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Mondes de l'éducation

« La propriété intellectuelle à l'époque du coronavirus », par Yamile Socolovsky.

Publié 25 avril 2020 Mis à jour 26 avril 2020
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Les mesures adoptées par la plupart des gouvernements pour tenter de contrôler le taux d'infections dues à la pandémie du COVID-19 ont été diverses et, dans certains cas, insuffisantes ou tardives. Mais dans la plupart des régions du monde, la suspension des activités éducatives en présentiel à tous les niveaux a été la règle.

Ces circonstances ont donné lieu à un transfert massif et urgent d'interventions éducatives vers les environnements virtuels disponibles. Bien que l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication soit une ressource incontournable pour toute stratégie visant à assurer la continuité du fonctionnement des systèmes éducatifs, ces ressources font ressortir des inégalités notoires, entraînent des risques importants et posent de nouveaux défis.

Mais ce serait une erreur de supposer que nous assistons simplement à une « virtualisation » de l'action éducative. Il s’agit de l’incorporation accélérée et massive d’une nouvelle médiation technologique, afin de garantir, avec la continuité de l’enseignement et de l’apprentissage, le droit à l’éducation dans le contexte pénible d’une pandémie qui sévit dans un monde criblé d’inégalités.

Démocratiser, démarchandiser le savoir

À mesure que la pandémie s’est propagée et que les mesures de distanciation sociale et de confinement ont transféré les échanges éducatifs et universitaires vers l'environnement virtuel, différentes institutions publiques et privées ont éliminé temporairement des exigences de paiement pour l’accès aux archives, musées, bibliothèques et permettre de profiter de livres, de films et d'œuvres de toutes sortes.

L'accès aux publications et bases de données scientifiques a également été autorisé pour faciliter la communication des chercheurs qui tentent de trouver une réponse médicale qui empêchera la propagation du COVID-19 ou guérira la maladie causée par le virus.

Dans le même temps, le transfert des échanges éducatifs vers des environnements virtuels implique nécessairement, et permet tacitement, le téléchargement, la reproduction, la copie ou la traduction de documents, ce que la réglementation en vigueur sur la propriété intellectuelle rend habituellement impossible pour une utilisation en tant que ressources pédagogiques.

Du coup, le caractère exceptionnel de la situation a permis, un instant, quelque chose qui pourrait être la norme. On peut l'imaginer.

Que l'art et la culture soient accessibles à tou·te·s, qu'ils puissent être utilisés comme ressources pédagogiques, sans que ceux·elles qui les utilisent pour enseigner ou étudier ne subissent de persécution judiciaire, sans avoir à payer pour lire des publications rapportant des recherches scientifiques qui, dans de nombreux cas, sont financées par des fonds publics et dont l’objectif principal et la motivation consistent à contribuer à améliorer la vie des gens.

On peut l'imaginer. Que la logique collaborative prévale sur la concurrence dans la production du savoir, que la poésie, la musique, le cinéma, la réflexion critique soient partagés et accompagnent notre temps, et que nous puissions employer les nouvelles technologies issues de l'ingéniosité humaine pour communiquer, y compris si nous n'étions pas dans une situation de distanciation physique forcée par un virus ...

La vérité est qu'il s'agit bien d'une situation exceptionnelle.

Et pourtant, l'ouverture de ces ressources, et des voies d'accès à celles-ci, devrait permettre de s'interroger sur les raisons pour lesquelles il semble que seule une catastrophe justifierait de suspendre la logique d'exclusion et de privatisation qui, en « temps normal », ne tolère pas que quiconque profite de ce qui est réservé uniquement à ceux·elles disposant des moyens pour payer.

Parce que là est la seule raison des limitations existantes, qui sont momentanément relativement relâchées : le profit qui permet, non pas aux auteurs, mais à ceux·elles qui bâtissent une entreprise en gérant l'accès à leurs créations, de tirer des bénéfices de l'expropriation de la culture, des connaissances, de l'information et des opportunités éducatives. Il s’agit de la transformation en une marchandise de quelque chose qui est, en vérité, un droit des personnes, des peuples, de l'humanité.

Un monde d'après-crise : défis futurs

La pandémie n'est pas encore terminée que nous nous demandons déjà ce qui nous attendra demain.

Beaucoup évoquent des visions apocalyptiques qui ne voient dans l'avenir que la consommation de l'empire mondial des entreprises sur la base d'un dispositif technologique autoritaire, d'autres sont soulagés en imaginant un retour à une normalité qui ignore que l'aggravation des conditions de vie de millions de personnes est une nouvelle réalité, et certains fantasment sur l'illusion d'une transformation radicale presque spontanée de la société basée sur un humanisme stimulé par le traumatisme de la pandémie.

Au final, il semble plutôt que, pour paraphraser Jean-Paul Sartre, nous ne serons que ce que nous faisons nous-même de ce que l'histoire a fait de nous.

Dans cette perspective, où aucune prévision ne nous exempte de poursuivre nos efforts pour construire un monde plus vivable, toute naïveté est à éviter.

L'un des risques auxquels nous sommes confrontés, dans cette entrée accélérée dans le « territoire » de la virtualité, est précisément le degré élevé d'exposition auquel nous sommes soumis en raison du manque de connaissances suffisantes sur la manière dont peuvent être utilisées les données fournies par nos échanges en ligne et notre ignorance de ceux·elles qui seraient en mesure d'en profiter.

Il s'agit d'informations qui permettent aux fournisseurs d'accéder à des données qui sont ensuite utilisées pour nous offrir des opportunités de consommation pour des produits de nature variée, y compris la consommation culturelle, et qui peuvent également être utilisées pour diriger notre attention, notre sensibilité, nos informations et, à long terme, nos décisions.

Notre navigation sur les réseaux laisse une marque qui facilite la manipulation de nos goûts et intérêts, et peut contribuer à légitimer l'omniprésence des quelques principaux bénéficiaires d'une grande entreprise transnationale, laquelle s'étend également, et de manière très significative, au domaine de l'éducation et académique.

Il est essentiel de politiser notre participation au monde virtuel, configuré par des intérêts très spécifiques qui ont des effets réels sur nos vies. Également sur le web, il est indispensable de conserver une vigilance critique, de veiller à ce que nos actions ne contribuent pas à la marchandisation de ce que nous considérons comme des droits fondamentaux, tels que l'éducation, la connaissance et la culture.

En ce sens, nous devons continuer à soutenir le développement d'alternatives non commerciales où la technologie que l'humanité a réussi à développer est considérée comme un bien commun qui peut uniquement contribuer à l’édification de sociétés plus justes et plus égalitaires si elle est mise au service de l'intérêt général.

Le sort de notre humanité n'est pas écrit, mais il semble de plus en plus urgent de comprendre que si nous ne sommes pas en mesure de renverser la situation, le monde deviendra de plus en plus inhabitable. Au milieu de cette crise, c'est aussi un défi de s'assurer que la distanciation ne nous isole pas, que l'incertitude ne paralyse pas la pensée critique, que la peur ne nous empêche pas de trouver, dans la solidarité et la valeur de l'effort collectif, les signes de temps meilleurs.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.