Politique relative aux enseignant(e)s – Et maintenant?
Néanmoins, trop souvent, les réformes concernant les enseignant(e)s n’occupent pas une place prépondérante dans les plans nationaux d’éducation et lorsqu’elles le font, elles n’accordent pas une attention suffisante aux besoins des apprenant(e)s issu(e)s de milieux défavorisés, qui sont les plus susceptibles de ne pas développer leur potentiel. Prenant appui sur une analyse des plans nationaux d’éducation réalisée pour le Rapport mondial de suivi sur l'Education pour tous (EPT) 2013/4, cet article présente quatre leçons destinées à renforcer les stratégies en faveur des enseignant(e)s si l’on veut atteindre l’objectif de l’après-2015, à savoir « une éducation et un apprentissage tout au long de la vie équitables, inclusifs et de qualité pour tous ».
Afin de surmonter la crise mondiale de l’enseignement, le rapport mondial de suivi sur l’Education pour tous 2013/4 pointe la nécessité de procéder à un ensemble de réformes afin d’attirer et de garder les meilleur(e)s enseignant(e)s, d’améliorer la formation des enseignant(e)s, de déployer plus équitablement le personnel enseignant et d’offrir des incitations sous la forme de meilleurs salaires et de carrières plus attrayantes. Les plans d’éducation constituent un premier pas important pour démontrer la volonté mener à bien ces réformes et servir de point de référence par rapport auquel les responsables politiques pourront être tenus de rendre des comptes. L’examen de 40 plans d’éducation dans les pays pauvres a conclu que, si ces plans faisaient souvent référence à des stratégies, quelle qu’en soit la forme, ils ne s’intéressaient généralement pas assez à rompre le cercle vicieux de l’inégalité (Hunt, 2014).
Parmi ces 40 plans, on dénombre quelques exemples prometteurs concernant le recrutement et la formation des enseignant(e)s. Ainsi, le plan du Kenya prévoit-il une formation en cours d’emploi afin de stimuler l’apprentissage des élèves qui abandonnent l’école primaire dans les districts où les performances sont médiocres. Le plan sud-africain entre plus dans les détails que la plupart des autres et met l’accent sur le recrutement de jeunes enseignant(e)s pour atteindre les niveaux de compétences requis. Le Cambodge, le Ghana, le Liberia et la Papouasie-Nouvelle-Guinée offrent des bourses à des stagiaires issus de zones défavorisées, qui sont souvent des personnes ayant des connaissances linguistiques spécifiques.
La formation des enseignant(e)s de l’enseignement non formel est prévue dans 11 des 40 plans. L’Ouganda insiste sur la collaboration avec des ONG prestataires afin d’étendre l’enseignement primaire aux zones rurales et urbaines défavorisées, notamment par la formation des enseignant(e)s de ces écoles et en élaborant un plan chiffré afin que leurs salaires soient payés par le gouvernement.
La stratégie la plus populaire concernant les enseignant(e)s pour résoudre les inégalités dans l’apprentissage, qui se retrouve dans 28 des 40 plans, est le déploiement d’enseignant(e)s dans les zones défavorisées. Cette approche est importante en raison de la répartition inégale des enseignant(e)s à l’intérieur des pays, dans lesquels un nombre insuffisant d’enseignant(s) est souvent affecté aux zones rurales éloignées et aux bidonvilles, créant ainsi des classes extrêmement nombreuses. Le plan cambodgien se distingue par le fait qu’il inclut des stratégies de déploiement des enseignant(e)s – en particulier ceux/celles issu(e)s des zones ciblées et de groupes ethniques – vers des zones où ils/elles sont les plus nécessaires. Globalement, chaque année, près de 95 pour cent des jeunes diplômés des centres de formation d’enseignant(e)s sont affectés à des écoles en sous-effectifs et déployés dans des zones défavorisées et éloignées.
