e)s pendant des mois n’aura pas été vaine. Hormis ses revendications, le printemps étudiant ne ressemble pas aux mouvements qui l’ont précédé à la fois par son ampleur et sa très grande détermination. Il a donné lieu à des milliers de jeunes de développer leur conscience politique et de prendre conscience de leur force. Ils/Elles sont devenu(e)s des citoyen(ne)s politisé(e)s qui comptent continuer à lutter pour une société plus juste.
Soutien au Gouvernement
Les recteurs des universités appuient le gouvernement sans réserve. Selon eux, la nouvelle économie du savoir requiert un réinvestissement important pour compétitionner avec les autres universités à travers le monde. Les recteurs des universités québécoises, comme le Gouvernement québécois, oublient comme par magie de consulter ce que nous dit la science. Ces derniers n’hésitent pas à contredire ce que nous enseignent les études universitaires sur l’accessibilité et la réussite aux études supérieures. De fait, les recteurs et le Gouvernement partagent l’idée selon laquelle la hausse radicale des droits de scolarité n’aurait pas d’impact sur l’accessibilité aux études supérieures. Pourtant, les recherches nous disent le contraire. De fait, au sein d’une recension de la littérature effectuée par le Conseil des ministres de l’Education du Canada, on peut y lire: « Toutes les études sérieuses démontrent que les hausses des droits de scolarité ont un impact sur l’accessibilité aux études [3]». D’autres études [4] démontrent hors de tout doute qu’une hausse importante des droits de scolarité modifie la composition de la population étudiante en faisant diminuer de façon marquée les étudiants provenant de milieux socioéconomiques défavorisés.
Manifestations d’enseignant(e)s
Devant l’intransigeance du Gouvernement, les étudiant(e)s se mobilisent et en août 2011, lancent officiellement leur campagne contre la hausse. À compter de février 2012, les premières associations étudiantes votent en faveur de la grève générale illimitée. Les étudiant(e)s descendent dans la rue de plus en plus nombreux/euses. Au plus fort de la mobilisation, plus de 200.000 étudiant(e)s sèchent les cours. L’emblème de cette mobilisation est le carré rouge épinglé. Il symbolise l’endettement étudiant.
Le Gouvernement incite les gestionnaires des CEGEPS et des universités à prendre toutes les mesures pour que les cours se donnent. Ainsi, le gouvernement contrevient aux décisions légitimes et démocratiques adoptées par la majorité des étudiant(e)s présent(e)s lors des assemblées générales.
Ce mot d’ordre démontre l’incapacité du gouvernement à régler le conflit. En incitant à la judiciarisation du conflit plutôt qu’en ouvrant la porte à une vraie négociation, le Gouvernement s’enfonce dans une impasse dont la société pourrait devoir en payer le prix. C’est alors que le conflit se judiciarise. En effet, des étudiant(e)s, contre la grève, réussissent à obtenir des injonctions et forcent ainsi des établissements à ouvrir leurs portes. Des incidents et des affrontements ont lieu entre les étudiant(e)s qui légitimement sont en grève et les forces policières qui n’hésitent pas parfois à recourir à une force brutale et démesurée. Pourtant la très grande majorité des manifestations se déroule sans violence, sans casse. Le Gouvernement, pendant des semaines, refuse obstinément de rencontrer les étudiant(e)s. Il annoncera unilatéralement des mesures qui visent à améliorer l’aide financière, mais il demeure inflexible sur la hausse des droits de scolarité. Or, l’enjeu ce n’est pas l’aide financière, mais bien la hausse. Le Gouvernement ira jusqu’à saboter des négociations auxquelles il consentira après des mois de lutte.
Le 22 mars, plus de 200.000 étudiant(e)s et sympathisant(e)s participent à une manifestation pacifique attirant ainsi l’attention sur un mouvement étudiant qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Le 22 mai, à l’occasion du 100ème jour de grève étudiante, encore plus de 200.000 personnes participent à une manifestation plurielle à Montréal. Le mouvement ne s’essouffle pas, plus de 150.000 étudiant(e)s demeurent en grève malgré les mesures répressives. Les manifestations sont colorées, les étudiant(e)s font preuve d’une belle imagination. Cela fait près de cinq mois que le Gouvernement pellette le dossier vers l’avant sans prendre le temps pour négocier sérieusement avec les étudiant(e)s.
Droits de scolarité
Malgré la déclaration de principes considérant que la démocratisation véritable de l’enseignement suppose des mesures d’aide financière aussi bien que de gratuité, des droits de scolarité seront maintenus. L’argumentation principale au maintien des droits de scolarité fut la croissance constante des dépenses en éducation. Le Gouvernement prétendait qu’il ne pouvait pas investir dans tous les secteurs en même temps. Mais il fut entendu que dès que cela serait possible, on procéderait à l’abolition des droits de scolarité. Objectif qui demeurera un simple souhait, car ils ne seront finalement jamais abolis. Mais pendant toute une décennie de 1965 à 1974, les droits de scolarité augmenteront à peine.
