Les problèmes liés au droit d’auteur·e sont un obstacle à l’éducation transfrontalière
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Les problèmes de droit d’auteur·e et de licence peuvent constituer un obstacle important dans le quotidien des personnels qui enseignent au-delà des frontières nationales. Ces problèmes affectent la qualité de l’éducation et freinent le développement des stratégies d’apprentissage globales qui ont le potentiel de réduire les inégalités Nord/Sud en matière d’accès à l’éducation.
Prenons l’exemple d’un enseignant que nous appellerons Hichem Histoire et qui met au point des modules d’enseignement chaque semaine depuis son bureau situé dans un pays de l’hémisphère ‘Nord’ pour des élèves des hémisphères ‘Nord’ et ‘Sud’. Ses cours de sciences politiques se font avec des supports tels que de nombreux clips, enregistrements audio et vidéo de conférences de presse, ainsi que d’extraits d’articles qui illustrent tous ses propos sur les interrelations entre la diplomatie et le journalisme. Seulement, la plateforme de cours en ligne est munie d’un système de détection automatique des contenus protégés par le droit d’auteur·e et empêche les élèves d’y avoir accès.
Mathilde Mathématique travaille depuis un campus délocalisé dans un pays de l’hémisphère ‘Nord’ pour une université située dans un autre pays du ‘Nord’. Ses élèves se trouvent dans différents pays. Les publications sociologiques que Mathilde veut partager avec ses élèves ne peuvent être hébergées que sur la plateforme du campus principal et ne sont pas accessibles par les élèves des autres pays car la bibliothèque universitaire n’a pas prévu de tels cas dans son accord de licence.
Siham Sciences et Gédéon Géographie travaillent dans deux pays différents, l’un dans l’hémisphère ‘Nord’ et l’autre dans le ‘Sud’. Ils ont mis au point un programme innovant et collaboratif pour étudier les relations culturelles et internationales en se concentrant sur la résolution des conflits. Seulement, quand ils tentent de mettre en œuvre le programme, ils se retrouvent confrontés à une multitude de lois en matière de droit d’auteur·e, de ressources bibliographiques et de plateformes de cours. Ils ont alors recours à des données provenant de réseaux sociaux dont la fiabilité n’est pas garantie et de comptes personnels. Dès lors, leurs programmes ne peuvent être dupliqués ou partagés avec d’autres collègues.
Ces problèmes rencontrés par les personnels enseignants sont tous liés aux législations en matière de droit d’auteur·e, que ce soit parce qu’une plateforme enfreint certaines règles en la matière, parce que les différentes législations vont à l’encontre l’une de l’autre, ou parce que les fournisseurs ne proposent que des licences extrêmement restrictives pour renforcer la protection du droit d’auteur·e et/ou des supports électroniques à des prix exorbitants. Au passage, derrière chacune de ces histoires se cachent une ou deux vraies personnes dont l’identité est protégée par l’anonymat.
Une étude récente de l’Internationale de l’Éducation, menée par l’École de communication de l’American University de Washington D.C., indique que ces cas individuels sont plus que des anecdotes. Ce sont des preuves concrètes d’un problème plus large.
Cette étude se base sur une enquête menée auprès d’universitaires qui travaillent à l’international, que ce soit en coopérant avec des collègues d’un autre pays, en enseignant à des élèves également d’autres pays ou en travaillant dans une branche internationale de leur institution. Cette étude a été menée dans le monde entier et dans différentes langues entre le 15 mars et le 15 mai 2023. 214 universitaires ont participé à l’enquête. Les personnes ayant participé à l’étude, ainsi que leurs élèves, venaient des cinq continents. Les continents les plus représentés étaient l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie-Pacifique.
Environ la moitié ont déclaré avoir rencontré des problèmes liés au droit d’auteur·e, ou ne sont pas sûr·e·s que cela ait été le cas. Le problème le plus courant est celui de l’accessibilité aux supports de cours appropriés, que ce soit pour les élèves ou le personnel enseignant. Certains problèmes d’accessibilité étaient liés aux contrats que les universités ont avec les fournisseurs, d’autres étaient liés à certaines plateformes commerciales telles que Netflix, et d’autres encore étaient dus à certains filtres de détection de violation du droit d’auteur·e qui faisaient des excès de zèle. D’autres problèmes comprenaient le fait de ne pas pouvoir montrer les travaux des élèves en dehors des salles de classe à cause des restrictions liées au droit d’auteur·e, et les universitaires se sont ainsi rendu compte que des conflits entre les législations en matière de droit d’auteur·e de différentes juridictions les contraignaient à donner d’autres travaux à réaliser à leurs élèves.
Bien entendu, les enseignantes et les enseignants ne manquent pas d’ingéniosité lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes, et près de deux tiers des personnes ayant partiicpé à notre étude ont expliqué avoir essayé de trouver des solutions pour adapter leurs méthodes d’enseignement pour contourner ces problèmes. Une des solutions était de revoir les attentes à la baisse. Par exemple, ces personnes ont opté pour des supports de cours de deuxième ou troisième ordre. Parfois, les personnels enseignants ont laissé tomber les activités qui exigeaient la participation de tous les membres du groupe car des élèves ne pouvaient pas y participer. Les personnels ont parfois dû y mettre de leur propre poche, en achetant par exemple des documents protégés, ou ont fait protéger leurs propres travaux par le droit d’auteur. Cela leur fait perdre un temps précieux, et certaines solutions impliquent que les universitaires ignorent ce qui leur avait été demandé ou ce que la loi pouvait exiger.
Toutes ces solutions ont fait que tant ces personnels que leurs élèves ont dû payer le prix des règlementations internationales en matière de droit d’auteur·e. Leurs cours ne ressemblaient pas à ce qui avait été prévu. À cause de ces complications, leur travail n’a pas pu être reproduit de manière appropriée pour servir aux générations de futur·e·s enseignantes et enseignants.
Ces problèmes continuent de constituer un obstacle à l’accès à une éducation de meilleure qualité à travers le monde. Quand des supports de cours sont théoriquement accessibles mais coutent bien trop cher, quand ces supports n’ont jamais obtenu de licence pour être utilisés dans une juridiction nationale, quand la sorcellerie électronique destinée à l’éducation internationale est équipée de paramètres automatiques de détection de violation d’une législation sur le droit d’auteur·e bien trop restrictive, quand les clauses sur le droit d’auteur·e d’un pays ne permettent pas l’échange de documents entre collègues et entre élèves de manière appropriée, alors ce sont les élèves d’aujourd’hui et de demain qui en payent le prix. Ainsi, la promesse autrefois brillante d’un marché florissant pour une éducation mondiale demeure irréaliste et irréalisable.
Le personnel enseignant et les leaders politiques doivent coopérer pour mettre en place des politiques plus favorables à l’éducation. À l’heure actuelle, les personnels enseignants et leurs élèves sont soumis aux caprices et aux diktats des compagnies privées qui décident des prix et des conditions d’utilisation de ces supports. Toutes et tous doivent se soumettre aux conditions variables des régimes gouvernant le droit d’auteur·e et à la volonté des autorités administratives de l’éducation qui sous-financent les projets internationaux sous prétexte que les personnels enseignants trouveront toujours une solution.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.