MYTHE : l’apprentissage mixte est la prochaine révolution technologique au sein de l’éducation - Hypermédiatisation, préjudices et espoirs
MYTH: Blended Learning is the Next Ed Tech Revolution - Hype, Harm and Hope
« Le grand ennemi de la vérité n’est très souvent pas le mensonge - délibéré, façonné de toutes pièces et malhonnête - mais le mythe - persistant, persuasif et irréaliste. »
John F. Kennedy
L’attention accordée à l’apprentissage mixte - modèle d’enseignement où les élèves combinent les cours dispensés en classe avec les formations et les ressources accessibles en ligne - ne cesse de croître au sein des cercles réformistes. Désormais complètement imbriquée dans cette notion ambiguë qu’est l’apprentissage personnalisé, cette nouvelle approche se présente aujourd’hui comme un nouveau moyen d’individualiser l’apprentissage au sein des systèmes éducatifs basés sur les compétences.
Michael Horn, co-fondateur du Clayton Christensen Institute for Disruptive Innovation - et principal promoteur de l’apprentissage mixte - déclare que « ce nouveau modèle centré sur l’élève et hautement personnalisé est plus productif car il fournit des résultats nettement supérieurs, pour un tarif identique ou moindre » (Horn et Staker 2011, 13).
Dans quelle mesure s’agit-il d’un nouveau modèle d’apprentissage à l’ère du numérique ? Comment les entreprises privées s’appuient-elles sur les discours du passé pour pousser de nouvelles portes au sein de l’éducation ? Plus important, l’apprentissage mixte est-il en train de devenir, lui aussi, un autre mythe de l’hypermédiatisation dans notre paysage technologique saturé, censé instaurer de nouvelles réformes perçues comme la panacée ?
ORIGINES D’UN MYTHE
Un élève qui choisit de combiner l’utilisation des technologies avec l’enseignement classique en vue de collaborer et d’enrichir son expérience d’apprentissage n’a généralement rien d’inhabituel, de révolutionnaire ou d’étrange pour une école canadienne. Concept créé il y a une vingtaine d’années et introduit dans les écoles primaires et secondaires dès la fin des années 1990, l’apprentissage mixte est issu en droite ligne des programmes de formation pour sociétés, des agences de formation en entreprise et du secteur de l’enseignement supérieur. Bien que son origine précise reste floue, le terme aurait été inventé en 1999 par une société de formation informatisée basée à Atlanta (Friesen 2012) au moment du lancement d’une nouvelle génération de cours en ligne pour adultes, destinés à être combinés aux cours traditionnels dispensés dans les institutions scolaires.
Le plus souvent, la pratique de l’apprentissage mixte est déjà parfaitement intégrée aux méthodes pédagogiques hybrides combinant cours traditionnels et expérience numérique, appliquées dans l’enseignement primaire et secondaire, comme l’apprentissage décentralisé, à distance ou en ligne (e-learning). Selon le Dr Norm Friesen, chercheur majeur dans ce domaine, « l’apprentissage mixte désigne l’ensemble des possibilités offertes en associant Internet et les médias numériques à un modèle d’enseignement traditionnel dispensé en classe, requérant à la fois la présence de l’élève et de l’enseignant(e) » (Friesen 2012). Selon cette définition très large de l’apprentissage mixte, il semble difficile de trouver une utilisation des technologies dans l’éducation qui n’entrerait pas dans ce cadre.
Malgré cette définition limpide, plusieurs modèles d’apprentissage mixte ont pris forme. Plus particulièrement, Staker et Horn (2012) ont tenté de classer les environnements d’apprentissage mixte en quatre modèles : rotation, flexible, combinaison personnelle et virtuel enrichi. Ces quatre combinaisons englobent des espaces d’apprentissage allant d’une approche pratique pour les élèves plus en phase avec des personnes et des structures concrètes (rotation, flexible), à des contextes où les élèves sont principalement dirigés par des cours ou des plates-formes en ligne « fournissant » le programme scolaire (combinaison personnelle et virtuel enrichi). Dans les modèles auto-dirigés, des enseignant(e)s ou des facilitateurs/trices non diplômé(e)s n’interviennent qu’en cas de nécessité et selon les situations.
