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Mondes de l'éducation

Photo: Centro de Estudios Multidisciplinarios Aymara (CEM-Aymara)
Photo: Centro de Estudios Multidisciplinarios Aymara (CEM-Aymara)

La réhabilitation des noms autochtones

Publié 30 août 2022 Mis à jour 4 août 2022
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Je m’appelle Kantuta, et je suis fière de porter un prénom d’origine aymara qui m’identifie et représente ma communauté. Les jours de pluie, ma grand-mère me disait : les enfants qui quittent ce monde sans prénom s’en vont rejoindre Tata Granizo. Une fois là-bas, ils nous envoient des billes de glace du haut du ciel. « Les enfants sans prénom sont condamnés à faire de la grêle jusqu’à s’en faire saigner les mains. C’est pour ça que les parents doivent donner un prénom à leurs enfants », insistait-elle.

Pour le peuple aymara, la rutucha renforce les prénoms des filles et des garçons. Il s’agit de la toute première coupe de cheveux que l’on fait à un nouveau-né durant sa première année. Lors de ce rituel, les membres de la famille coupent une mèche de cheveux à l’enfant et lui offrent un cadeau. La marraine et le parrain de la rutucha conservent les cadeaux pour plus tard.

Bien que les peuples autochtones soient prédominants en Bolivie et que le pays compte 36 langues autochtones, les personnes qui portent des noms aymaras sont souvent victimes de racisme. La discrimination et l’assimilation provoquent la perte des noms autochtones. C’est la raison pour laquelle la promotion des noms autochtones est essentielle pour réaffirmer et renforcer notre histoire, notre langue et notre identité.

Ethnocide : pourquoi les noms autochtones ne sont-ils pas utilisés ?

Les noms autochtones ont longtemps été refusés dans le but de détruire l’identité individuelle et collective des peuples. Cette interdiction, portée par les Etats coloniaux et postcoloniaux, s’inscrit dans le cadre de l’ethnocide du peuple aymara. Lors de la révolte de 1781, le chef rebelle aymara Julián Apaza se donne le nom de Túpac Katari en l’honneur de deux caciques : Tomás Katari et Túpac Amaru. En quechua, « Túpac » signifie « brillant » et, en aymara, « Katari » signifie « serpent ou rivière puissante qui charrie l’or ». Pour les peuples aymara et quechua, prendre ce nom était un acte de réaffirmation de l’histoire et de l’identité autochtones. Mais, pour les colons, Túpac Katari n’était qu’un être violent et sans pitié.

La société considère toujours les peuples autochtones sous le même prisme qu’autrefois, à savoir celui du « bon sauvage » et du « mauvais sauvage ». Ces deux visions alimentent les préjugés racistes car, aujourd’hui encore, c’est de cette manière que l'on considère une personne portant un nom autochtone. Selon cette vision, le « mauvais sauvage » est pauvre, alcoolique, fainéant et dangereux. Historiquement, les peuples autochtones ont dû abandonner leurs noms pour pouvoir être considérés comme des personnes et des citoyen·ne·s. Conformément à la Constitution bolivienne de 1843, pour accéder à la citoyenneté, une personne doit être inscrite au registre civil, occuper un emploi rémunéré (à l’exception des domestiques) et savoir lire et écrire. Or, il était interdit aux jeunes autochtones d’aller à l’école et de travailler contre une rémunération.

L’évangélisation forcée a amené les parents à baptiser leurs enfants avec des prénoms non autochtones. A cette époque, l’église exigeait des offrandes et avait recours au travail forcé. Après avoir mis fin au système de l’encomienda, l’église est devenue la seule entité autorisée à enregistrer les actes d’état civil, remplaçant l’encomienda par des sommes d’argent importantes lors des naissances, des baptêmes ou des mariages. Aujourd’hui, l’évangélisation est tangible dans la langue aymara. Par exemple, certains dictons décrivent les enfants non baptisés comme faibles. Quand un orage éclatait, ma grand-mère me cachait et veillait à ce que je ne sorte pas de la maison, car les éclairs d’Illapa ou de Tata Santiago emportaient les enfants non baptisés.

Quant à la vision du « bon sauvage », elle réduit la culture autochtone à un spectacle. Les noms autochtones sont parfois récupérés, généralement par des personnes extérieures, pour commercialiser des produits ou des services sans respecter leur symbolique sacrée.