Sur les 28 documents d’orientation qui prévoient le déploiement d’enseignant(e)s, 22 mentionnent des incitations, notamment financières et en matière de logement. Dix-sept de ces documents citent les incitations en termes de logement comme une façon de favoriser le déploiement de personnel enseignant dans des zones difficiles et 9 prévoient une indemnité financière. Le Nigeria propose une promotion aux enseignant(e)s affecté(e)s dans des zones défavorisées. En raison de l’importance des enseignantes pour soutenir l’éducation des filles en Afghanistan, le plan national vise à augmenter de 50 pour cent le nombre d’enseignantes à l’horizon 2014 grâce à des incitations financières et à l’octroi d’un logement pour les enseignantes et prévoit des programmes de formation spéciaux pour les femmes dans les zones reculées et pour celles qui ne satisfont pas aux exigences actuelles en matière de qualifications. Cependant, la mise en œuvre de ces politiques d’incitation produit des résultats mitigés, en grande partie parce que les incitations ne sont pas toujours suffisantes pour encourager les meilleur(e)s enseignant(e)s à travailler dans les environnements les plus difficiles (Mulkeen, 2013).
Les plans incluront plus probablement des stratégies spécifiques destinées à rendre les enseignant(e)s responsables de l’obtention de meilleurs résultats que des réformes visant à motiver les enseignant(e)s à soutenir les élèves défavorisés par une promotion professionnelle. Parmi les 40 plans, 14 sont axés sur la responsabilité de l’enseignant(e) dans l’apprentissage des enfants et 20 intègrent un système de gestion des performances ou un cadre de compétences pour surveiller et orienter la pratique des enseignant(e)s. Le Cambodge, la Jamaïque, le Sri Lanka et le Timor oriental proposent aux enseignant(e)s une rémunération liée aux performances. En Jamaïque, par exemple, la rémunération fondée sur les performances a pour but de créer une culture dans laquelle les enseignant(e)s appliquent le programme et améliorent ainsi les résultats d’apprentissage. Pourtant, le rapport mondial de suivi sur l’EPT constate que les preuves relatives à la mise en œuvre effective de ces systèmes, même dans les pays disposant de systèmes d’information raisonnablement sophistiqués, sont faibles, ce qui laisse à penser que la prudence est de mise.
Les politiques ne peuvent être efficaces que si les personnes chargées de leur mise en œuvre participent à leur élaboration. Or, les responsables politiques consultent rarement les enseignant(e)s ou leurs syndicats lorsqu’ils conçoivent des stratégies en vue d’améliorer la qualité de l’éducation et les résultats d’apprentissage équitables. Exclure les enseignant(e)s de ce processus est non seulement démoralisant, mais conduira aussi probablement à des politiques inadaptées, qui ne peuvent pas être mises en œuvre de façon efficace. Dans une enquête menée en Indonésie, par exemple, les responsables politiques ont favorisé les possibilités de promotion, que seuls 20 pour cent des enseignant(e)s interrogé(e)s jugeaient importantes, alors que 49 pour cent estimaient qu’il était capital d’améliorer les ressources d’enseignement et d’apprentissage en classe (Broekman, 2013). En Turquie, les enseignant(e)s ne sont intervenu(e)s que dans la phase de mise en œuvre de la réforme des programmes de 2004. Ils/Elles se sont montré(e)s extrêmement critiques à l’égard de sa conception et un grand nombre d’entre eux/elles s’inquiétaient du fait que les réductions importantes du temps d’apprentissage prévu dans le nouveau programme fassent baisser les résultats scolaires des élèves (Altinyelken et Verger, 2013).
Dans certains pays, l’intervention des syndicats de l’éducation a amélioré les politiques visant à aider des groupes défavorisés. En Bolivie, par exemple, la Confédération des enseignants de l’éducation rurale a contribué à améliorer la qualité de l’éducation dans les communautés indigènes en insistant sur la nécessité d’un enseignement bilingue et multiculturel. La promotion de l’enseignement des langues indigènes a contribué à faire reculer l’analphabétisme. La confédération est le premier défenseur d’une éducation adaptée aux communautés indigènes et aux paysan(ne)s, historiquement exclus du système éducatif, et des droits des indigènes lié à l’éducation, qui sont désormais inscrits dans la Constitution, offrant ainsi une base juridique à partir de laquelle la confédération peut lutter pour des améliorations (Gindin et Finger, 2013).
Même lorsque des stratégies adéquates sont élaborées, elles échouent au niveau de la mise en œuvre en raison de l’insuffisance des ressources. Seuls 16 documents politiques sur les 40 examinés dans le rapport mondial de suivi sur l’EPT comportaient une ventilation du budget détaillant les coûts d’enseignement et d’apprentissage. Les coûts le plus souvent inclus étaient la formation des enseignant(e)s, les manuels scolaires et le matériel didactique. Même lorsque les plans prévoient une ventilation budgétaire, très peu mentionnent les dépenses nécessaires pour surmonter le problème.
