L’éducation : un champ de bataille essentiel pour les mouvements « anti-genre »
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Quel est le rapport entre des manifestations sur les toilettes scolaires neutres en termes de genre en Afrique du Sud et des enseignantes harcelées au Brésil ou des modifications du programme scolaire au Salvador ? Pour le dire en quelques mots, ce sont les résultats d’une mobilisation contre la menace perçue d’une « idéologie de genre ». Il ne s’agit ici que de quelques exemples de ce que contiendra notre prochaine étude sur les acteurs qui remettent en cause le « genre » dans l’éducation.
L’expression « idéologie de genre » est utilisée pour jeter le discrédit sur les droits des femmes et des personnes LGBTI+. Rarement clairement définie, elle est souvent utilisée comme expression fourre-tout pour désigner des problématiques aussi diverses que l’accès des jeunes à des informations sur la santé sexuelle et reproductive ou l’inclusion de contenu sur la diversité sexuelle et de genre dans les programmes scolaires. La vague de mobilisation « anti-genre » observée dans une grande partie du monde est souvent financée par des organisations chrétiennes conservatrices établies aux États-Unis, en Europe et en Russie, qui collaborent de plus en plus avec l’ Organisation de la coopération islamique.
Qui sont les acteurs anti-genre et comment opèrent-ils ?
Parmi les acteurs anti-genre, on peut citer des organismes religieux, associés à des groupes de la société civile et des personnalités politiques (essentiellement de droite). Bien qu’ils soient dans une large mesure issus et encore souvent dominés par des valeurs et des réseaux conservateurs chrétiens, les mouvements anti-genre se sont alliés à des représentants d’autres obédiences et d’autres groupes d’intérêt séculier qui partagent leur point de vue sur certaines questions et, parfois, au travers du spectre politique gauche-droite. Les mouvements anti-genre agissent sur le temps long : ils tentent de faire abroger la législation sur l’égalité des sexes et les droits des personnes LGBTI+ ou d’empêcher son adoption et d’instaurer ou de rétablir les normes sociales patriarcales qu’ils considèrent comme menacées.
Leur action se situe à trois niveaux : ils cherchent à influencer les textes adoptés par les enceintes normatives internationales, telles que les conférences des Nations unies, en formant des coalitions d’acteurs partageant les mêmes idées ; ils font pression sur le pouvoir politique pour influencer les agendas politiques et proposer des lois et ils donnent à leur discours une orientation conservatrice sur le plan social. Pour ce faire, les mouvements anti-genre ont recours aux réseaux sociaux et aux médias, à des manifestations publiques et des coups de pub ; et ils mobilisent les réseaux confessionnels et de parents, souvent en pratiquant la désinformation et l’exagération afin de générer la peur et l’indignation. Ainsi, lorsque le Ghana a révisé son programme d’éducation sexuelle en 2019, des activistes ont présenté la révision comme faisant partie d’un « agenda LGBT ». Ce n'est qu’un exemple parmi d’autres d’une tactique courante consistant à qualifier l’égalité des sexes ou les droits des personnes LGBTI+ comme des importations étrangères ou « occidentales », ignorant les histoires indigènes de mobilisation en faveur de la défense des droits humains et minimisant le financement international que reçoivent les mouvements anti-genre.
Pourquoi les mouvements anti-genre ciblent-ils l’éducation ?
Les mouvements anti-genre reconnaissent l’importance fondamentale de l’éducation dans le façonnage des valeurs d’une nouvelle génération. Le programme scolaire formel tout autant que le programme scolaire caché (les valeurs transmises par le comportement des élèves et du personnel enseignant, et la philosophie de l’école) peuvent façonner les normes de genre des élèves. Les activistes anti-genre voient donc l’éducation comme un espace stratégique capital à contrôler. Mais l’intérêt accordé à l’éducation va plus loin : un pilier incontournable des campagnes anti-genre est l’accent mis sur le risque que représentent pour les enfants – et la société – une éducation sexuelle exhaustive, une discussion sur l’égalité des sexes ou les efforts en vue de l’inclusion des personnes LGBTI+.
