Le chant des sirènes du privé
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By Sylvain Marois, Chargé de cours, Université Laval. Chercheur autonome.
«
La CAQ pense à scinder l'Éducation et l'Enseignement supérieur pour faire en sorte que les cégeps et les universités soient davantage au diapason avec le secteur privé [1]. »
L’élection de la Coalition avenir Québec (la CAQ) le 1er octobre 2018, après une campagne électorale autour de faux enjeux sur l’immigration et la laïcité de l’État et sans un mot sur l’enseignement supérieur, inquiète pour plusieurs raisons. Bien qu’élu démocratiquement, ce parti s’inscrit résolument dans la droite économique, sans parler de nombreux relents socio-conservateurs.
À preuve, une des premières actions du nouveau gouvernement sera de diminuer le seuil d’immigration... tout aussi inquiétant sera la nomination rapide de Youri Chassin comme conseiller du ministre de l’Enseignement supérieur, monsieur Jean-François Roberge. Dès sa nomination confirmée, M. Chassin s’est attaqué au financement des collèges publics du Québec (CÉGEP). Mais qui est Youri Chassin ?
« M. Chassin est économiste à l’Institut économique de Montréal (IEDM), un think tank très connu et plutôt fort en communication. Ce groupe, qui intervient régulièrement dans le débat public, est généralement contre l’intervention de l’État, favorable à de multiples privatisations, et milite pour une réduction des taxes [2]. »
Sans surprise, sa position sur la lutte à l’augmentation des droits de scolarité en 2012 était la suivante : « uniformly low tuition fees represent a wealth transfer… to the rich [3]. » Rien de nouveau ici. L’intérêt des entreprises privées, des philanthropes et des grandes fondations envers l’enseignement supérieur, et plus particulièrement pour les universités, n’a rien d’un phénomène récent [4]. Déjà, en 1895, William Peterson, alors principal de McGill, « cultive des liens étroits avec la communauté d'affaires anglo-montréalaise ». Ainsi McGill peut compter sur « de nouvelles et généreuses libéralités de grands dirigeants d'affaires tels Sir Donald A. Smith (Lord Strathcona) [… et] Sir William Macdonald […] [5] ».
C’est bien connu, les grands philanthropes bénéficient de leurs dons aux universités, et ce de multiples manières : crédits d’impôts, reconnaissance, prestige, etc., mais surtout une forme de contrôle. Mais comment expliquer, ou comment comprendre l’attrait, autre que financier, de la part des universités envers ces formes d’assujettissement? L’université ne se définie-t-elle pas comme libre, démocratique, autonome, collégiale, inscrite dans la cité?
Si 2018 marque un tournant politique au Québec avec l’élection de la CAQ, et la fin de l’alternance entre le Parti Libéral et le Parti Québécois, c’est aussi le 50e anniversaire de la fondation de nos premières véritables universités publiques. Oui, malgré de solides institutions publiques, le Québec est tout jeune encore! Cet anniversaire est souligné, comme il se doit, par la communauté universitaire, notamment sous la forme du splendide bilan, dont les plus de 700 000 diplômés-es depuis 1968. C’est ce réseau, le réseau de l’Université du Québec qui a, grâce à ses antennes sur tout le territoire, contribué à sortir le Québec de la « grande noirceur » des années 1950 [6].
Bien sûr, un anniversaire est un moment de célébration – grandement mérité dans ce cas-ci –, mais n’y aurait-il pas aussi place à l’introspection? 50 ans après la fondation de la première université publique du Québec, l’Université du Québec à Montréal (UQAM), une université qui se voulait « permanente et populaire, ouverte au milieu, moderne et prospective, critique et créatrice ainsi qu’assurée d’une vocation entière, inter-disciplinaire et souple, dans ses structures [7] », n’y a-t-il pas lieu de se demander comment l’université a pu être si perméable au privé, aux approches managériales, à la nouvelle gestion publique, bref au néolibéralisme?
À l’instar des autres idéologies, le néolibéralisme n’est justement que cela, une idéologie.
Il s’agit donc d’une idéologie vaste et qui affecte l’ensemble de la société, mais il n’est pas auto-opérationnel. En d’autres mots, malgré tous les maux qu’il sous-tend, ses manifestations et conséquences directes et indirectes, il doit être opérationnalisé par des forces externes. Bref, la question n’est certes plus de se demander si l’université est néolibérale, mais plutôt de tenter de voir comment a pu se déployer cette vision managériale tout-à-fait contraire à la proverbiale collégialité, à la gestion participative, au bicaméralisme [8].
