Les Panama Papers, l’éducation publique et la démocratie
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Par Susan Robertson, University of Bristol
En quoi les Panama Papers, dernière fuite d’informations sur les riches et les puissants de ce monde, concernent-ils l’éducation publique et la démocratie? « À bien des égards », vais-je dire dans la présentation que je vais faire à l’occasion d’une importante conférence de l’Internationale de l’Éducation sur les politiques et la recherche qui se tient à Rome aujourd’hui et demain. Parce que ces documents en disent long sur le genre de société que nous sommes devenus, et sur les raisons pour lesquelles un bien public comme l’éducation est de plus en plus vu comme inabordable.
Les gouvernements estiment que les difficultés auxquelles ils se heurtent résultent d’une trop forte demande de la population à l’égard de services comme les services d’éducation et de santé et d’autres services sociaux, et qu’il faut donc faire baisser la demande et accroître la contribution et la responsabilité du secteur privé.
Mais examinons un peu les raisons pour lesquelles les gouvernements se trouvent au départ confrontés à ces difficultés en posant une autre question.
Se pourrait-il que le vrai problème soit attribuable au fait que les très très riches — les 10 % et le 1 % de ces 10 %, comme le montre Thomas Piketty dans son livre à succès Le capital au XXIe siècle — sont devenus riches grâce à des politiques publiques mises en place de telle sorte qu’elles ont permis à cette réalité hautement inéquitable de s’imposer?
En bref, des personnes et des entreprises fortunées sont capables d’échapper à leur obligation de contribuer à leurs sociétés respectives grâce à de faibles taux d’imposition et à des mesures d’allègement fiscal tout en se convainquant elles-mêmes et en convainquant le grand public que ces mesures sont bonnes pour la croissance et le développement économiques, et pour la démocratie.
Les Panama Papers, une liste rendue publique ce weekend sur laquelle figurent des gens riches et puissants qui utilisent l’anonymat de paradis fiscaux comme la Suisse, le Luxembourg et les Bahamas pour accumuler de l’argent, viennent s’ajouter à la liste des dénonciations de plus en plus troublantes de ce qui se passe au royaume des riches.
Gabriel Sucman, dans son livre révolutionnaire publié en 2015, La richesse cachée des nations, estime qu’en moyenne — et de toute évidence, les moyennes dissimulent de grandes différences entre les pays — environ 8 % de la richesse mondiale se trouve dans des paradis fiscaux. Et l’auteur ne parle pas de dépôts, mais bien d’actions, d’obligations, etc.
Cette richesse, dans certains cas difficile à retracer en raison d’activités de courtage judicieuses comme la création de sociétés fictives, n’est pas soumise à l’impôt et ne contribue donc pas à financer nos services publics en tant que biens publics. Si ces 8 % étaient soumis à l’impôt, ils génèreraient plus de fonds qu’il n’en faut pour remettre de l’ordre dans les services publics. Ces 8 % permettraient de renflouer l’économie grecque plus de 21 fois. Ces 8 % sont à l’origine d’une grande part de la misère associée aux politiques d’austérité. En réalité, ces 8 %, dont on peut dire à tout le moins qu’ils sont antidémocratiques, frisent la corruption. Et de trouver tout cela parfaitement acceptable relève de l’immoralité.
Wolfgang Streeck, directeur de l’Institut Max Planck en Allemagne, a beaucoup écrit et de façon très convaincante sur ce qu’il appelle le passage de l’État fiscal à l’État débiteur. Dans un État fiscal, les biens publics sont financés par les impôts. Dans un État débiteur, les biens publics sont vus comme inabordables et doivent être financés par un endettement des ménages ou des acrobaties comptables de la part de l’État, par exemple des activités hors bilan qui ne font qu’aggraver le problème pour les générations futures dans une promesse du genre « achetez maintenant et payez plus tard ».
Pourtant, comme nous le rappelle Gabriel Sucman, les démocraties modernes se fondent sur un contrat social fondamental selon lequel chacun paie sa juste part de façon transparente pour avoir accès aux biens et services publics. Quand les privilégiés et les nantis fuient leurs responsabilités, par exemple en ne payant presque pas d’impôt, ils mettent en jeu le contrat social moderne.
L’éducation est, à juste titre, au cœur du contrat social moderne. L’éducation est l’un de ces précieux cadeaux qui nous est fait : apprendre à vivre dans un esprit de respect mutuel, apprendre comment laisser le monde dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé et, comme nous l’a rappelé aujourd’hui l’un des conférenciers à la conférence de l’Internationale de l’Éducation, Dennis Shirley, permettre à la prochaine génération de vivre sa vie dans toute sa plénitude.
Ce n’est pas un cadeau qui contribue seulement à créer les conditions propices à la démocratie, bien que cela soit vrai. C’est un cadeau qui exige de nous tous, et en particulier de la profession enseignante, un sens aigu des responsabilités afin de nous éloigner de cette immoralité pour nous faire avancer vers quelque chose de bien plus noble, quelque chose que la prochaine génération d’apprenantes et apprenants mérite.
Pour en savoir plus sur les Panama Papers, cliquez ici.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.