#WDR2018 à l’épreuve des faits n°21: La contre-politique éducative financée par la Banque mondiale au Salvador, par Israel Montano
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Les recommandations du Rapport sur le développement dans le monde 2018 (RDM) montrent que la Banque mondiale n’a tiré aucun enseignement de ses erreurs et que, au contraire, elle continue à prodiguer des conseils mal avisés à propos des politiques éducatives. Au Salvador, comme dans d’autres pays, au lieu de faire partie de la solution, la Banque mondiale est, à de nombreux égards, responsable de ladite « crise de l’apprentissage ». Le RDM se garde bien d’analyser la responsabilité de la Banque mondiale lorsque celle-ci impose un programme éducatif ne correspondant en rien aux priorités des gouvernements nationaux, nécessaires pour garantir le droit fondamental de chaque enfant à un enseignement public gratuit de qualité à vocation sociale. Au Salvador, les politiques de la Banque mondiale ont eu des conséquences extrêmement négatives. Ce blogue explique pourquoi.
De 1991 à 2018, la Banque mondiale a accordé au Salvador un prêt de 331 millions de dollars américains pour financer les réformes éducatives. La quasi-totalité de ces réformes étaient constamment accompagnées des conditions suivantes : créer un programme scolaire minimal basé sur les compétences, évaluer les étudiant(e)s et les enseignant(e)s, répartir les fonds en fonction de la performance et poursuivre l’implantation de structures de gestion éducative parallèles, hors du contrôle du ministère de l’Education. La Banque mondiale continue à instaurer des politiques qui compromettent le droit à l’éducation et affaiblissent la capacité de l’Etat à le garantir. En d’autres termes, la Banque mondiale finance une contre-politique éducative.
Le Salvador a signé des Accords de paix en 1992, après environ deux décennies de guerre. La signature de ces accords a permis aux communautés de reconstruire leur maillage social, aux franges les plus marginalisées de la population de participer à la vie politique, et à l’Etat de marquer sa présence après tant d’années d’absence pour cause de guerre, où plutôt de violences exercées contre la population. Toutefois un ensemble de politiques néolibérales, particulièrement préjudiciables pour le pays, ont été mises en place: actuellement, 41 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté et restent en proie à la violence des gangs. Trente-six pour cent des enfants et adolescent(e)s du pays vivent sans leur père, sans leur mère ou en l’absence de leurs deux parents. Cette situation est due à la migration vers les Etats-Unis, à la violence des gangs ayant entraîné la mort de certain(e)s d’entre eux/elles, ou à l’abandon tout simplement. Ceci explique que les enseignant(e)s se trouvent face à une population d’enfants ne vivant pas toujours dans un environnement familial sûr et protecteur, en situation de pauvreté ou fortement exposés aux différentes formes de violence.
Pour les enseignant(e)s, le programme EDUCO fut l’un des premiers coups de massue infligés à l’éducation salvadorienne par la Banque mondiale. Lancé en 1991, ce programme, Education avec participation de la communauté (EDUCO), consistait à offrir de l’argent aux pères et aux mères de famille des communautés afin de pouvoir s’organiser en Associations communautaires pour l’éducation (ACE), créer les Conseils de direction scolaires en collaboration avec des directeurs/trices d’écoleet prendre en charge l’enseignement primaire. Dans la phase finale du programme, ces associations assuraient également une partie de la gestion de l’enseignement secondaire.
La raison du lancement de ce programme EDUCO est que, au lendemain de la guerre, toute initiative émanant du gouvernement central aurait mis trop de temps à être mise en œuvre. Aussi, les ACE et les Conseils de direction scolaires sont-ils devenus les autorités légales pour recruter les enseignant(e)s et déterminer le type de services et matériels à utiliser au sein de leurs communautés.
Le ministère de l’Education a fourni un grand nombre de ressources aux ACE et aux Conseils de direction scolaires. Et ces groupes de pères et mères de famille, ne possédant aucune compétence technique ou pédagogique, sont donc devenus les responsables directs des enseignant(e)s en zones rurales. La gestion des finances était assurée de façon peu transparente par une poignée de représentant(e)s de la communauté qui, de plus, définissaient le processus éducatif en l’absence de tout critère pédagogique ou didactique. Les enseignant(e)s devaient se soumettre à un système de contrat quelque peu fantaisiste basé sur l’asservissement et le clientélisme politique. Les écoles prenaient place dans n’importe quelle maison ou salle mise à disposition par la communauté et personne ne se sentait obligé d’investir dans la construction d’une infrastructure adéquate réunissant toutes les conditions nécessaires pour la création d’espaces de jeu, de salles de sport, de laboratoires, de bibliothèques ou de cantines scolaires.