Certains chercheurs, comme Benjamin Ginsberg dans son ouvrage The Fall of the Faculty and the Rise of the All-Administrative University and Why It Matters [9], blame la montée d’une armada de cadres et autres gestionnaires qui ont, grâce à leur nombre et leur rôle, fait basculer la balance du pouvoir des professeurs, moins nombreux et de plus en plus remplacés par des contractuels. D’autres sources jugent que c’est l’individualité grandissante, la compétition entre les professeurs-chercheurs pour les fonds de recherche, le publish or perish, la reconnaissance; d’autres accusent les contractuels, le définancement publique, etc.
Au-delà de tous ces constats, ne devrions-nous pas porter notre regard vers celles et ceux qui proposent les enlignement politiques de nos universités, comme notre nouveau Premier ministre, François Legault? Rappelons qu’il a été ministre de l’Éducation de 1998 à 2002 et qu’il est responsable des infâmes contrats de performance imposés aux universités. Ces contrats de performance rendaient une partie du financement des universités « conditionnel à l’atteinte d’objectifs tels que : un meilleur taux de diplomation, une augmentation du nombre d’étudiant·e·s, un meilleur recrutement de professeurs, une plus grande efficacité du personnel, etc. [10] ».
Bien que dénoncés à l’époque, cette vision entrepreneuriale a profondément transformée nos universités, leur financement ainsi que la reddition de compte associée à ces contrats (une lourdeur administrative chronophage inutile). Maintenant qu’il est Premier ministre, que peut-on vraiment attendre d’un tel leadeur politique?
De tous les processus exogènes qui infléchissent les missions des universités, les pires, les plus catastrophiques sont les grandes orientations politiques. La vision qui vient d’en-haut! Bien sûr, la communauté universitaire doit s’opposer, se battre, se serrer les coudes comme jamais et éviter de contribuer à pervertir les processus démocratiques qu’elle cherche à défendre, mais elle doit surtout investir le champ politique.
L’université doit demeurer autonome et cette autonomie repose entre les mains des membres de la communauté universitaire, des tous les membres. La liberté académique n’est pas un dispositif de défense des droits de certains, mais plutôt un outil de revendication collectif. Les universitaires doivent repolitiser leur rôle, investir la sphère publique et s’opposer à ce détournement des missions fondamentales. Ils et elles doivent devenir un remède endogène à ces assauts mercantiles qui ne cherchent qu’à planter le drapeau du capitalisme dans chacune des salles de classe, sur chaque bureau… dans le dos de chaque étudiant-e.
[1] Le Soleil du 17 octobre 2018 : https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201810/17/01-5200578-un-premier-coup-de-balai-chez-les-hauts-fonctionnaires.php
[2] Le Journal de Montréal du 17 avril 2017 : https://www.journaldemontreal.com/2018/04/17/youri-chassin-en-dix-idees
[3] Source : https://www.iedm.org/36726-placards-and-slogans-for-a-second-rate-education
[4] Pour en savoir plus sur les questions éthiques du financement qui vient des grandes fondations : https://www.ledevoir.com/societe/science/543021/fiancement-de-la-science-les-fondations-philanthropiques-profitent-aussi-des-paradis-fiscaux
[5] L'idée d'université. Une anthologie des débats sur l'enseignement supérieur au Québec de 1770 à 1970. (2001) Disponible ici : http://classiques.uqac.ca/contemporains/corbo_claude/idee_universite/idee_universite.html
[6] Pour en savoir plus, lire L’université du Québec, 50 ans de contribution éducatives et scientifiques au développement du Québec, Presses de l’Université du Québec, 2018, 644 pages.
[7] Le syndicalisme universitaire et l’État, Hurtubise hmh, 1977, p. 45-46.
[8] Sylvain Marois, Ouvrage collectif sur l’université, à paraître.
[9] Benjamin Ginsberg, The Fall of the Faculty and the Rise of the All-Administrative University and Why It Matters, Oxford University Press, 2011
[10] Voir : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/la-caq-et-l-enseignement-superieur-chronique-d-une-marchandisation-annoncee
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.