Bien qu’un grand nombre de modèles d’apprentissage mixte aient été implantés au cours de ces 20 dernières années, rares sont les cas de réussite. Sur 46 études pertinentes conduites entre 1996 et 2008, seules 5 d’entre elles se sont intéressées aux résultats des élèves dans l’enseignement primaire et secondaire (Murphy et al. 2014). Comme le souligne un article paru dans Education Week, lorsque l’on analyse les preuves tangibles de la réussite de cette stratégie pour ces deux niveaux de l’enseignement, on constate que peu de « preuves incontournables » ou peu de résultats significatifs peuvent être directement attribués à l’apprentissage mixte (Sparks 2015).
HYPERMÉDIATISATION
L’hypermédiatisation entourant les modèles d’apprentissage mixte, en particulier aux Etats-Unis, est due à leur capacité de concrétiser l’apprentissage personnalisé pour chaque élève. Ce dernier, annoncé aujourd’hui comme l’un des nouveaux modèles d’apprentissage mixte, n’est ni une théorie pédagogique ni un ensemble cohérent d’approches de l’apprentissage, quel que soit le modèle. En réalité, l’apprentissage personnalisé est une idée en recherche d’identité (McRae 2014). Une description de la personnalisation étroitement liée à l’individualisation au travers de la technologie « partout et toujours » se retrouve déjà dans cette idée archaïque incarnée par la machine à enseigner, imaginée au 20e siècle (McRae 2013).
Certaines théories en matière d’apprentissage mixte suggèrent que la personnalisation se concrétise au travers de programmes informatiques individualisés et adaptés au rythme de l’utilisateur (systèmes d’apprentissage adaptés), associés à un enseignement en petits groupes pour les élèves ayant les besoins éducatifs les plus urgents. Pour ceux/celles qui cherchent à faire progresser spécifiquement leur apprentissage mixte en période de restrictions économiques importantes, un(e) enseignant(e) est facultatif/ive.
Les sociétés de logiciels vendant des produits d’apprentissage adaptés soutiennent fermement que « les meilleurs programmes d’apprentissage personnalisés offriront aux élèves des millions de possibilités de suivre des programmes scolaires et d’obtenir le résultat souhaité, à savoir une compréhension profonde des concepts étudiés » (Green 2013). Cette idée fait partie du mythe de l’apprentissage mixte, vendu sous la forme de programmes logiciels de mathématiques et de lecture basiques (systèmes d’apprentissage adaptés), avec leur prétendue capacité à améliorer les résultats aux tests dont les enjeux sont considérables. Les efforts déployés par les entreprises pour tenter de « normaliser la personnalisation » de cette façon sont à la fois ironiques et absurdes.
Ces systèmes d’apprentissage adaptés (les nouvelles machines à enseigner), et leur lot d’algorithmes informatiques individualisés, normalisés, linéaires et mécaniques, ne contribuent en rien à former des citoyen(ne)s résilient(e)s et créatifs/ives, doté(e)s d’un esprit d’entreprise et soucieux de partager les valeurs humaines. Au contraire, ils limitent les nombreuses opportunités de développer des relations humaines constructives - pierre angulaire des environnements d’apprentissage de haute qualité.
L’un des aspects de l’apprentissage mixte ayant probablement suscité le plus d’intérêt est la « classe inversée ». Ce concept inverse (comme son nom l’indique) le modèle d’enseignement traditionnel, en invitant les élèves à apprendre la théorie à leur propre rythme, en soirée à la maison, en visionnant des vidéos et en communiquant éventuellement avec leurs camarades de classe et leurs professeur(e)s via les plates-formes de discussion en ligne, et en faisant ensuite leurs devoirs en classe durant la journée. On songe ici à la cure mythique et hypermédiatisée vendue au public par la Khan Academy pour surmonter les difficultés en mathématiques. Il n’y a en définitive rien de vraiment révolutionnaire ou de particulièrement exaltant dans les pédagogies centrées essentiellement sur les exposés. Pourtant cela semble être le cas, vu que, chaque soir, des heures de vidéos numériques viennent s’ajouter à la vie de l’enfant. En fait, une recherche explique que l’étudiant(e) qui opte pour ce type de technologie proposant des cours enregistrés comme première étape de l’apprentissage risque de prendre du retard sur le programme scolaire (Gosper et al. 2008).
