Ei-iE

Norvège : éducation de qualité, solidarité internationale et résolution de la pénurie d’enseignant·e·s sont les impératifs des syndicalistes du monde entier

Publié 13 novembre 2023 Mis à jour 22 mars 2024

Dans son dernier discours officiel en tant que président du Syndicat de l’éducation de Norvège (UEN - Union of Education Norway), Steffen Handal, également membre du Bureau exécutif de l’Internationale de l’Éducation (IE), s’est exprimé sur les réalités de l’éducation dans son pays et dans le monde : « Jamais la pénurie d’enseignantes et enseignants n’a été aussi pressante qu’aujourd’hui ! Jamais il n’y a eu autant d'enseignantes et d’enseignants qui envisagent de changer de profession, même s’ils aiment cette profession ! »

« Dans le développement de l’État-providence et de la démocratie, l’éducation de qualité pour toutes et tous a joué un rôle important, peut-être même décisif. Mais aujourd’hui, en dépit d’une augmentation de la qualité de vie et de la prospérité, il y a davantage d’enfants du niveau pré-primaire et d’élèves des écoles qui grandissent dans la pauvreté. Pour le dire autrement, nous sommes à la fois devant une prospérité grandissante et une pauvreté qui augmente, en même temps. Cette situation exacerbe les tensions entre divers groupes et peut nourrir les antagonismes au sein de la société. Un bon système éducatif doit combler les fossés qui divisent et réduire l’exclusion sociale. Un enseignement de qualité donne aux élèves l’occasion de construire leur savoir, leur quête de vérité et leur capacité à exercer leur esprit critique », a fait remarquer Handal pour décrire le paysage de l’enseignement en Norvège.

Le dirigeant du syndicat d’enseignant·e·s a également reconnu qu’il avait été profondément ému par le rapport émis par la Commission de vérité et réconciliation de Norvège, un rapport qui expose de façon détaillée « ce qui est absolument le point le plus bas que nous ayons atteint dans l’histoire de notre société et dans notre profession », à savoir la trahison de la population des Sames, des Kvènes et des Skogfinns. Le rapport montre que les enseignant∙e∙s norvégien∙ne∙s, de même que les gens d’Église, ont servi de fer de lance à une politique de « norvégisation systématique par le biais de l’enseignement, laquelle a dépossédé des familles entières de leur langue, de leur culture et de leurs traditions ».

Handal a rappelé que, « avec ses racines qui remontent à il y a plus de 130 ans, notre syndicat a organisé la prise en charge, par de nombreux enseignantes et enseignants, d’enfants sames, kvènes ou skogfinns dans leur salle de classe. Il nous faut donc reconnaître la responsabilité qui est la nôtre dans les abus qui ont été commis contre l’identité de ces enfants, leur culture et la construction de leur personnalité. C’est avec douleur que l’on prend la pleine mesure de ces abus. Notre organisation dans son ensemble doit désormais contribuer à la revitalisation de la langue et de la culture des Sames, des Kvènes et des Sgokfinns, et cela doit être mis en place dès le niveau pré-primaire et dans les écoles. »

Handal a ensuite évoqué le contexte mondial, et il fait remarquer que dans bien des endroits du monde, la guerre et les conflits mènent des groupes de personnes à se dresser les unes contre les autres, et que les enfants y apprennent à identifier l’Autre comme l’Ennemi. « Au cœur de cette tourmente, c’est notre tâche, à nous, en tant qu’enseignantes et enseignants, que d’offrir une éducation à ces enfants, afin qu’ils apprennent à penser de façon critique et éthique », a-t-il dit.

Le dirigeant de l’UEN a reconnu que la profession enseignante doit contribuer à construire une communauté partagée, par-delà les frontières établies.

« Les organisations d’enseignantes et enseignants sont l’outil dont nous avons besoin pour consolider le rôle de notre profession », a continué Handal. « À l’heure où ce qui devrait être de l’information est, sans souci de la vérité, transformé en propagande, et que celle-ci est diffusée par les réseaux sociaux et par les gouvernements de pays en guerre, il est de notre responsabilité d’enseignante et enseignant de favoriser l’esprit critique et la capacité à explorer des perspectives différentes. Et à apprendre l’un de l’autre par-delà les frontières entre pays. »

Jamais la pénurie d’enseignant·e·s n’a été aussi pressante qu’aujourd’hui

Ajoutant que « nous sommes confrontés à des difficultés énormes en ce qui concerne le recrutement d’enseignantes et enseignants dans les écoles maternelles et les établissements scolaires, alors même que de plus en plus d’enfants et d’adolescentes et adolescents sont confrontés au stress et à divers type de pressions, à la détresse et à l'exclusion sociale », Handal a souligné : « Il s’agit là de choses qui sont liées, et elles sont liées du fait qu’on n’accorde pas aux priorités établies par les enseignantes et enseignants la place que l’on devrait. Il y a trop de responsables politiques, trop d’organisations qui ont des intérêts en jeu, trop d’économistes et de psychologues, qui ont trop peu de connaissances concernant l’école et l’éducation préscolaire, mais qui ne cessent d’imposer des tâches et des responsabilités supplémentaires aux enseignantes et enseignants. »

