S’unir pour soutenir les recommandations des Nations Unies, lutter contre la désinformation et promouvoir l’éducation à la paix
Comment les activités de communication et de plaidoyer peuvent-elles aider les syndicats à se mobiliser pour obtenir une augmentation de l’investissement dans l’enseignement public et les personnels enseignants et défendre la justice sociale, les droits humains et la démocratie ? Tel était le point central des discussions qui ont animé la dernière réunion du Réseau des communicant·e·s (ComNet) de l’Internationale de l’Éducation (IE).
Les Nations Unies lancent 59 Recommandations pour la profession enseignante : un moment historique
Au cours de cette réunion virtuelle qui s’est tenue les 19 et 20 mars derniers, le secrétaire général de l’IE David Edwards a insisté sur l’importance des 59 recommandations récemment formulées par le Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante : « J’aime appeler ces recommandations les "5 P". Elles créent un Précédent. Elles considèrent les personnels enseignants et leurs syndicats comme une Priorité. Elles sont Primordiales car elles nous permettent de lancer une campagne et nous offrent une multitude de Possibilités. Et elles sont Publiques car toutes lancent clairement un appel à l’investissement public dans l’éducation. »
Premier document majeur adopté par les Nations Unies depuis plus de 60 ans, ce précédent historique nécessite maintenant une réponse des gouvernements, a-t-il ajouté, car il met en lumière la crise de la pénurie mondiale d’enseignant·e·s et appelle à une action immédiate pour améliorer les conditions de travail et garantir le respect des droits syndicaux.
Fruits de plusieurs décennies de plaidoyer et de mobilisation, ces recommandations accordent la priorité aux enseignant·e·s et à leurs syndicats et plaident en faveur d’un investissement substantiel dans l’enseignement public. Edwards a demandé instamment aux organisations membres de se mobiliser en vue de la création de commissions nationales pour les personnels de l’éducation et les syndicats de l’éducation. La mise en œuvre de ces recommandations exige de se mobiliser au niveau mondial et d’exercer des pressions permanentes sur les gouvernements. Le dirigeant de l’IE a encouragé les organisations membres à rencontrer leurs ministres de l’Éducation et des Finances pour discuter de ces recommandations et éviter qu’elles ne restent lettre morte :
« Il s’agit d’une victoire majeure. Mais cette avancée considérable ne doit pas nous arrêter là. Une proposition de convention internationale sur la profession enseignante est désormais sur la table. Cette convention, nous pouvons l’obtenir. Car nous avons le vent en poupe et je pense que personne ne pourra nous arrêter. »
Problématiques rencontrées par les enseignant∙e∙s au Cameroun
Roger Kaffo, secrétaire général de la Fédération des syndicats de l’enseignement et de la recherche (FESER) a montré comment les syndicats de l’éducation peuvent faire bon usage des divers moyens de communication pour sensibiliser à l’importance de l’enseignement public et encourager la mise en œuvre des recommandations des Nations Unies.
Il a ajouté que la communication représente un défi majeur pour répondre aux problèmes rencontrés par les personnels enseignants au Cameroun, depuis longtemps confrontés à une dégradation économique, sociale et symbolique et à un système éducatif « au bord du gouffre ». Une communication de haute qualité reste essentielle, mais les ressources limitées empêchent souvent une sensibilisation efficace. Si certaines plateformes peu coûteuses comme WhatsApp ou TikTok permettent de toucher un public plus large, les moyens de communication plus traditionnels tels que la télévision et la presse écrite sont encore toujours nécessaires, a-t-il déclaré.
Les syndicalistes de l’éducation du Cameroun ont salué le fait que les récentes initiatives, notamment les campagnes de présentation des recommandations des Nations Unies, ont suscité l’intérêt des parents et encouragé la collaboration avec les syndicats de l’éducation : « Intégrer ces recommandations aux activités de plaidoyer témoigne d’une approche proactive visant à gagner l’engagement du gouvernement ».
La réunion ComNet a également offert l’occasion de présenter les travaux déjà réalisés par les réseaux ComNet déployés dans deux régions de l’IE (Amérique latine et Afrique).
Réseau ComNet de l’IE Afrique : renforcer le soutien aux syndicats de l’éducation
Kojo Asiamah Addo (bureau régional de l’IE Afrique) a expliqué que le réseau ComNet de l’IE Afrique, lancé le 23 octobre 2023, cherche à rassembler les organisations membres du continent pour renforcer les activités de communication et de plaidoyer en faveur d’un enseignement public de qualité. Composé de représentant·e·s de 17 organisations membres, le réseau a pour objectif de mettre à disposition une plateforme commune pour partager les informations et coordonner les campagnes. Grâce à des initiatives telles que la participation à la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! », le réseau ComNet régional offre aux organisations membres la possibilité d’amplifier leur voix et d’apporter des changements positifs dans le cadre des politiques et pratiques éducatives.