Analysés de plus près, la plupart des mythes engendrent une profonde réflexion sur nous-mêmes et la société. Les technologies ont, en effet, renforcé ce souhait des Nord-Américain(e)s de toujours pouvoir jouir d’une totale liberté en matière de choix, de flexibilité et d’individualisation. Il est par conséquent facile de se laisser séduire par des espaces d’apprentissage mixte offrant uniquement les éléments souhaités, à tout moment, en tout lieu et selon un modèle personnalisé.
Le leitmotiv commercial d’entreprises aussi diversifiées que les multinationales ou les banques consiste à fournir des services à tout moment, partout, et adaptés à chacun(e). Nombreux sont les gouvernements qui, en revanche, ont adopté ces concepts en vue de réduire leurs coûts au travers d’une personnalisation calquée sur le modèle des entreprises et d’une rationalisation de la productivité de la main-d’œuvre, dans l’espoir d’accroître leur efficacité et leur rentabilité en optant pour un système d’enseignement mixte et flexible.
Dans l’univers mythique de l’apprentissage mixte, la taille des classes ne représente manifestement plus un problème et des nouveaux modèles d’effectifs commencent à voir le jour. Le temps que passe l’étudiant(e) à l’école n’a en réalité plus beaucoup de sens, puisque les structures concrètes disparaissent progressivement. Toutefois, ce mythe ne tient pas compte des attentes de la société ni de la puissante volonté des parents, qui espèrent voir leurs enfants et les jeunes se réunir dans des espaces d’apprentissage pour étudier dans des contextes hautement relationnels, encadrés par des professionnels compétents et responsables - les enseignant(e)s - qui comprennent à la fois l’art et la technique de l’apprentissage. Comme l’a déclaré avec éloquence John O. Kennedy (1962) : « Le grand ennemi de la vérité n’est très souvent pas le mensonge - délibéré, façonné de toutes pièces et malhonnête - mais le mythe - persistant, persuasif et irréaliste ».
Le Département américain de l’Education (2013) a clairement marqué son engagement à faire de l’apprentissage mixte une réalité, en s’appuyant sur des concepts aussi nébuleux que les systèmes basés sur les compétences et l’apprentissage personnalisé.
Abandonner une système rigide basé sur les activités d’apprentissage classiques au profit d’une structure offrant la flexibilité permettra aux étudiant(e)s de progresser, tout en étant les témoins de leur maîtrise des matières enseignées, quel que soit le lieu, la durée ou le rythme d’apprentissage. En offrant aux étudiant(e)s le loisir de maîtriser des compétences à leur rythme, les systèmes d’apprentissage basés sur les acquis permettront de gagner du temps et de l’argent, de mieux utiliser les technologies et de promouvoir de nouveaux modèles d’effectifs prenant en compte différemment les compétences et les intérêts des enseignant(e)s - autant de facteurs susceptibles d’accroître à la fois la productivité et l’efficacité.
Le discours sur la rentabilité et l’efficacité doit se voir accorder plus d’attention lorsqu’il s’agit du mythe de l’apprentissage mixte dans les systèmes basés sur les compétences.
PRÉJUDICES
Les écoles et les classes d’Amérique du Nord sont sujettes à la volatilité économique et à des restrictions drastiques en raison de la diminution des financements publics dans le secteur de l’éducation. L’apprentissage mixte n’est autre qu’une voie d’accès permettant aux prestataires privés de pénétrer le secteur de l’éducation et de balayer toutes les attentes des enseignant(e)s diplômé(e)s exerçant leur profession dans des classes traditionnelles de petite taille. Cette idée gagne peu à peu le soutien de toute une série d’écoles virtuelles et à charte américaines qui réduisent drastiquement leurs effectifs et augmentent la taille des classes sous la bannière de l’apprentissage mixte. Comme le précise Michael Horne lorsqu’on lui demande son avis d’expert concernant les modèles d’apprentissage mixte, « les coupes budgétaires et les pénuries d’enseignants représentent une opportunité, et non pas une menace » (Horn et al. 2014).