Parallèlement au déploiement du réseau universitaire, le Québec adoptera la loi sur les prêts et bourses aux étudiant(e)s afin d’élargir l’aide financière au plus grand nombre possible d’étudiants et d’éliminer les inégalités économiques et sociales. Bref, l’accessibilité c’est à la fois la gratuité et l’aide financière. Dans les premières années du programme, les sommes allouées connurent d’importantes hausses. Cela s’explique par des modifications apportées aux critères d’admissibilité et aux paramètres du calcul des montants d’aide. La proportion de bénéficiaires augmenta particulièrement aux CEGEPS et aux cycles supérieurs dans les universités. Le taux de diplomation augmenta aussi.
Il apparaît clair que le déploiement des CÉGEPS et des universités du Québec, les droits de scolarité pratiquement gelés et l’aide financière ont grandement contribué à démocratiser l’enseignement supérieur et à augmenter sensiblement les taux de diplomation. En dix ans, soit de 1965 à 1975, la population universitaire triplera, sans compter les dizaines de milliers d’étudiant(e)s qui fréquenteront les CEGEPS.
Remise en question du financement public des universités
A la fin des années 70, il devient de plus en plus évident que le Gouvernement remet en question l’importance du financement public des universités. Selon la Centrale de l’enseignement du Québec dans un mémoire rédigé en 1986 [1], de 1978-1979 à 1986-1987, le gouvernement du Québec aura imposé des compressions budgétaires de plus de 250 millions. La décroissance du financement public provoquera un sous-financement des universités et justifiera, aux yeux du Gouvernement, les hausses des droits de scolarité à venir.
Ce désengagement de l’Etat s’accentuera davantage encore dans les années 90. En même temps, le financement privé augmentera dans les universités. De grandes compagnies financent la création de chaires universitaires, de centres de recherche. L’indépendance de la recherche est remise de plus en plus en cause. Bref, le rôle même de l’Etat social-démocrate est remis en question. Une vision plus néo-libérale prône la réduction de la taille de l’Etat, la réduction des impôts et la tarification des services comme sources de revenus. Bref, l’éducation ne semble plus être au centre même des priorités gouvernementales. Bien que nous vivions une mondialisation de l’économie, dans un monde de plus en plus compétitif, il ne faudrait pas oublier que la principale clé pour vaincre la pauvreté demeure l’éducation, comme le rappelait si justement l’OCDE [2] tout dernièrement.
La gratuité: un objectif à atteindre
Le mouvement étudiant a revendiqué à maintes reprises l’abolition ou le gel des droits de scolarité, et cela, dès 1958. Par ses diverses luttes et mobilisations, il rappellera l’ultime objectif de la gratuité en 1968, 1974, 1978, 1986, 1990, 1996, 2005 et 2012. Au cours de cette période, la bonification du programme des prêts et bourses sera aussi de ces luttes étudiantes, notamment en 2005.
En 1990, après plusieurs années de quasi-gel des droits de scolarité, le Gouvernement fait passer la facture de 500 à 1.600 dollars canadiens en quatre ans. Des milliers d’étudiants contestent dans les rues, mais le Gouvernement demeure inflexible.
En 1996, quelque100.000 étudiant(e)s déclenchent une grève en octobre lorsque le Gouvernement propose une hausse des droits d’environ 30 pour cent. Il revient rapidement sur sa décision et décrète même un gel. En 2005 le gouvernement veut réduire le budget de l’aide financière de 103 millions de dollars canadiens. À la mi-mars, plus de 200.000 étudiant(e)s sont en grève. Quelques semaines plus tard, le gouvernement recule. Puis, en 2007, le gouvernement annonce une hausse des droits de scolarité de 500 dollars canadiens sur cinq ans.
Un mouvement sans précédent
Pendant ce temps, l’Etat se désengage de plus en plus du financement. Les universités crient de plus en plus famine. Elles sont nettement sous-financées. Mais en même temps, elles témoignent de laxisme dans l’administration des fonds publics. Sous prétexte de refinancer adéquatement les universités, en 2011, le Gouvernement annonce qu’il augmentera les droits de scolarité à compter de septembre 2012, à raison de 325 dollars canadiens par année pendant cinq ans.
La hausse totale (75 pour cent) est de 1.625 dollars canadiens, faisant passer la facture des étudiants à 3793 $ en 2017. Bien que les droits de scolarité au Québec soient encore parmi les plus bas au Canada, cette nouvelle hausse, non seulement va à l’encontre de notre projet social-démocrate, mais elle met en péril la démocratisation et l’accessibilité à l’enseignement supérieur. Notre taux de diplomation universitaire, particulièrement au deuxième cycle, est encore faible comparé à l’ensemble du Canada.