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Mondes de l'éducation

Éducation et droit d’auteur : les obstacles à l’enseignement dans un environnement numérique

Publié 9 mai 2022 Mis à jour 17 juin 2024
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L’accès à la connaissance est un aspect important du droit à l’éducation. Afin de pouvoir répondre aux besoins de leurs classes, les enseignant·e·s font souvent appel à un large éventail de ressources de provenances diverses (par exemple, de courtes vidéos, des images et articles) pour compléter leurs ressources d’enseignement traditionnelles (par exemple, des manuels scolaires et autres matériels sélectionnés). Ces ressources sont souvent protégées par le droit d’auteur et les droits connexes [1].

Reconnaissant la mission publique essentielle de l’éducation, ainsi que le droit des enseignant·e·s de choisir et adapter les matériels pédagogiques sans avoir à demander la permission de la personne détentrice du droit d’auteur, les gouvernements prévoient des exceptions et des limitations au droit d’auteur pour l’éducation. Malheureusement, la pandémie de COVID-19 et le basculement généralisé vers l’enseignement à distance pendant la fermeture des écoles ont plus que jamais mis en lumière que ces exceptions et limitations ne sont pas toujours adaptées à l’enseignement dans un environnement numérique.

L’étude Est-ce légal ? Éducation et droit d’auteur à l’ère numérique analyse 10 scénarios d’enseignement et d'apprentissage numériques et en distanciel impliquant l’utilisation de ressources protégées par le droit d’auteur ou d’autres lois dans 40 pays d’Afrique, d’Asie-Pacifique, d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et des Caraïbes.

Les conclusions de cette étude indiquent que, dans bon nombre de pays, la législation en vigueur pour le droit d’auteur empêche l’utilisation de ressources protégées dans le cadre des activités éducatives organisées à distance (par exemple, des cours en ligne ou radiodiffusés en direct) ou de l’enseignement à la demande impliquant le recours à des fonctions numériques (par exemple, l’envoi de courriels ou le stockage de supports de lecture sur une plateforme scolaire). Cette situation force les enseignant·e·s soit à s’abstenir d’utiliser ces ressources, soit à travailler dans un certain flou juridique.

Où en sommes-nous ?

Voici quelques cas de figure et tendances relevés dans l’étude illustrant les inégalités entre les régions et pouvant orienter les initiatives en faveur d’une réforme du droit d’auteur :

  • Les pays ayant des dispositions générales et flexibles en matière d’utilisation équitable et ceux disposant d’exceptions larges et technologiquement neutres sont mieux équipés pour organiser l’enseignement distanciel et numérique. La majorité de ces pays sont situés en Europe et en Amérique du Nord. Les éducateur·trice·s et les élèves d’Afrique, d’Amérique latine, des Caraïbes et, dans une moindre mesure, d’Asie-Pacifique, sont particulièrement désavantagé·e·s, étant donné que leur législation en matière de droit d’auteur n’est pas adaptée à l’ère numérique.

Ce scénario illustre parfaitement cette fracture en matière de droit d’auteur. Contrairement aux pays plus développés, les pays d’Amérique latine et d’Afrique en particulier ne sont pas très efficaces dans ce cas de figure. Ils n’autorisent pas la communication et/ou le partage à distance de ressources protégées par le droit d’auteur.

  • Les instruments internationaux pour les exceptions obligatoires (par exemple, l’obligation de citation dans la Convention de Berne), les lois types reconnues au niveau international pour les exceptions (par exemple, l’exception type pour l’éducation dans la Loi type de Tunis sur le droit d'auteur à l'usage des pays en voie de développement), de même que les instruments régionaux pour les exceptions obligatoires (par exemple, l’exception obligatoire pour l’éducation numérique et transfrontalière dans la nouvelle directive de l’Union européenne relative au droit d’auteur), jouent un rôle important dans la réforme des législations nationales en matière de droit d’auteur.

