Contre vents et marées : victoire syndicale au Zimbabwe sur le statut des professeur·es de l’enseignement tertiaire
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Comment une organisation syndicale représentant les professeur·es de l’enseignement tertiaire peut-elle amener les autorités à réformer la législation et rétablir le statut de ses membres dans un environnement politique délétère, polarisé et clivant ? Par l’engagement, la résilience et une volonté indomptable. Cet article relate la victoire improbable de l’Association des professeur·es de l’enseignement tertiaire (College Lecturers Association of Zimbabwe − COLAZ) qui a vu le gouvernement du Zimbabwe promulguer une nouvelle loi visant à améliorer les conditions de travail et d’emploi des personnels enseignants de l’enseignement post-secondaire et supérieur et celles des personnels de soutien à l’éducation.
La COLAZ, qui représente les personnels enseignants de l’enseignement polytechnique, industriel et professionnel (à l’exception des universités), a été créée en 2005 avec pour mission spécifique de rétablir le statut des personnels de l’enseignement tertiaire.
Pourquoi rétablir leur statut ? Au cours des premières années qui ont suivi l’indépendance du Zimbabwe en 1980, les salaires des professeur·es de l’enseignement tertiaire correspondaient à 70 % de celui des personnels enseignants universitaires et étaient assortis de nombreux autres avantages professionnels comparables. Cette situation a changé au début des années 1990, lorsque le gouvernement a décidé de procéder à une évaluation de l’emploi, motivée par son intention d’introduire le système de classification Paterson. En conséquence, les personnels de l’enseignement tertiaire ont été classés au même niveau que leurs homologues des autres niveaux de l’enseignement (non universitaire), tandis que les personnels enseignants des universités ont pu conserver leur statut autonome déterminé par les conseils universitaires, régis par les Statuts des universités d’État (State Universities Statutes) et participer aux négociations collectives en vertu de la loi sur les relations de travail, chapitre 28:01 (Labour Act). Dans le même temps, conformément à la loi sur les services publics, chapitre 16:04 (Public Service Act), les personnels enseignants de l’enseignement tertiaire ont été assimilés aux personnels enseignants des autres niveaux de l’enseignement (non universitaire), aux personnels infirmiers et aux autres employé·es de la fonction publique.
En l’état actuel, la loi sur les services publics est un texte législatif colonial qui ne reconnaît pas aux personnels de la fonction publique les droits du travail énoncés dans les conventions 87 et 98 de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Point important, la loi sur les services publics stipule que les employé·es de la fonction publique n’ont pas le droit de faire grève et ne peuvent participer qu’aux consultations et non aux négociations collectives. S’agissant des mesures disciplinaires, les membres de la fonction publique doivent tout d’abord s’y conformer avant de pouvoir faire appel. Cette loi prévoit également la mise en place du Conseil national de négociation paritaire (NJNC) qui, en cas de blocage, ne peut être arbitré que si les deux parties − le gouvernement et les personnels − reconnaissent tous deux l’existence d’un blocage. Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement n’a jamais reconnu un quelconque blocage, invoquant à chaque fois un manque de capacité financière. L’équipe de négociation du gouvernement est composée de membres de la fonction publique occupant des postes de direction, n’ayant aucun pouvoir décisionnel et ayant l’obligation de consulter régulièrement les ministres du Travail et des Finances. Souvent, lorsque l’équipe de négociation prend le temps de mener des consultations, ces dernières prennent beaucoup trop de temps, et les propositions rejetées sont malgré tout adoptées sans aucun accord écrit.
C’est dans ce contexte que les personnels enseignants de l’enseignement tertiaire se sont réunis en 2009 au centre de formation de Masvingo (Masvingo Teachers College) pour participer à un congrès extraordinaire visant à ressusciter la COLAZ, qui n’avait jamais vraiment décollé depuis sa création en 2005. Ce congrès a élu un nouveau Bureau exécutif national, dont la présidence a été attribuée à David Dzatsunga. Ce Bureau exécutif national s’est vu confier le mandat de rétablir le statut des professeur·es de l’enseignement tertiaire au même niveau que celui des années pré-Paterson, lorsque les conditions de travail et d’emploi étaient comparables à celles des universités. Le Bureau exécutif national devait donc se battre pour rétablir le salaire correspondant à 70 % de celui des universitaires et restaurer les conditions de travail et d’emploi d’avant la période Paterson. Autre problème, celui du recrutement des effectifs, le plus souvent affiliés à des syndicats de l’éducation. Le syndicat a ouvert son siège à Harare, capitale du Zimbabwe, et a pu recruter du personnel syndical dès que les membres ont commencé à payer leurs cotisations. En 2011, l’infrastructure de base était en place.