Le magazine norvégien Education News a évoqué de façon développée le cas d’enseignant·e·s expliquant que leur rôle est aujourd’hui complètement dénaturé et a perdu toute définition claire quant aux tâches à effectuer, a également déclaré Handal, affirmant que, dans les établissements d'enseignement préscolaire et les écoles, les enseignant·e·s sont devenu·e·s gardien·ne·s, travailleur∙euse∙s sociaux∙ales, agents d’entretien et psychologues. En outre, de nombreux établissements ont développé une politique autorisant à contacter les enseignant·e·s à tout moment, y compris le soir et le week-end.

Handal a également souligné le point suivant : « Jamais il n’y a eu autant d’enseignants et d'enseignantes qui envisagent de changer de profession, même s’ils aiment cette profession ! »

Rappelant à son auditoire que sans enseignant·e·s, il n’y a pas d’enseignement, le président de l’UEN a déclaré que cette pénurie critique d’enseignant·e·s peut s’expliquer « par le fossé qui existe entre ce à quoi les enseignantes et enseignants eux-mêmes accordent de la valeur et ce à quoi les gouvernements accordent de la valeur. En tant que professionnelles et professionnels du secteur, nous savons que de bonnes intentions ne sont pas suffisantes, il faut aussi avoir de bonnes connaissances, et, au moins autant, produire des résultats positifs. De nos jours, on implante de nombreux systèmes qui ont de bonnes intentions, mais ils ne produisent pas de résultats positifs. »

Handal s’est montré absolument catégorique sur la nécessité pour l’UEN de « créer, à une plus large échelle que ce n’est maintenant le cas, des conditions qui permettent aux enseignantes et enseignants de s’opposer aux manières de travailler et à toute évaluation qui seraient néfastes aux enfants et aux élèves. Notre profession doit prendre ses responsabilités et montrer la voie à suivre. »

Handal a ajouté : « Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui dise avoir choisi de devenir enseignante ou enseignant de la petite enfance pour le salaire. En revanche, je connais un très grand nombre d’enseignantes et enseignants qui ont quitté la profession à cause du salaire. Toutes les organisations qui veulent se présenter comme des forces avec lesquelles il faut compter au sein de la société doivent comprendre qu’investir dans une éducation à la petite enfance de qualité et dans des écoles de qualité, c’est la même chose que d’investir dans notre avenir commun. L’avenir est là, en train de jouer dans le bac à sable ou assis dans la salle de classe – là, maintenant ! »

Il a en outre réitéré que le droit à l'action syndicale est un droit inaliénable des salarié·e·s. En 2022, a-t-il rappelé, le gouvernement norvégien dirigé par le Parti travailliste est intervenu contre un mouvement syndical d’ordre juridique, sur une base jamais invoquée auparavant dans le monde du travail de ce pays : « Non pas en raison d'un danger imminent pour la vie ou la santé, mais du fait de préoccupations concernant la santé mentale des enfants et des adolescentes et adolescents. C’est ainsi que notre droit à l’action revendicative a été autoritairement jugulé. »

L’UEN a conséquemment déposé une plainte auprès de l’Organisation internationale du Travail (OIT) contre cette décision du gouvernement norvégien. « C’est là quelque chose qui n’avait pas eu lieu depuis bien des décennies. Nous vivons un moment historique, où l’abus de pouvoir du gouvernement est mis en cause dans une perspective internationale concernant les droits humains. Il y a là matière à inquiéter davantage d’observatrices et observateurs, et pas seulement à m’inquiéter moi, si l’on se rend compte que cette plainte auprès de l’OIT a été déposée précisément contre un gouvernement qui, par son affiliation politique, est étroitement associé au siège historique du mouvement travailliste », a ajouté Handal.

Handal a aussi porté un regard rétrospectif sur ses propres années de syndicaliste. « Parmi les moments dont je suis le plus fier en tant que président de l’UEN, certains ont eu lieu durant la pandémie. Alors que notre vie était marquée par l’incertitude et par la peur – enseignantes et enseignants et directrices et directeurs des maternelles et des écoles ont tenu bon, tels des rocs dans la tempête. Elles et ils se sont adaptés, ont improvisé, ont fait tout leur possible et plus que leur possible, pour guider en toute sécurité enfants et adolescentes et adolescents tout au long de la pandémie. Ce sont des moments qui nous ont beaucoup appris sur ce qu’est une communication organisationnelle efficace. Les connaissances que nous en avons tirées nourrissent notre travail d’aujourd’hui. Nous les mettons en application. »