Tandis que les juridictions scolaires américaines se tournent vers l’apprentissage en ligne et les modèles mixtes en vue de réaffecter les ressources, les prestataires privés prônent également « l’abrogation des règles limitant le nombre d’élèves par classe et par enseignant » (Horn et Staker 2011, 13). Autrement dit, il s’agira de supprimer la législation en matière de certifications des enseignant(e)s de manière à ce que les écoles puissent remplacer leurs effectifs par du personnel professionnel auxiliaire ou des spécialistes de l’apprentissage individuel non diplômé(e)s. Comme le soulignent Christensen et Horn (2008), « l’apprentissage informatisé à large échelle est également moins onéreux que le système de travail intensif actuel et pourrait résoudre les dilemmes financiers face auxquels se trouvent les écoles publiques » (13).
Implanter ce dernier dans un système éducatif nécessite la mise en œuvre par les gouvernements de toute une série de politiques permettant aux écoles privées, aux écoles virtuelles à charte ou aux entreprises technologiques d’accéder directement aux étudiant(e)s en dehors d’un système public protégé. La première étape consiste à offrir une multitude de solutions d’apprentissage plus flexibles en termes de temps et de lieu, et s’articulant autour de moyens technologiques uniquement produits par l’entreprise.
La Software & Information Industry Association, principale association commerciale pour l’industrie du logiciel et du contenu informatique aux Etats-Unis, est un bailleur de fonds redéfinissant et élargissant sans ambiguïté le rôle de l’enseignant(e), en soutenant que « les contrats des enseignants, ainsi que les autres réglementations, devront également être réexaminés pour garantir la flexibilité de leur rôle, une condition nécessaire pour opérer ce changement radical au sein de l’éducation » (Wolf 2010, 15).
De prime abord, cette flexibilité semble être un élément prometteur, dans la mesure où les enseignant(e)s et la direction des établissements scolaires reconnaissent sans aucun doute que le modèle industriel de gestion et de contrôle est incompatible avec notre monde hyper-connecté. Toutefois, cette flexibilité de l’apprentissage en tout lieu et à tout moment se manifeste aux Etats-Unis dans le cadre des programmes informatiques destinés à l’apprentissage adapté ou les formations en ligne obligatoires, le tout fourni par des entreprises privées. La nouvelle législation relative à l’accès aux formations (Wisconsin, Texas, Utah, Floride, Michigan et Minnesota) permet désormais à quiconque de dispenser des cours en ligne à des étudiant(e)s, quelles que soient les juridictions, les certifications et la situation géographique (Dwinal 2015). En d’autres termes, il s’agit de tous les cours, pour tous les étudiant(e)s, partout, à tout moment, et désormais enseignés par n’importe qui. La moitié des effectifs, mais des cours vendus comme deux fois plus exaltants ?
Dans le cas de la société commerciale K12 Inc., le plus grand fournisseur privé de formations en ligne pour le primaire et le secondaire, le ratio étudiant(e)s/enseignant est de 275/1 (Aaronson and O’Connor 2012). Comme le souligne le Président et Directeur général de McGraw-Hill Education : « Avec cette nouvelle méthode aux capacités innovantes, d’un seul coup, un enseignant peut encadrer beaucoup plus d’étudiants... et la productivité peut doubler, voire tripler ».
Mais la réalité est toute autre : l’enseignement privé en ligne n’est pas une question de nouveaux modèles d’apprentissage mixte, de flexibilité ou de choix, il s’agit avant tout de réaliser des bénéfices en assurant un cycle constant d’entrées et de sorties d’élèves, mieux connu sous le nom de « taux de rotation » (Gibson et Clements 2013). En comparaison, les cours en ligne financés et assurés par les autorités publiques de l’Alberta renforcent le rôle important des enseignant(e)s diplômé(e)s, perçu(e)s comme des architectes humains et bienfaisants s’efforçant sans relâche de réduire le taux d’abandon scolaire et encourageant leurs étudiant(e)s à intégrer les espaces d’apprentissage virtuel.
Rocketship Education, une des écoles à charte ayant connu l’essor le plus rapide en dehors des Etats-Unis, a adopté un modèle de rotation pour l’apprentissage mixte connu sous le nom de Modèle d’école hybride Rocketship, du jardin d’enfant au deuxième degré du primaire. Ce modèle combine l’apprentissage en ligne avec les activités menées habituellement dans les classes, afin de pouvoir économiser un montant annuel pour chaque école à charte de 500.000 dollars en coût salarial (Danner 2010).