Les mouvements anti-genre cherchent dès lors à influencer ce que les élèves apprennent, qui peut enseigner et des aspects du fonctionnement des établissements scolaires, telles que les codes vestimentaires, la mise à disposition de toilettes et de vestiaires, l’utilisation d’un langage inclusif, et même qui peut accéder à l’éducation. Une des mobilisations les plus constantes est axée sur l’éducation sexuelle, mais comme le montre notre prochain rapport, les acteurs anti-genre se sont efforcés de promouvoir (ou se sont opposés aux réformes) des stéréotypes de genre traditionnels dans les programmes scolaires et ont lutté contre les efforts visant à rendre les différences moins marquées entre les genres (notamment en s’opposant à des uniformes neutres du point de vue du genre).
Qu’est-ce que cela veut dire pour les personnels enseignants et les élèves ?
Dans certains pays, les mouvements anti-genre ont directement harcelé des personnels enseignants. Une étude menée par Human Rights Watch au Brésil a documenté des cas de harcèlement en ligne et hors ligne, y compris des menaces de mort adressées à des enseignantes et des enseignants qui abordaient des thèmes comme la violence sexiste, les droits des personnes LGBTI+ ou des mouvements de défense des droits civils. Cependant, les effets sont plus larges, comme le rétrécissement du programme scolaire général. Cela signifie que le droit des enfants à des informations exactes non biaisées, qui est essentiel pour leur santé et leur survie, risque de leur être ôté.
Les normes de genre rigides que les acteurs anti-genre cherchent à imposer contribuent à créer une atmosphère à l’opposé de ce que l’éducation devrait être : des opportunités de plus en plus étroites au lieu de s’élargir, pour l’ensemble des enfants. Qu’il s’agisse de filles qui assimilent des messages sur le fait que le destin premier d’une femme est de se marier et d’avoir des enfants, de garçons qui veulent travailler dans des professions traditionnellement dominées par les femmes comme les soins infirmiers, ou d’élèves LGBTI+ qui sont victimes de niveaux élevés d’intimidation et de messages selon lesquels leur identité est inacceptable.
Comment résister au mieux aux actions anti-genre dans l’éducation ?
Les acteurs anti-genre sont à la fois beaucoup mieux financés et financés de manière plus flexible que leurs homologues partisans de l’égalité, ce qui signifie qu’ils peuvent tout à la fois réagir de manière plus souple aux événements et entreprendre des campagnes de longue haleine pour modifier les normes et les politiques. Toutefois, il est possible d’y résister très efficacement. Notre étude a conclu que lorsqu’il existe un cadre solide de protection des droits humains, tel qu’un engagement constitutionnel en faveur de l’égalité, il peut être mobilisé pour défendre l’égalité des droits à une éducation complète et efficace. À titre d’exemple, une procédure judiciaire stratégique a abouti au Mexique et au Brésilà l’abolition de lois fédérales qui limitaient fortement l’éducation sexuelle et au retrait des politiques interdisant aux mères adolescentes de retourner à l’école en Sierra Leone. Une stratégie multidimensionnelle destinée à lutter contre la désinformation est également capitale. Cela peut impliquer de diffuser des informations correctes sur des sujets tels que l’éducation sexuelle et les projets de réforme du programme scolaire à l’intention des parents, des jeunes, des congrégations religieuses, des associations professionnelles et d’autres groupes ciblés par les acteurs anti-genre. Enfin, un véritable dialogue fondé sur des informations correctes peut faire la différence. La prochaine étape de notre étude analysera l’expérience issue d’échanges entre des parties aux points de vue opposés pour trouver un terrain d’entente sur l’élaboration d’un nouveau programme scolaire en matière de compétences essentielles et d’éducation sexuelle. Nous apprécierions d’entendre le point de vue de toute personne intéressée par cette recherche.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.