Handal a conclu par un appel aux dirigeant·e·s syndicaux·ales et éducateur·trice·s de demain : « Nous vivons des temps tourmentés. Nous sommes tous profondément marqués lorsque nous apprenons aux informations qu’une nouvelle journée horrible s’est écoulée à Gaza ou en Ukraine. Jamais une éducation de qualité n’a été aussi importante. La pandémie et la grève des enseignantes et enseignants de l’automne dernier ont démontré l’importance des efforts et du travail acharné de nos membres – ici et maintenant, mais aussi pour l’avenir. Nous sommes le plus grand syndicat enseignant de Norvège. Il est en notre pouvoir de changer l'avenir. Nous poursuivons le combat et nous restons unis. Toujours. En toute circonstance. »

Nouvelles figures élues à la tête de l’UEN

Les délégué·e·s au Congrès de l’UEN ont également élu le nouveau trio de dirigeant∙e∙s de leur syndicat (en norvégien) :

  • Président : Geir Røsvoll, qui vient de l’éducation dans le primaire et au collège.
  • Première vice-présidente : Ann Mari Milo Lorentzen, qui vient de l’éducation à la petite enfance.
  • Second vice-président : Thom Bjørnar Jambak, qui vient de l’éducation au lycée.

Les délégué·e·s ont aussi élu les dix membres du Bureau exécutif de l'UEN [en norvégien], lequel dirigera le syndicat des enseignant·e·s à compter du 1er janvier 2024.

Une influence de portée internationale et qui ne disparaîtra pas

Présent au congrès de l’UEN, David Edwards, secrétaire général de l’IE, a déclaré que les années que Steffen Handal avait passées au sein du Bureau exécutif de l’IE « avaient marqué l’organisation de son empreinte et que celle-ci ne disparaîtrait pas ».

« Grâce à Steffen, nous avons désormais établi nos Principes de recherche, qui guident notre travail et nous disposons d'un solide portfolio de recherche qui reflète ces principes. Je dois aussi dire que j’ai été ému (car c’est tout à son honneur et à celui de l’UEN) lorsqu’il a présenté ses excuses aux peuples autochtones de la Norvège au nom des enseignantes et enseignants et des écoles qui, au cours de l’histoire, n'ont pas respecté la langue et la culture de ces populations », a noté Edwards.

Le secrétaire général de l’IE a poursuivi en soulignant le trait suivant chez Steffen Handal : « Surtout, il est resté fidèle à ses principes de militant d’un syndicat des enseignantes et enseignants, gérant nos accords et nos désaccords avec une même forme de cohérence et d’honnêteté ».

« Du point de vue de notre fédération mondiale », a ajouté Edwards, « je peux vous dire que nous sommes tous confrontés, à des degrés divers, aux problèmes dont vous débattez ici. Comme celui de l’investissement insuffisant dans l’éducation, de la privatisation croissante, du stress et de l'épuisement professionnel, ainsi qu’au problème de la pénurie d’enseignantes et enseignants, à celui des salaires, des retraites et des avantages sociaux. Et dans de trop nombreuses régions du monde, à la violation des droits des enseignantes et enseignants, y compris par l’exercice de la pure et simple violence. »

Rappelant que des centaines de millions d'enfants, d’adolescent·e·s et d'adultes parmi les plus vulnérables restent exclu·e·s de l'éducation, et que des millions d'autres n'ont aucune possibilité d'apprentissage en raison d’environnements inadéquats, de personnel sans formation et d’un manque de ressources éducatives, Edwards a également souligné que le monde connaît « une urgence du besoin de professionnelles et professionnels, un manque de plus de 44 millions d’enseignantes et enseignants dans le monde. Je sais que c'est également vrai en Norvège. »

Concernant le financement public de l’éducation, Edwards a expliqué que « la voie à suivre à l’échelle mondiale commence par ‘suivre l’argent’. Les gouvernements et les institutions financières mondiales sont très prompts à utiliser le mot ‘coût’, mais nous entendons rarement le mot ‘valeur’. L’investissement dans le bien commun est fondamental pour la démocratie et il n’y a pas de meilleur investissement qu’un enseignement public de qualité avec des enseignantes et enseignants bien formés et bien rémunérés. »

La force du public : ensemble on fait école !, la campagne mondiale qu’a lancée l’IE, montre qu’on ne peut dissocier la crise concernant le financement public des écoles et le monde durable que nous voulons créer, a-t-il rappelé. « Cette campagne est l’occasion qui s’offre à nous de prendre les devants et de placer notre profession à l’avant-garde du changement effectif dans nos nations et nos communautés. »

Avec la finalisation par le Groupe de haut niveau sur la profession enseignante des Nations Unies d’un ensemble de recommandations-clés, « l’engagement des Nations Unies en faveur de l’investissement des gouvernements dans les systèmes éducatifs et l’éducation professionnelle n’a jamais été aussi fort », a-t-il expliqué.

Edwards a conclu son intervention par les paroles suivantes : « Lorsque nous transformons l'apprentissage, nous transformons des vies, afin qu’élèves et étudiantes et étudiants sachent qu'elles et ils peuvent agir, qu’ils peuvent lutter contre le changement climatique, combattre les assauts contre la démocratie, interagir dans un monde de diversité mais d’interdépendance. Nous transformons ces vies. Nous pouvons donc transformer l’avenir. Nous pouvons donc transformer le monde. »