Ce cas de figure illustre le rôle que jouent les lois internationales types. En Afrique, contrairement à d’autres régions, la plupart des cadres légaux n’interdisent pas l’utilisation de ressources protégées dans le cadre des cours radiodiffusés, étant donné qu’ils sont le plus souvent influencés par l’exception type pour l’éducation prévue dans la Loi type de Tunis de 1976 qui considère parfaitement licite d’« utiliser l'œuvre à titre d'illustration de l'enseignement par le moyen de […] radiodiffusion ».

  • Les collaborations pédagogiques, les cours en ligne et d’autres activités impliquant l’utilisation de ressources protégées entre élèves et enseignant·e·s résidant dans des pays différents demeurent problématiques. Les activités pédagogiques transfrontalières étant uniquement régulées au sein de l’Union européenne, les échanges de ressources protégées par-delà les frontières européennes ne sont pas possibles.

Recommandations pour éliminer la fracture numérique en matière de droit d’auteur

Le monde est dramatiquement « à la traîne » en ce qui concerne la réalisation du Programme de développement durable pour l’éducation. Il est par conséquent essentiel pour les gouvernements d’agir maintenant.

  • Les gouvernements doivent réformer en profondeur leur législation en matière de droit d’auteur pour s’assurer de disposer d’exceptions larges et flexibles pour l’éducation qui soient pertinentes en regard des innovations, quelles que soient les méthodes d’enseignement et d’apprentissage. Sans quoi, les communautés éducatives à travers le monde seront confrontées à des exceptions trop restreintes pour l’éducation qui finiront par compromettre l’enseignement et l’apprentissage de qualité dans un environnement numérique et en ligne.
  • La réforme du droit d’auteur doit être entreprise en consultation avec les enseignant·e·s et leurs représentant·e·s afin qu’elle soit profitable à l’enseignement et à l’apprentissage.
  • Les recherches sur les pratiques pédagogiques numériques et distancielles qui analysent la façon dont les enseignant·e·s travaillent avec les ressources, de même que les problèmes rencontrés, peuvent apporter un éclairage intéressant aux responsables politiques en charge du droit d’auteur.
  • Les lois et modèles internationaux non contraignants sont des véhicules importants pour parvenir à un consensus international concernant les instruments contraignants et l’aide à apporter aux pays pour réformer leur législation en matière de droit d’auteur en vue d’adapter les exceptions pour l’éducation à un environnement numérique et distanciel.
  • Les responsables politiques doivent s’efforcer de définir un instrument international contraignant pour s’assurer que la communauté éducative puisse bénéficier d’un minimum de droits pour utiliser des ressources protégées par le droit d’auteur ou des droits connexes à des fins éducatives partout dans le monde. Ceci permettra de réduire considérablement le flou juridique et les risques encourus par les éducateur·trice·s, les apprenant·e·s ou toute autre personne participant à des activités éducatives, y compris dans un environnement transfrontalier.
  • Il convient d’étudier les solutions juridiques pour les utilisations pédagogiques transfrontalières aux niveaux bilatéral et multilatéral, afin de traiter spécifiquement certaines utilisations transfrontalières de ressources protégées à des fins éducatives, jugées essentielles pour les communautés éducatives.

L’étude complète de 2022 de Teresa Nobre (en anglais) est disponible ici : https://eiie.io/3PdfYEW

Le résumé de la recherche peut être téléchargé ici : https://eiie.io/3kKYGku

Note:

[1] Le « droit d’auteur » se réfère à l’ensemble des droits exclusifs accordés à l’auteur·e d’une œuvre. Les « droits connexes » se réfèrent à l’ensemble des droits exclusifs accordés à certaines catégories de personnes pour les matériels qu’elles produisent (par exemples, les artistes tel·le·s que les comédien·ne·s et les chanteur·euse·s, les producteur·trice·s d’enregistrements sonores et de films, les sociétés de diffusion).

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.