La même année, la COLAZ a convoqué une conférence annuelle qui a déclenché une véritable fronde antisyndicale de la part du gouvernement, emmenée en particulier par le secrétaire du ministère de l’Enseignement supérieur. Au cours de la conférence, il a été décidé d’organiser une grève, malgré une disposition de la loi sur les services publics interdisant clairement aux fonctionnaires de prendre part à des actions sociales. Les personnels concernés ont déclaré qu’il s’agissait d’une loi injuste à laquelle il n’y avait aucune raison pertinente de se plier. À cette époque, toutes les tentatives d’engager le dialogue social s’étaient heurtées à un mur du silence de la part des autorités.
Au Zimbabwe, les établissements de formation professionnelle sont dirigés par des équipes de direction notoirement corrompues, désignées par les responsables politiques et jouissant de l’impunité. Après le dépôt de notre préavis de grève auprès de la Commission des services publics, le secrétaire du ministère de l’Enseignement supérieur a convoqué toutes les directions des établissements d’enseignement tertiaire, avec pour consigne de venir accompagné·es de deux professeur·e·s, une femme et un homme, non membres de la COLAZ. Le ciel commençait à s’assombrir et à se faire menaçant. Le système mettait tout en œuvre pour s’attaquer au syndicat. Les professeur·es qui ont participé à cette réunion tristement célèbre n’ont pas tardé à le confirmer. Le secrétaire et les responsables d’établissement ont décidé de tout faire pour débarrasser les établissements de la présence de la COLAZ. Les personnes qui ont participé à la réunion ont fait état d’un groupe agité et déterminé, uni pour désigner le syndicat comme l’ennemi à abattre. À l’époque, nous savions que les fonctionnaires du ministère et les responsables d’établissement scolaire étaient impliqué·e·s dans un système, ou plutôt une escroquerie, leur permettant d’empocher de l’argent provenant de soi-disant projets tels que la location d’installations scolaires au grand public, la production agricole et la réparation de véhicules, entre autres, dont les bénéfices étaient partagés avec le secrétaire, ce dernier ayant pris le soin de publier une politique de production et de fixation des prix pour justifier le pillage. Le syndicat s’était déjà opposé à ces agissements, les dénonçant notamment dans les médias − ce qui explique l’animosité. Le syndicat s’attaquait à leurs finances et devait donc disparaître.
Le mouvement de grève a commencé en septembre 2011, paralysant tous les programmes de cours dans la plupart des établissements scolaires. En un rien de temps, l’empire a contre-attaqué. Les responsables d’établissement zélé·e·s ont reçu l’ordre du secrétaire de suspendre l’ensemble de la direction de la COLAZ et de porter plainte pour faute professionnelle contre les membres du syndicat ne se présentant pas au travail. Après la suspension des équipes de direction nationales et locales du syndicat, les affilié·es ont rapidement battu en retraite, préférant faire face à un moindre mal, à savoir la faute professionnelle. Il s’agissait clairement de frapper le berger pour disperser les brebis. Même le président du syndicat n’a pas été épargné et il était désormais manifeste que nous ne pouvions faire valoir aucun droit du travail et que notre combat se révélait plus difficile que nous ne l’avions supposé. La brutalité avec laquelle la grève a été réprimée a créé une onde de choc parmi nous. Il n’y a même pas eu la moindre tentative d’engager le dialogue avec nous pour examiner nos revendications. Il était temps de faire le point. Le syndicat devait accepter de sombrer ou alors trouver un moyen de refaire surface. Il nous fallait une équipe de direction. Le syndicat avait besoin d’argent pour engager des avocats compétents, mais ses moyens étaient limités, compte tenu du petit nombre de membres.
