Tous pour un… ou chacun pour soi?
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Par Sylvain Marois, Vice-président sortant de la FNEEQ, Chargé de cours à l’Université Laval
An education “that could help students feel like the subjects of their own lives, rather than merely objects being acted upon by outside forces [1].
Qu’ont en commun le congédiement des tutrices et tuteurs (certains avec plus de 20 ans d’expérience) à la Télé-université du Québec (TÉLUQ), le congédiement des superviseurs de stage en éducation à l’Université Laval (UL) (ici aussi on parle de gens d’expérience), le lock-out des professeurs-es à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), les profonds et récurrents dysfonctionnement dans la 'gouvernance', les investissements gargantuesques dans la formation en ligne, l’enseignement médiatisé ou le eCampus (selon la novlangue) et le financement intégré des étudiants-es gradués-es?
S’agit-il de problématiques sans aucun lien et, somme toute, prévisibles dans des organisations de la taille de nos universités modernes? À première vue, on pourrait y voir un chapelet de situations hétéroclites. Dans les faits, il s’agit bien d’une mouvance concertée, appuyée par des outils informatiques puissants de gestion de la paie et du personnel. C’est ainsi que le bulldozer de la ‘gouvernance’ privée progresse et s’installe à demeure. Exit la collégialité !
Le néolibéralisme et le fractionnement
Le message était pourtant clair au sortir des États généraux sur l’enseignement supérieur de mai 2018 (ÉGES): c’est toute la communauté universitaire qui souffre des transformations managériales et seule une réponse collective peut y faire face et offrir la possibilité d’un revirement, de victoire. Si les grandes coalitions ne peuvent garantir un succès total et complet, elles n’en demeurent pas moins des leviers politiques importants.
N’importe quel front commun est plus fort que des approches individualisées ou corporatistes. Et c’est ce qui étonne présentement au Québec. Alors que les attaques se multiplient, on voit plusieurs groupes chercher à régler les problèmes un à la fois, à chercher à contrer les vagues d’attaques une par une, sans tenir compte, semble-t-il, de l’ensemble du tsunami.
Ainsi en est-il à la TÉLUQ où, alors qu’on a procédé au remplacement des tutrices et tuteurs d’expérience par des sous-traitants à contrat issus d’une entreprise privée, on a eu droit au silence le plus complet des collègues et de l’ensemble de la communauté universitaire.
Silence encore lors des mises à pied des superviseurs de stages à l’Université Laval. Toutefois, le jour où l’UQTR a déclaré le lock-out de ses professeurs-es (une première dans nos universités!), c’est toute la communauté qui s’est levée et s’est indignée pour se porter à la défense des professeurs ( malgré certains coups bas envers les chargés de cours et la réponse qui n’a pas tardée). Il ne s’agit pas d’opposer deux corps d’enseignants, mais plutôt d’attirer l’attention sur la solidarité.
De ce dernier cas, il faut souligner l’intervention rapide du gouvernement provincial dans le conflit. Non seulement le lock-out constitue une triste première, mais l’intervention de l’État (par la voix de la ministre de l’enseignement supérieur) est une autre mauvaise nouvelle pour l’autonomie des universités, des syndicats et la liberté de négocier de bonne foi avec nos administrateurs.
Pire encore, l’intervention de la ministre était associée à une “invitation” aux deux parties à négocier de bonne foi, sinon son gouvernement déposera une loi spéciale. Le recours au lock-out, l’intervention de l’État et la menace d’une loi spéciale sont, toutes trois, des catastrophes pour les professeurs de l’UQTR. Plus largement, ce sont les relations de travail, la libre négociation entre les parties et l’autonomie universitaire de toutes les universités qui sont en jeu.
Est-il nécessaire de rappeler que l’État est aussi celui qui finance les universités -et donc le salaire des professeurs-, ce qui le place dans un flagrant conflit d’intérêt lorsqu’il intervient ainsi dans une négociation ?
Enfin, ce “test-laboratoire” dans une université en région est une menace réelle et concrète pour toutes les autres universités, les personnes qui y travaillent et pour celles et ceux qui y étudient. C’est pour cela que nous insistons : de telles crises ne se règlent pas à la pièce.
Divisions et reculs
Le constat actuel est donc plutôt sombre. Malgré le succès des ÉGES et les pistes de solutions avancées, les engagements de certains partis politiques et la création d’un collectif de la communauté de l’enseignement supérieur [2], il semble difficile d’incarner ou de faire avancer ces idées sur le terrain.
Certains gains sont importants, notamment sur la bonification de certaines formes d’aide financière et la question des dossier à caractère sexuel et autres violences sexuelles sur les campus (gains pour toute la communauté universitaire), mais il en va autrement pour les personnels des universités.
La contractualisation et la précarisation sont en hausse. Des professeurs quittent pour la retraite et sont remplacés par des enseignants contractuels. La situation est semblable chez les employés-es de soutien. La tâche des contractuels évolue et prend de plus en plus de place dans la sphère administrative.
Il faut aussi inclure à cette contractualisation les dizaines de milliers d’étudiants-es gradués-es qui sont maintenant de la main-d’œuvre salariée pour les universités [3]. Bien sûr, ils y prennent de l’expérience, mais la nature de leurs relations avec l’université n’est plus la même qu'auparavant.
Du côté des professeurs, l’exemple brutal du lock-out et la menace d’une loi spéciale démontrent bien que la permanence n’est plus le rempart qu’elle était et qu’elle ne suffit plus pour faire face à la multiplication et à la diversification des attaques.
Que faire alors ?
Ce portrait de la situation actuelle dans les universités québécoises est sombre, mais réaliste. La gouvernance privée qui est au cœur de ces attaques, de ces transformations, de ces reculs. Nous savons qu’il en va de même dans d’autres pays où la situation est souvent bien pire.
Toutefois, il y a de l’espoir. Nous avons connu quelques récentes victoires et chacune a en commun la menace de l’exercice de la grève. Il y a des leçons à tirer de ces tactiques. Faudrait-il réfléchir ensemble à des stratégies de grèves (ou mandat de grève) multisectorielles ? Nous y reviendrons dans un prochain billet.
[1] A Marxist Education, Learning to Change the World, Wayne Au, 2018, p. 20
[2] Voir www.eges.quebec
[3] Il y a encore 10 ou 15 ans, l’étudiant moyen était plutôt boursier, maintenant, il est syndiqué (tant mieux!) et salarié de l’université. Ceci n’est fondamentalement pas une mauvaise chose, nous soulignons strictement le passage de bousier à salarié à contrat.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.