Pour parvenir à ce résultat, Rocketship Education a licencié la moitié de ses effectifs, modifié ses pratiques et embauché des adultes à bas prix pour superviser et surveiller les étudiant(e) dans les laboratoires d’informatique. Ce nouveau type de main-d’œuvre au sein de ce modèle de rotation pour l’apprentissage mixte entraîne un ratio de plus de 100 étudiant(e)s par enseignant(e), encadrés par un ou deux moniteurs/trices engagé(e)s à moindre coût pour surveiller le laboratoire d’informatique. Les personnels de soutien sont appelés « spécialistes de l’apprentissage individuel », « coaches », ou encore « facilitateurs/trices » (Public Broadcasting Service 2012).
Sans la présence d’enseignant(e)s diplômé(e)s, il est nécessaire de collecter des données sur la performance de l’étudiant(e). Ce dernier passe donc de nombreuses heures dans une salle face à un écran d’ordinateur proposant un programme d’apprentissage adapté, surveillant chacune de ses interactions. John Danner, ancien Président Directeur général des écoles à charte Rocketship Charter Schools et ancien membre du conseil d’administration de DreamBox Learning Inc., prône une argumentation du temps passé par l’enfant devant un ordinateur durant la journée. Ce dernier estime que, comme la qualité des logiciels s’améliore, les étudiant(e)s des écoles Rocketship peuvent passer la moitié de leur journée d’école à travailler sur des ordinateurs (Strauss 2013). Combien d’heures qui auraient pu être consacrées au développement intellectuel et physique de nos enfants et de nos jeunes sommes-nous prêts à sacrifier pour multiplier encore davantage les interactions individualisées entre l’Homme et l’ordinateur, sous l’étendard de l’apprentissage mixte ?
Si, au travers du modèle de rotation, l’apprentissage mixte consiste à sabrer dans les effectifs diplômés et à parquer des étudiant(e)s dans une salle où ils/elles passeront la moitié de leur journée devant un programme informatique de mathématiques ou de lecture, alors l’éducation du 21e siècle emprunte effectivement une voie archaïque particulièrement dangereuse. Ce n’est pas ainsi que, historiquement, l’apprentissage mixte a vu le jour dans les écoles de l’Alberta, et ce n’est pas non plus le projet d’avenir que nous privilégions.
LES ESPOIRS
Le développement des médias numériques et d’Internet est à l’origine d’une explosion du nombre de ressources et d’opportunités pour les enseignant(e)s, les étudiant(e)s et les communautés estudiantines. Un glissement constant s’opère avec les applications mobiles, blogs, podcasts vidéo, outils des réseaux sociaux, formations en ligne ou autres systèmes de gestion de l’apprentissage dans les écoles, qui tous se promettent d’aider les enseignant(e)s à créer et organiser le travail de leurs étudiant(e)s, à donner leur point de vue (en temps réel) ou à rendre leur communication plus efficace.
Avec la prolifération des outils numériques dans nos vies quotidiennes, les étudiant(e)s du primaire et du secondaire sont aujourd’hui nombreux à combiner l’enseignement traditionnel et les médias en ligne ou numériques et à pouvoir accéder à de nouvelles idées et ressources s’alignant de manière constructive sur leurs choix et leurs motivations vis-à-vis de l’apprentissage. Si l’apprentissage mixte est censé garantir des résultats positifs aux étudiant(e)s, alors il doit être de nature hautement relationnelle, actif, orienté sur la demande (en ligne et hors ligne) et s’engager à autonomiser les étudiant(e)s dans leur utilisation des outils numériques.
Appliqué correctement, l’apprentissage mixte peut contribuer à rendre plus équitable l’accès aux ressources d’apprentissage et à l’expertise propre à une discipline. Il peut également encourager les étudiant(e)s - et les enseignant(e)s - à participer à diverses activités d’apprentissage en ligne et hors ligne permettant de différencier l’enseignement et d’amener davantage de diversité dans l’environnement pédagogique. Améliorer la communication entre enseignant(e)s, étudiant(e)s et parents, tout en étendant les relations au-delà du temps et des frontières pourrait également être l’un des résultats de l’apprentissage mixte. Il pourrait également s’avérer utile dans le cadre de l’utilisation de certaines technologies permettant d’aider les enseignant(e)s et les étudiant(e)s à évaluer leur apprentissage manière formatée.