Alors que nous réfléchissions aux moyens de défendre notre syndicat, le ministère a lancé un programme d’audiences concernant les fautes professionnelles, en envoyant des équipes disciplinaires dans les établissements concernés. Au cours de la procédure, il est apparu clairement que les verdicts étaient déterminés à l’avance. Techniquement et selon les avocats, l’issue de ces affaires pouvait nous être favorable, mais nous étions face à des audiences de pacotille ponctuées d’actes d’intimidation et de harcèlement purs et simples. Notre syndicat était confronté à une crise existentielle et il nous fallait hiberner tel un serpent pour faire peau neuve et revoir notre stratégie.
Début 2012, les verdicts des audiences ont été annoncés. La plupart des affilié·es se sont vu infliger des amendes s’élevant à des montants divers. Les équipes de direction nationales et locales du syndicats ont été transférées et réaffectées dans la plupart des cas à des postes très éloignés, avec effet immédiat. Les couples qui enseignaient dans les mêmes établissements ont été séparés. Ces transferts ont été accompagnés d’amendes prélevées sur leurs maigres salaires. Des enfants ont ainsi été privé·e·s de l’encadrement de leurs parents. Au total, 30 responsables d’antennes locales du syndicat ont été déplacé·e·s : ce furent les heures les plus sombres de la COLAZ. Nos avocats nous ont conseillé, à juste titre, de nous conformer aux verdicts, sous peine de licenciement immédiat. Nous avons donc obtempéré et notre syndicat a lancé une procédure d’appel qui nous a réservé de nouvelles surprises.
La procédure d’appel comporte deux options : demander à la Commission des services publics de réexaminer l’affaire ou introduire une requête auprès du tribunal du travail. Le syndicat a utilisé les deux options. Bien que le tribunal se soit prononcé en notre faveur, nous avons cependant appris qu’il n’avait pas le pouvoir de rendre exécutoires ses propres décisions : nous devions enregistrer le jugement en nous adressant à la Haute Cour. Nous avons également appris que, en cas d’indemnisation financière, le syndicat ne pouvait pas y prétendre en vertu de la loi sur les dettes de l’État, qui interdit la saisie des biens du gouvernement. Nous étions dans l’impasse et devions abandonner les contentieux, dans un climat de rancœurs intra-syndicales, notamment de la part de celles et ceux ayant fait l’objet d’un transfert. Il était désormais manifeste que la voie juridique jouait en faveur de l’employeur et remplissait les poches de nos avocats, tout en épuisant les ressources et l’énergie de notre organisation.
Au cours de cette période, en 2015, le syndicat a rejoint l’Internationale de l’Éducation (IE). Nous avons immédiatement présenté notre cas au secrétaire général de l’IE, qui nous a conseillé de nous adresser à un certain David Robinson, directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), lequel s’était déclaré prêt à aider la COLAZ. Nous avons rapidement signé un accord de coopération au développement avec l’ACPPU, qui a permis de renforcer les capacités de notre syndicat en termes d’équipements de bureau, de financement des conférences et de mise en réseau avec d’autres syndicats de l’enseignement post-secondaire et supérieur affiliés à l’Internationale de l’Éducation. Les organisations syndicales des pays industrialisés ont été nombreuses à adresser des lettres de protestation aux autorités zimbabwéennes pour leur demander d’abandonner leurs poursuites et de ne plus porter atteinte à notre syndicat. Toutes ces voix extérieures qui se sont ralliées à notre cause nous ont apporté une aide très précieuse. Nous n’avions pas pu bénéficier d’une telle solidarité au début, et c’est cela qui a ébranlé nos structures.
Lors de sa conférence annuelle de 2017, le syndicat a également décidé d’abandonner son approche radicale au profit d’une campagne de plaidoyer et de mobilisation plus mesurée visant à dénoncer les excès du ministère et à appuyer nos revendications au travers d’articles bien documentés, de campagnes médiatiques, d’interventions auprès des parlementaires, de dénonciations dans la presse, d’appels lancés au président et au cabinet, et d’autres stratégies encore. Les syndicats NTEU (Australie), UCU (Royaume-Uni) et DM (Danemark) nous ont apporté un soutien à la fois moral et financier.