Le Bangladesh fait figure d’exception. Son plan présente des projections financières et des stratégies destinées à améliorer l’apprentissage par rapport aux indicateurs clés visant à mesurer les progrès accomplis, comme le niveau d’apprentissage des enfants par rapport à l’année et à la matière, le nombre d’écoles qui reçoivent de nouveaux manuels durant le premier mois de l’année et le pourcentage d’enseignant(e)s bénéficiant d’une formation professionnelle continue. La fourniture d’une analyse circonstanciée des besoins de financement montre que les ressources nationales ne suffiront pas à couvrir les coûts. En effet, le plan précise que 28 pour cent du volet enseignement et apprentissage devront être financés par une aide extérieure.
Enfin, les objectifs proposés pour l’éducation après 2015 tendent à améliorer un enseignement de qualité équitable et, plus particulièrement, à veiller à ce qu’un nombre suffisant d’enseignant(e)s de qualité soit disponible pour atteindre cet objectif. Le cadre global ne sera atteint que si ces objectifs sont également intégrés dans les plans d’éducation, adaptés au contexte national selon les besoins, de sorte que les objectifs puissent être suivis à l’intérieur des pays. Néanmoins, les objectifs nationaux vont rarement plus loin que l’accès à l’école et même ces objectifs n’incluent généralement pas de combler d’autres inégalités que celles liées au genre. Seuls quatre des plans nationaux analysés ont pour but de suivre les progrès en matière d’inégalité dans l’apprentissage en dehors de l’inégalité de genre. L’une des exceptions est le Sri Lanka, qui fixe des objectifs régionaux spécifiques pour les mathématiques et la langue maternelle, avec des hausses supérieures aux prévisions pour les régions moins performantes.
Quatre leçons se dégagent de cette analyse pour les futures politiques relatives aux personnels enseignants. Premièrement, les responsables politiques doivent définir le juste mélange de politiques, compte tenu des contextes spécifiques, pour assurer des enseignant(e)s de qualité et un enseignement axé sur les plus défavorisés, en prenant en considération le recrutement, la formation, le déploiement et les incitations. Deuxièmement, pour trouver le juste mélange de réformes, les enseignant(e)s doivent être impliqués dans le processus d’élaboration des politiques. Troisièmement, la mise en œuvre des stratégies contenues dans les plans d’éducation ne sera possible que si des fonds suffisants sont disponibles. Par conséquent, les coûts des stratégies visant à améliorer l’enseignement et l’apprentissage doivent être soigneusement évalués, en veillant à ce qu’ils disposent des ressources nécessaires à leur mise en œuvre. Enfin, les plans doivent comporter des objectifs nationaux spécifiques afin de surmonter les inégalités dans l’apprentissage, ainsi que des objectifs visant à augmenter le nombre et à améliorer la qualité des enseignant(e)s pour y parvenir si nous voulons surmonter la crise mondiale de l’apprentissage d’ici 2030.
Références
Altinyelken, H. K. et Verger, A., 2013, The recontextualisation of global education reforms: insights from the case studies. Verger, A., Altinyelken, H. et de Koning, M. (éd.), Global Managerial Education Reforms and Teachers: Emerging Policies, Controversies and Issues in Developing Contexts. Bruxelles: Institut de recherche de l’Internationale de l’Education, p. 141-155.
Broekman, A., 2013, The rationale and effects of accountability policies on the work and motivation of teachers: evidence from Indonesia. Verger, A., Altinyelken, H. et de Koning, M. (éd.), Global Managerial Education Reforms and Teachers: Emerging Policies, Controversies and Issues in Developing Contexts. Bruxelles: Institut de recherche de l’Internationale de l’Éducation, p. 19-36.
Gindin, J. et Finger, L., 2013, Promoting education quality: the role of teacher unions in Latin America. Document de fond pour le rapport mondial de suivi sur l’EPT 2013/4.
Hunt, F. 2013. Review of national policies on learning and teaching. Document de fond pour le rapport mondial de suivi sur l’EPT 2013/4.
Mulkeen, A., 2013, Teacher Policy in Primary and Secondary Education in Development Cooperation. Bonn: Allemagne, Ministère de la Coopération économique et du Développement (document de discussion).
UNESCO, 2014, Rapport mondial de suivi sur l’Education pour tous: Atteindre la qualité pour tous. Paris: UNESCO.