Pour que cet espoir devienne un jour réalité, il convient de renforcer et de moderniser les infrastructures technologiques en milieu scolaire, d’offrir un accès équitable et de débloquer les ressources nécessaires (humaines et technologiques) pour apporter un soutien pédagogique à la mixité. Ce ne sera pas viable si la connectivité Internet est limitée ou peu fiable, ou si l’accès à la bande passante ou aux infrastructures technologiques demeure inéquitable à l’école et à la maison. Enfin, si les problèmes techniques sont omniprésents ou si les étudiant(e)s et les enseignant(e)s ne peuvent accéder à une assistance technique fiable, il est peu probable que l’apprentissage mixte devienne un jour un concept durable.
CONCLUSION
L’apprentissage mixte n’est ni un nouveau terme, ni un concept révolutionnaire pour les classes en cette deuxième décennie du 21e siècle. Mais la façon dont il est ré(interprété) sera soit constructive, soit préjudiciable, en fonction de la méthode choisie pour sa mise en œuvre. Il s’agit d’une notion à la fois vague et ambiguë qui ne cesse de gagner du terrain au sein de la population, comme en témoignent les nombreux groupes qui réclament cet espace et établissent des modèles, malgré l’absence de preuves et d’études fondées. Nous devons donc nous montrer prudents vis-à-vis du mythe de l’apprentissage mixte, avant d’avaliser et de porter aux nues un système, considéré d’ores et déjà comme la prochaine grande réforme éducative.
L’apprentissage mixte est au centre des débats sur l’éducation depuis maintenant plus de dix ans, mais il ne peut être co-opté au sein d’un mouvement qui remplace la dimension humaine de l’apprentissage par un impératif économique qui consiste à diminuer les coûts salariaux en réduisant les effectifs de moitié. Elément particulièrement préoccupant en période de restrictions économiques importantes, les hautes écoles risquent de devenir des laboratoires d’évaluation pour les responsables politiques recherchant les moyens de réformer leurs systèmes en diminuant le nombre d’enseignant(e)s diplômé(e)s au profit de multiples cohortes d’étudiant(e)s encadrés par des « facilitateurs/trices » ou des « spécialistes de l’apprentissage individualisé ».
Les technologies doivent permettre aux étudiant(e)s de devenir des citoyen(ne)s autonomes plutôt que des individus passifs. L’éducation a besoin d’innovation pour contribuer à la création d’une société offrant l’occasion aux citoyen(ne)s de s’épanouir au sein de communautés riches sur le plan culturel, informées, démocratiques, connectées et diversifiées. Nous ne pouvons pas nous immerger dans une culture de l’individualisme où la technologie contribue à déstructurer nos étudiant(e)s, en raison de l’encadrement systématiquement partiel qui leur est proposé.
Pour la grande majorité des étudiant(e)s du système d’enseignement primaire et secondaire public de l’Alberta, nous devons veiller à atteindre un équilibre plus nuancé, combinant à la fois les technologies numériques et la présence physique d’un(e) enseignant(e) compétent(e) sur le plan de l’encadrement pédagogique. Il ne s’agit plus d’un choix, mais bien d’une obligation, si nos enfants et nos jeunes sont censés consolider leur résilience dans le futur. L’apprentissage mixte peut être (re)façonné par les mythes de la privatisation et leurs systèmes d’apprentissage adaptés, mais dans l’Alberta, nos enseignant(e)s demeurent la quintessence même de cette entreprise humaine qui prépare le terrain aux générations futures. Il est temps pour les enseignant(e)s de l’Alberta de revendiquer l’espace d’apprentissage mixte, tout en repoussant à la fois les mythes et les théories douteuses.
Cet article a été réédité par le Washington Post (21 juin 2015) Citation:
McRae, P. (21 juin 2015). Blended learning: The great new thing or the great new hype? Extrait de The Washington Post: http://www.washingtonpost.com/blogs/answer-sheet/wp/2015/06/21/blended-learning-the-great-new-thing-or-the-great-new-hype/