Le réseau vise, entre autres, à faciliter les échanges d’informations entre les organisations membres, à renforcer l’efficacité des stratégies de plaidoyer et à soutenir les initiatives en matière de communication aux niveaux régional et national. En s’appuyant sur l’expertise et l’expérience de ses membres, le réseau ComNet de l’IE Afrique cherche à améliorer les stratégies de communication et à encourager la collaboration dans le paysage éducatif régional.
Les principales activités du réseau ont notamment consisté à diffuser des informations concernant la 10e Conférence de l’IE Afrique, à organiser le lancement de la campagne « La force du public » au Malawi et à renforcer les campagnes par le biais des réseaux sociaux et de l’organisation d’événements. À l’avenir, le réseau régional ComNet continuera à fournir aux organisations membres les moyens nécessaires pour s’engager dans les espaces politiques, travailler avec les diverses parties prenantes et plaider en faveur d’un enseignement public de qualité pour toutes et tous en Afrique.
Initiatives du réseau ComNet de l’IEAL pour améliorer la communication au sein des syndicats de l’éducation latino-américains
Alina Rodríguez et Bolivar Rojas (bureau régional de l’IE Amérique latine) ont également discuté de la réunion de lancement du réseau ComNet dans la région Amérique latine de l’IE en juillet 2021, dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Cette réunion a servi de plateforme aux syndicats de l’éducation pour échanger leurs idées et examiner les défis liés à la communication, notamment la lutte contre la désinformation, les campagnes contre le harcèlement et la défense de l’enseignement public face aux intérêts économiques et politiques.
En 2023, une réunion de suivi avec les collègues de la région et du siège s’est penchée sur la nécessité de mettre en place une stratégie de communication politique, mettant en avant les exemples de l’Argentine et de l’Uruguay, et a permis de partager, entre autres, le matériel de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! ».
La communication au sein des organisations latino-américaines est très inégale en termes de ressources et de formation, certaines faisant appel à des agences de communication ou à des équipes conséquentes, d’autres ne s’appuyant que sur des particuliers. Le but principal consiste à normaliser les moyens de communication et à aligner les stratégies sur les objectifs de l’IEAL − la défense de l’enseignement public et la promotion de l’égalité des genres.
Toutefois, plusieurs problèmes subsistent tels que la nécessité de prévoir, entre autres, un meilleur soutien de la part de la direction, des ressources financières suffisantes et des mesures de professionnalisation de la communication.
En 2024, les initiatives en Amérique latine viseront principalement à apporter un soutien personnalisé aux organisations, à élaborer un manuel de communication et à organiser des séances de formation virtuelles consacrées notamment au développement de stratégies de communication et à la communication centrée sur la question du genre. Parmi les objectifs à plus long terme, une première réunion en personne sera organisée pour renforcer la collaboration et la coordination entre les syndicats de l’éducation de la région.
Deux tables rondes étaient également prévues dans le cadre de la réunion ComNet pour examiner les questions essentielles auxquelles sont confronté·e·s les enseignant·e·s et les citoyen·ne·s à travers le monde. La première avait pour thème la lutte menée par les syndicats contre la désinformation.
Défis pour l’éducation et la démocratie : la voix des acteurs sur le terrain
Miguel Gonzalez, de l’Association nationale de l’Éducation (National Education Association - NEA) a dénoncé les attaques coordonnées des républicain∙e∙s conservateur∙trice∙s et de leurs sympathisant∙e∙s menées contre l’enseignement public aux États-Unis. À la suite d’un décret signé par l’ex-président Donald Trump en septembre 2020, plusieurs États ont introduit des mesures législatives pour interdire les débats portant sur la théorie critique de la race (TCR) dans les écoles. Si l’enseignement de la TCR reste rare, des lois ont néanmoins été adoptées, semant la confusion et entraînant des pertes d’emploi au sein de la communauté enseignante. Les interdictions se sont ensuite étendues aux débats, voire aux livres, portant sur les questions LGBTQ+, suscitant de nombreuses oppositions. Toutefois, la mobilisation des militant·e·s organisée par les syndicats a permis de mettre un frein à ces mesures controversées.
Alejo de Michelis, de la Confédération des travailleur·euse·s de l’éducation de la République argentine (Confederación de Trabajadores de la Educación de la República Argentina - CTERA), a décrit la situation catastrophique de l’Argentine sous la présidence de Javier Milei, caractérisée par des atteintes à la démocratie et à l’éducation. Les mesures gouvernementales, notamment la loi « omnibus » et les tentatives de démanteler les conventions collectives, ont donné lieu à de nombreux mouvements de contestation. La désinformation véhiculée par le gouvernement et ses tentatives de museler l’opposition ne font qu’envenimer la situation, suscitant une forte résistance de la part de confédérations syndicales telles que la Confédération générale du travail (CGT) et la Centrale des travailleur·euse·s d’Argentine (CTA).