Selon la Banque mondiale, sur environ 59 millions de dollars américains alloués aux communautés, 44 % provenaient de la Banque mondiale elle-même, 51 % du gouvernement salvadorien, 5 % de l’USAID et 0,2 % de l’UNICEF. Un montant total de 26 millions de dollars américains provenait du projet de réhabilitation du secteur social, un prêt accordé par la Banque mondial en 1991. Cet argent aurait dû servir à améliorer le système éducatif national en privilégiant une approche pédagogique soucieuse de l’équité, réellement capable de contribuer à la restauration du tissu social et d’offrir une formation professionnelle initiale et continue de qualité aux enseignant(e)s. Mais ce qui est certain, c’est que cet argent n’a jamais servi à renforcer le système d’éducation, mais bien à créer de petites mafias au sein des communautés.
En tant qu’enseignant(e)s, nous estimons que la Banque mondiale, au travers de son programme EDUCO, a soutenu et financé une contre-politique éducative, en faisant en sorte que l’éducation ne soit pas placée sous la responsabilité de l’Etat et de son gouvernement. Cette situation était plus que dramatique car, au lendemain de la guerre, le pays avait besoin d’un Etat responsable qui garantisse et rende exécutoires les droits bafoués durant tant d’années, notamment le droit à l’éducation.
En 2018, la Banque mondiale préfère encore et toujours les inégalités
Les enseignant(e)s s’inquiètent à présent de voir une réforme éducative transformer en profondeur la jeunesse, une réforme financée par la Banque mondiale via son programme de prêt de 2005 « Excellence et innovation dans l’enseignement secondaire - EXITO » pour un montant de 85 millions de dollars américainset son autre projet de 2011 « Améliorer la qualité de l’éducation » pour un montant de 60 millions de dollars américains. Tous ces fonds contribuent à instaurer une réforme encourageant la création d’un enseignement secondaire à deux vitesses: le premier étant destiné aux jeunes favorisé(e)s, le second aux jeunes défavorisé(e)s.
D’un côté, la Banque mondiale finance un modèle de journée prolongée afin que les étudiant(e)s passent plus de temps dans les établissements scolaires. Ce système de journée prolongée n’est cependant pas idéal, dans la mesure où il ne crée ni les conditions de travail ni les environnements permettant de respecter les droits des enseignant(e)s et des étudiant(e)s, et de répondre à leurs besoins. D’un autre côté, elle encourage la mise en place d’un modèle d’éducation « flexible » à distance (ou partiellement à distance) pour les adolescent(e)s pauvres ou résidant en zone de conflit social. Ces modèles privilégient l’acquisition des compétences en langues, arithmétique et sciences, tout en proposant parfois l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour soutenir ce type d’approche.
Ce second modèle nous inquiète énormément. Le Salvador est un pays jeune, où 55 % de la population est âgée de moins de 30 ans et où 26 % des jeunes de 15 à 24 ans ne sont ni au travail ni en formation. Pourtant, la perspective de la Banque mondiale qui consiste à mettre en place un modèle d’enseignement secondaire pour « pauvres » les tenant à l’écart de l’établissement scolaire, contribue à leur isolement et ne leur offre que quelques-unes des compétences nécessaires à leur intégration au marché du travail.
Dans un pays tel que le Salvador, gangrené par tant de violences, l’établissement scolaire doit offrir un espace de sécurité et de protection, contribuant à l’intégration et à la cohésion sociale. Outre le fait de se rendre à l’école pour étudier les mathématiques et l’espagnol, les étudiant(e)s y viennent aussi pour apprendre les valeurs que représentent la participation, la démocratie, le travail collaboratif et l’histoire de leur pays et de leur région.
La Banque mondiale s’entête à vouloir nous imposer une politique éducative sans réellement comprendre le pouvoir transformateur de l’éducation. Ou peut-être ne le comprend-elle que trop bien, raison pour laquelle elle s’évertue à ce point à saper l’éducation. C’est précisément pour cela qu’ANDES 21 de junio accorde tant de valeur au pouvoir transformateur et égalitaire de l’éducation et qu’il continuera à la défendre en tant que droit social en refusant toujours de s’aligner sur la perspective d’une banque et de son club de consultant(e)s et autres soi-disant expert(e)s.
« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.
Consultez le post précédent de la série écrit par Mark Ginsburg : #WDR2018 à l’épreuve des faits n°20: Un engagement en demi-teinte en faveur de l’apprentissage des enseignant(e)s
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.