Le premier résultat, largement salué, a été le licenciement du détesté secrétaire par le président Mugabe, à la suite d’un article que nous avions publié dans le journal The Herald. Dans cet article, intitulé « La COLAZ contre-attaque Mbizvo : droit de réponse », notre secrétaire général expose sans ménagement les activités corrompues du secrétaire et explique que ce dernier est désormais impropre à exercer ses fonctions. Grâce à cette victoire, le ministère et les responsables d’établissement scolaire n’ont eu d’autre choix que de faire un pas en arrière. Le syndicat a survécu et savoure aujourd’hui la victoire d’avoir détrôné un mini-dictateur.
Les avancées vers le rétablissement du statut des professeur·es de l’enseignement tertiaire ont pu être accélérées à la suite du coup d’État de 2017, qui a vu la destitution du président octogénaire Robert Mugabe, suivie de l’avènement de la deuxième République en 2018.
Le professeur Amon Murwira a été nommé ministre de l’Enseignement supérieur et tertiaire, de l’Innovation, de la Science et de la Technologie en 2018. Un nouveau Parlement ayant été mis en place, le syndicat s’est empressé d’adresser une nouvelle pétition à la commission parlementaire rattachée à ce ministère qui, dès réception, l’a transmise au ministre afin que ce dernier y réponde avant que le syndicat puisse présenter ses arguments oralement. Au lieu de répondre à la commission, le ministre a préféré inviter la direction du syndicat à une réunion. Il a reconnu que la pétition était tout à fait justifiée et que la solution ne pouvait venir que de nous, du ministère et de notre syndicat. Il a recommandé à la COLAZ de retirer sa pétition du Parlement pour permettre une intervention intra-ministérielle. Si le ministre a reconnu que notre volonté de rétablir les salaires à hauteur de 70 % de ceux octroyés dans les universités était juste et légitime, cela s’est avéré insuffisant pour convaincre le président et le cabinet, étant donné que, en vertu du système Paterson, beaucoup d’autres secteurs de la fonction publique (médecine, ingénierie, etc.) sont classés dans la même catégorie professionnelle que la nôtre. Nos doctorats ou diplômes de master n’apportaient rien de particulier.
Le professeur Murwira a formulé nos arguments comme suit : nos établissements d’enseignement et de formation techniques et professionnels (EFTP) sont les mieux placés pour répondre à la volonté du gouvernement d’introduire l’éducation 5.0. Ils sont les mieux adaptés pour dispenser un enseignement basé sur le patrimoine commun, à partir duquel les étudiantes et étudiants diplômé·e·s produiront des biens et des services. Toutefois, a-t-il ajouté, ces établissements devront bénéficier d’autonomie afin que les personnels enseignants qui y travaillent puissent exercer la liberté académique nécessaire à l’innovation, sans être entravés par la bureaucratie de la fonction publique. Par ailleurs, les personnels de ce secteur devront bénéficier de conditions de travail et d’emploi comparables à celles des universités. C’est pourquoi tous les établissements d’EFTP devront être transférés de la Commission des services publics vers une nouvelle autorité en charge de l’emploi : le Conseil des services de l’enseignement tertiaire (Tertiary Education Services Council − TESC). Il a donc été envisagé de modifier la législation et de proposer d’amender une loi existante, la loi sur la planification et le développement de la main-d’œuvre (Manpower Planning and Development Act), afin de pouvoir tenir compte du glissement de paradigme envisagé vers l’éducation 5.0.
Le président et le cabinet étant dûment convaincus, le projet de loi a été adopté sans opposition par les deux chambres de la législature, avec l’accord du président. C’est ainsi qu’a vu le jour la loi sur la planification et le développement de la main-d’œuvre (Manpower Planning and Development Act/2020), aboutissement d’un combat syndical entamé en 2009. Contre toute attente, dans l’un des environnements les plus difficiles à organiser, un petit syndicat, patient et déterminé, est parvenu à faire modifier la législation pour accorder à ses membres le statut qu’ils et elles méritent.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.