Ces actes de discrimination et d’assimilation constituent les principales causes de rejet des prénoms autochtones. Souvent, les parents évitent de donner des prénoms autochtones à leurs enfants pour qu’ils et elles n’aient pas à subir ces discriminations. Cependant, de nombreux jeunes autochtones cherchent à récupérer leur nom et par conséquent, leur identité.

Pourquoi les noms autochtones sont-ils importants pour l’identité?

La revalorisation des noms autochtones fait partie intégrante de la reconstruction de l’identité et de la revendication des droits linguistiques et territoriaux. Un nom autochtone exprime la personnalité et l’avenir de celle ou celui qui le porte. Il révèle la future personnalité d’un nouveau-né, car il est relié aux spécificités de l’environnement, à la cosmologie, aux mouvements du soleil et aux divinités ancestrales.

Cette démarche s’inscrit aussi dans une volonté de réhabilitation de la langue aymara. Depuis les mouvements autochtones des années 1970, notamment en Bolivie, les indianistes, dont la lutte est fondée sur la revendication de leur identité, réhabilitent les prénoms autochtones chez leurs enfants, affirmant ainsi leur identité.

Les prénoms sont un symbole de l’identité collective en tant que peuples et nations. Ils nous invitent à renouer avec notre terre. Les territoires autochtones sont des espaces vivants où chaque membre de la communauté est un fil. Et la langue représente l’art de tisser ces fils. Par exemple, certains noms de famille trouvent leur origine dans les divinités de l’eau, les collines, les vastes prairies ou les animaux, protecteurs sacrés des peuples autochtones. Les noms sont donc le reflet de l’identité d’une ville et de son lien avec le territoire. C’est pour cette raison que les jeunes autochtones doivent exercer leur droit à porter leur nom.

Quels sont les droits qui protègent les noms autochtones ?

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) accorde une protection aux noms autochtones fondée sur le droit à la non-discrimination (article 2) et à la non-assimilation (Article 8). Il est également mentionné que « Les peuples autochtones ont le droit [...] de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes. » (Article 13) En d’autres termes, porter un nom autochtone est un droit collectif et individuel.

Comment pouvons-nous soutenir les noms autochtones ?

L’Objectif de Développement Durable 4 garantit une éducation équitable et inclusive pour toutes et tous. Les enseignant·e·s, les auxiliaires pédagogiques, les conseiller·ère·s d'orientation et le personnel éducatif doivent respecter les noms autochtones et leur signification. Les enseignant·e·s sont les modèles les plus influents de leurs élèves. A cet égard, le soutien et l’adhésion du corps enseignant au respect des noms autochtones contribuent à une éducation plus forte et plus inclusive. Enfin, en nous mobilisant pour la participation des éducateur·trice·s autochtones à l’élaboration des politiques d’éducation, nous créons un avenir favorable à l’enseignement des langues autochtones au sein des établissements.

Quant à moi, j’essaie d’apprendre à connaître ma culture et mon identité. La première étape de cette réappropriation de mon héritage culturel est passée par mon prénom. Aujourd’hui, je suis fière que le nom que je porte représente une partie du peuple aymara. Mon nom ainsi que tous les autres noms autochtones renforcent notre identité et notre histoire. Ils nourrissent aussi la diversité des cultures et favorisent le respect mutuel. Ensemble, nous pouvons bâtir un monde sans discrimination où le sens de nos noms serait respecté.

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La Journée internationale des peuples autochtones est célébrée chaque année le 9 août afin de sensibiliser le public aux droits de ces populations dans le monde. Le thème de cette année, Rôle des femmes autochtones dans la préservation et la transmission des savoirs traditionnels, offre l’occasion de reconnaître et d’examiner les différentes voies par lesquelles les systèmes éducatifs influent sur les droits des peuples autochtones, notamment ceux des femmes et des filles. À cette occasion, l’Internationale de l’Éducation lance une série de blogs visant à relayer la voix et les points de vue des peuples autochtones et des personnes qui les soutiennent à travers le monde. Cette série étudie les méthodes de travail utilisées par les expert·e·s de l’éducation, les militant·e·s, les chercheur·euse·s et les enseignant·e·s autochtones pour garantir une éducation de qualité centrée sur les systèmes de connaissances autochtones.

Si vous souhaitez contribuer à cette série de blogs, veuillez contacter Lainie Keper à l’adresse Lainie.Keper[at]ei-ie.org.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.