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Mondes de l'éducation

Militarisation des écoles au Brésil : une menace pour le processus éducatif et la démocratie

Publié 5 août 2021 Mis à jour 18 août 2021
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Outre l’annonce d’un vaste processus de déréglementation de l’économie, l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil en 2018 a également été suivie d’un nouveau programme éducatif pour le pays. Bien que déjà présents de manière diffuse avant son élection, les porte-drapeaux de ce que l’on appelle au Brésil le mouvement « École sans parti » et de la militarisation des écoles ont acquis force et coordination politique nationale avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.

Le mouvement « École sans parti » cherche à contrecarrer ledit « endoctrinement politique, idéologique et religieux », soi-disant pratiqué dans les établissements scolaires par le personnel enseignant brésilien. Profondément enraciné dans une vision négationniste de l’histoire [1], ce mouvement cherche à accuser et persécuter les membres de la profession enseignante, les étiquetant de communistes, de propagateur·rice·s de l’athéisme et de ce que l’on appelle « idéologie du genre », un terme créé par les mouvements néo-conservateurs qui tentent à tout prix d’interdire tout débat sur les études de genre et les questions connexes, comme le féminisme.

Ce mouvement a connu un important revers en août 2020, lorsque la Cour suprême du Brésil a déclaré inconstitutionnelle une loi interdisant aux écoles d’aborder des questions telles que « le genre et la sexualité » dans les classes. Cette victoire remportée par l’éducation brésilienne a créé un important précédent en termes de jurisprudence au sein de la plus grande instance judiciaire du Brésil, dissuadant ainsi de soumettre des projets législatifs similaires.

Après cette défaite, la principale priorité du programme éducatif de Bolsonaro a consisté à militariser les écoles.

Antécédents et situation actuelle de la militarisation des écoles brésiliennes

Le projet de ce que nous appelons ici « militarisation des écoles » ne fait pas référence aux centres d’éducation militaire qui visent essentiellement à assurer l’enseignement des enfants des membres des forces armées. Le processus de militarisation des écoles dont nous parlons regroupe l’ensemble des initiatives du gouvernement visant à transférer aux forces militaires la gestion administrative et pédagogique des 180.000 écoles publiques civiles du Brésil.

Dès le premier jour de son mandat, Bolsonaro a créé au sein du ministère de l’Éducation un sous-secrétariat pour le développement des écoles civiles-militaires, à la direction duquel il a nommé un lieutenant-colonel de l’armée brésilienne. Le processus de militarisation des écoles, déjà en cours via les initiatives de plusieurs États et municipalités, a repris un nouvel élan suite à ce signal politique, tandis que la formulation « écoles civiles-militaires » est désormais utilisée dans le cadre d’autres initiatives de militarisation de l’éducation dans plusieurs villes du pays. En juillet 2019, le ministère de l’Éducation a lancé son « Projet national pour l’éducation de base », se fixant comme objectif, entre autres priorités pour ce secteur au Brésil, la création de 108 écoles civiles-militaires dans tous les États fédérés à l’horizon 2023.

Face à l’opposition du secteur de l’éducation brésilien, le gouvernement a créé en septembre 2019, via le Secrétariat général de la présidence de la République, le programme national des écoles civiles-militaires (PECIM) pour l’adhésion volontaire des entités fédérées sous-nationales. Le soutien financier proposé aux États et municipalités [2] par le ministère de la Défense et la perspective d’un manque de ressources publiques allouées à l’éducation expliquent qu’une majorité des 15 États fédérés aient adhéré au projet. En 2020, 54 écoles du pays de 23 des 27 États fédérés ont décidé de participer au projet pilote.

L’adhésion sociale à ce projet politique progresse même dans le secteur de l’enseignement privé au Brésil, où l’on constate une augmentation du nombre d’écoles militaires privées. Administrés par d’anciens policiers, par des officiers de réserve de l’armée brésilienne, ou encore, par des hommes d’affaires civils qui avancent comme prétexte auprès des familles la nécessité d’imposer plus de « discipline » dans les processus pédagogiques, les établissements d’enseignement privés à discipline militaire ne cessent de se multiplier dans divers États brésiliens.

Violation de la législation nationale et développement pédagogique

Dans la patrie de Paulo Freire, la subversion de l’éducation par l’appropriation militaire de l’enseignement progresse à un rythme vertigineux, contournant même les structures juridiques qui régissent le système éducatif au Brésil.

Les principes fondamentaux de la Constitution brésilienne, qui prônent l’égalité d’accès à l’éducation ont été ouvertement ignorés par ces institutions militarisées. La promotion d’un système d’éducation militarisé a notamment conduit à l’expulsion des élèves « à problèmes », qui ne s’adaptent pas aux normes imposées.