Tim Dawson, secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), a souligné l’omniprésence des fausses informations et leur impact sur le journalisme et la démocratie. Si le principe de la désinformation n’est pas nouveau, « la vitesse à laquelle elle se diffuse et l’émergence de bulles d’informations posent des problèmes importants », a-t-il reconnu. La lutte contre la désinformation doit tout d’abord viser à promouvoir un journalisme de qualité et à apprendre aux consommateur·trice·s à discerner les sources d’information fiables. D’autre part, Dawson a plaidé en faveur de mécanismes internationaux plus performants pour protéger les journalistes et garantir la liberté de la presse : « Je souhaiterais que des formations existent pour nous apprendre à mieux appréhender la qualité de l’information et à faire la distinction entre ce que l’on trouve sur TikTok et ce qui est présenté dans les ouvrages publiés par une maison d’édition reconnue. C’est une leçon importante à apprendre. »
Au cours de la réunion ComNet, des représentant·e·s d'organisations membres de l’IE ont également passé en revue les initiatives de leurs syndicats pour faire avancer l’éducation à la paix.
Promouvoir l’éducation à la paix : un engagement soutenu de la part des syndicats de l’éducation
Pour Tamaki Terasawa, qui dirige le département des affaires internationales du syndicat japonais des enseignant·e·s (Japan Teachers Union - JTU), « l’éducation à la paix est la pierre angulaire des valeurs du JTU, formant la base de son engagement à promouvoir une société démocratique et pacifique ». Depuis sa création en 1947, le JTU insiste sur l’importance de reconnaître les erreurs du passé, y compris les actions du Japon durant la Seconde Guerre mondiale, et de promouvoir une culture de la paix par le biais de l’éducation. En enseignant aux élèves les réalités historiques et en défendant la paix, le JTU se donne pour objectif de prévenir les conflits futurs et de contribuer aux efforts de paix à l’échelle mondiale : « Il y a sept ans, les relations entre la Corée et le Japon étaient extrêmement tendues et elles le sont toujours en raison notamment de la présence d’un grand nombre d’extrémistes au Japon. Mais les membres du JTU ont juré de ne jamais envoyer leurs élèves sur le champ de bataille. »
De même, l’éducation à la paix est une mission fondamentale du syndicat sud-coréen des enseignant·e·s et des personnels de l’éducation (Korean Teachers and Education Workers’ Union - KTU), a déclaré le secrétaire international du KTU, Hyunsu Hwang. Compte tenu de la situation unique de la Corée, pays divisé par un accord de trêve, le KTU souligne l’importance de promouvoir la compréhension et la réconciliation entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. Malgré les tensions politiques, le KTU plaide en faveur d’une réunification pacifique et encourage le dialogue au sein de la communauté enseignante pour apporter des solutions aux conflits historiques et promouvoir l’éducation à la paix dans les écoles : « L’approche pacifique du KTU se reflète dans son logo : la partie rouge représente la Corée du Nord, la bleue la Corée du Sud. Les élèves se trouvent au milieu. Autrement dit, la raison de la création du KTU est la paix entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. »
Najat Ganay, membre du bureau national du Syndicat national de l’enseignement - Fédération démocratique du travail au Maroc et vice-présidente de la Structure interrégionale des pays arabes de l’IE, a souligné que, dans le contexte des conflits actuels tels que la situation dramatique en Palestine, « l’éducation à la paix est plus indispensable que jamais ». Ganay a apporté un témoignage poignant de l’impact dévastateur de la guerre menée par Israël sur les enfants, les enseignant·e·s et les infrastructures éducatives en Palestine, soulignant le besoin urgent de solidarité internationale et de volonté politique pour aboutir à une paix durable. À travers leurs initiatives telles que l’enseignement à distance et les ateliers de soutien social et psychosocial, les enseignant·e·s jouent un rôle vital dans le traitement des traumatismes et la reconstruction des communautés touchées par le conflit, a-t-elle souligné : « Il nous faut un cessez-le-feu durable. C’est le rôle de tous les dirigeants internationaux. Et il faut une prise de conscience internationale. Toute personne, où que ce soit dans le monde, doit savoir qu’il n’y aura pas de culture de la paix sans éducation à la paix. »
Ensemble, toutes ces voix ont mis en lumière le rôle essentiel de la communauté enseignante et des syndicats dans la promotion de l’éducation à la paix et d’une culture de la paix partout dans le monde. En s’attaquant aux injustices historiques, en plaidant pour la réconciliation et en équipant les générations futures avec les outils de la paix, les enseignant·e·s contribuent à bâtir un monde plus pacifique et plus collaboratif.