Cette situation fait obstacle au principe de l’égalité en termes d’apprentissage, d’enseignement, de recherche et de diffusion de la pensée, de l’art et du savoir. Les normes militaires rigides et hiérarchisées imposées aux écoles rendent cette égalité impossible. Les élèves se sont également vu interdire de présenter des sujets qui ne sont pas du goût des militaires, ce qui constitue une violation de la Constitution du pays qui garantit la pluralité des idées dans les établissements scolaires.

La gratuité garantie par la Constitution est également menacée, étant donné que de nombreuses écoles militarisées facturent des frais de scolarité, réclament des contributions mensuelles « volontaires » et imposent des uniformes souvent plus chers que dans l’enseignement public. La valorisation de la profession enseignante, exigeant une formation appropriée et un concours public pour y accéder, a été systématiquement mise à mal, d’une part, avec l’arrivée d’enseignant·e·s militaires pour certaines matières et, d’autre part, avec l’attribution à des militaires de postes de direction et d’administration des écoles, une menace pour la gestion démocratique.

S’agissant de la qualité de l’enseignement, il a souvent été question des résultats obtenus par ces établissements, souvent meilleurs dans le cadre des évaluations standardisées pratiquées au Brésil. Cette différence est principalement attribuable aux ressources plus importantes dont disposent ces écoles militaires et à la sélection qui y est imposée, en rejetant les élèves qui « dévient » de la norme à atteindre. Un environnement militarisé ne laisse aucune place à une éducation libératrice qui émancipe l’élève en tant qu’être humain.

La militarisation des écoles se traduit par l’exclusion, une attaque contre les plus pauvres et une atteinte à la démocratie elle-même

Selon une analyse du sociologue et éducateur Miguel Arroyo, le processus de militarisation des écoles est un projet de criminalisation de l’enfance populaire. Ce dernier met en évidence une tendance générale à davantage développer ce processus dans les quartiers populaires et périphériques de nos villes.

En effet, la militarisation des écoles brésiliennes a été instaurée quasiment en priorité dans les zones périphériques où vivent les garçons et les filles afrodescendants les plus pauvres et les populations les plus vulnérables. Sous couvert d’atténuer la violence dans les écoles, un fléau qui frappe durement une société marquée par un grand nombre d’inégalités sociales et économiques, l’idéologie de la militarisation a gagné le soutien de la population, en particulier dans cette frange de la société.

L’idée partagée par certaines familles de ces quartiers plus périphériques, selon laquelle une école militarisée offrira plus de sécurité à leurs enfants, est le reflet d’une politique d’État qui s’appuie sur la peur et la menace.

La gravité de l’expérience des écoles militarisées est accentuée lorsque l’on constate que cette politique génère davantage d’exclusion et de préjugés dans le milieu scolaire. Si ces éléments présentaient déjà des failles dans l’espace scolaire civil, elles auront tendance à s’aggraver drastiquement dans les établissements scolaires militarisés.

La tendance à normaliser le comportement et l’identité des élèves dans un environnement tel que l’école contribuera à renforcer les préjugés et l’exclusion de toutes les personnes « différentes », touchant nos élèves les plus pauvres, ainsi que les femmes, les populations afrodescendantes et les communautés immigrées, homosexuelles ou transsexuelles.

Le secteur de l’éducation brésilien doit s’attendre à de nombreuses confrontations, face à un système qui s’est tristement imposé dans le pays après l’élection de Bolsonaro, principal promoteur de ce modèle d’éducation. Au-delà de cela, il sera nécessaire de lutter contre l’idéologie diffusée et assimilée par certaines familles qui défendent ce modèle scolaire comme une option viable pour l’éducation de leurs enfants. Face à autant de transgressions explicites par rapport à notre système juridique, ce débat finira inévitablement devant les instances judiciaires supérieures de notre pays.

Point essentiel, la défense des écoles publiques prend aujourd’hui la forme d’une lutte politique pour la défense de la démocratie. Une démocratie gravement menacée dans notre pays sous le gouvernement de Bolsonaro.

1. ^

Les défenseur·euse·s de ce mouvement conservateur et réactionnaire s’attaquent à la liberté académique des professionnel·le·s de l’enseignement et, dans la perspective de réécrire l'histoire du Brésil, commencent à adopter un révisionnisme absolu de notre propre historiographie officielle, encensant et défendant la dictature civile et militaire sanglante instaurée au Brésil entre 1964 et le milieu des années 1980.

2. ^

La promesse du gouvernement Bolsonaro de rendre opérationnelles 216 de ces écoles d’ici la fin de son mandat s’est accompagnée d'un engagement du gouvernement fédéral à allouer près de 152.000 euros (1 million de réaux brésiliens) à chacune des parties prenantes.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.