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Ensemble, protéger l’enseignement supérieur : une prise de position en faveur de la démocratie et des droits

Publié 28 juillet 2024 Mis à jour 30 juillet 2024

L’enseignement post-secondaire, l’enseignement supérieur et la recherche sont des droits humains et relèvent de la responsabilité de l’État. Pour remplir leur mission de service public, ils ont besoin de financements durables. Ce message très clair est passé lors du Caucus de l’enseignement supérieur de l’Internationale de l’Éducation qui s’est réuni le 28 juillet dans le but d’aborder les principaux défis auxquels le secteur fait face.

Organisé dans le cadre du 10e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation (IE) à Buenos Aires, en Argentine, le Caucus a permis aux éducateur·trice·s du monde entier de partager leurs réflexions et leurs stratégies afin de faire progresser l’enseignement supérieur en faveur du bien commun. Au cœur des conversations : l’augmentation de la charge de travail, les conditions d’emploi précaires, les attaques contre la liberté académique et le sous-financement chronique.

Dans son discours d’ouverture, David Edwards, secrétaire général de l’IE, a souligné le caractère critique de ces enjeux : « L’enseignement supérieur se trouve à un tournant. Nous devons œuvrer ensemble pour demander les ressources et le respect que notre profession mérite, de manière à continuer de former les esprits de demain. »

De plus, M. Edwards a ajouté qu’il est « inutile de chercher bien loin pour constater les terribles dommages causés sur le secteur par ces politiques délétères, compte tenu de la situation désastreuse vécue ici, en Argentine ».

Dans ce contexte, M. Edwards a insisté sur l’importance des recommandations issues du Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies sur la profession enseignante : « Les recommandations du Groupe de haut niveau offrent un plan clair pour faire de notre métier une profession hautement respectée et soutenue. C’est essentiel pour orienter et promouvoir un apprentissage inclusif, efficace et pertinent à tous les niveaux d’éducation. »

« La force du public : ensemble on fait école ! » : la priorité de l’IE pour les années à venir

Sonia Grigt a présenté le programme de travail de l’IE dans le domaine de l’enseignement post secondaire et supérieur et de la recherche depuis le dernier congrès en 2019, ainsi que les événements à venir. Mme Grigt s’est concentrée sur la 12e Conférence internationale sur l'enseignement post-secondaire, l’enseignement supérieur et la recherche qui s’est tenue au Mexique en octobre 2023. Cette conférence avait mis l’accent sur la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » de l’IE, sur la mobilisation en faveur de meilleures conditions de travail et sur la promotion de la mission de service public de l’enseignement post-secondaire et supérieur.

En outre, Mme Grigt a évoqué plusieurs projets de recherches commandés par l’IE, dont une analyse du financement de l’enseignement supérieur dans le monde et un résumé intitulé « Mettre en œuvre les recommandations dans l’enseignement supérieur ». Ce dernier document présente les recommandations du Groupe de haut niveau relatives à l’enseignement supérieur et met en exergue le besoin de garantir des financements équitables et de protéger la liberté académique, ainsi que l’importance du dialogue social et de la négociation collective dans l’élaboration des politiques éducatives.

Braver la tempête : l’enseignement supérieur en temps de crise

Howard Stevenson, de l’Université de Nottingham, a exposé les résultats préliminaires d’une étude commandée par l’IE qui servira de base à un rapport de l’IE sur le secteur de l’enseignement supérieur destiné au Comité d’experts sur l’application des Recommandations concernant le personnel enseignant (CEART).

Pour M. Stevenson, travailler dans l’enseignement supérieur revient à se trouver dans l’œil du cyclone. Il a qualifié la période actuelle de « polycrise » : une crise à la fois écologique, démocratique, économique et de santé publique, dont tous les aspects ont un impact sur les travailleur·euse·s de l’éducation dans l’enseignement post-secondaire et supérieur et dans la recherche. Il a déclaré que la crise écologique constitue une menace existentielle qui nécessite l’ensemble des ressources et des meilleures connaissances, notamment la recherche. Pourtant, les forces d’extrême droite s’évertuent à nier la crise.

Les conditions de travail sont de plus en plus précaires et la crise du coût de la vie érode toujours davantage la valeur réelle des financements, des salaires et des retraites. En Argentine, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche a connu une baisse de 30 % de sa valeur réelle en tout juste six mois.

Par ailleurs, M. Stevenson a cité l’augmentation des attaques directes à l’encontre de la liberté académique dans des pays comme l’Argentine, les États-Unis et la Turquie, ainsi que la baisse d’influence des systèmes de gouvernance collégiale au profit de formes de gouvernance managériale. Les droits des syndicats de l’éducation sont de plus en plus remis en cause et les institutions et la gouvernance internationales font face à des obstacles politiques. M. Stevenson a également rappelé que les recommandations du Groupe de haut niveau peuvent contribuer à renforcer ces institutions et la mission de leurs comités en abordant des questions telles que la gouvernance dans l’enseignement supérieur, les technologies dans l’éducation – notamment l’intelligence artificielle – les inégalités dans l’emploi et l’adoption d’une convention sur la base de ces recommandations.

Renforcer nos syndicats, développer nos professions, défendre la démocratie

Le caucus s’est poursuivi par une table ronde modérée par Sandra Grey, du Tertiary Education Union (TEU) de Nouvelle-Zélande. Cette table ronde a fait entendre des voix du monde entier qui ont toutes mis en lumière leurs difficultés et réussites propres. D’après Rosalia Fatiaki, de l’ Association of the University of the South Pacific Staff (AUSPS) des Fidji, l’augmentation de la charge de travail en raison des pénuries de personnel pousse les éducateur·trice·s à consacrer davantage de temps à l’enseignement qu’à la recherche, tout en étant toujours évalué·e·s sur les résultats de leurs recherches. Elle a aussi mentionné la transition vers un apprentissage en ligne et l’importance de soutenir celles et ceux qui défendent la liberté académique, à l’image de Tamara Osborne. Pour Maxine Looby, de l’UCU au Royaume-Uni, les suppressions d’emplois drastiques et la baisse de 40 % des financements en termes réels au cours des dix dernières années au Royaume-Uni ont conduit à des inégalités salariales importantes et à l’absence de négociations au niveau national. Elle a également noté l’épuisement professionnel lié à la charge de travail et la nécessité de développer le nombre d’adhésions. David Dzatsunga, de la COLAZ au Zimbabwe, a insisté sur l’amélioration des conditions de travail des professeur·e·s de l’enseignement tertiaire et a fait part de l’expérience réussie dans le changement de législation à cette fin. Yamile Socolovsky, de la CONADU d’Argentine, a parlé de la privatisation et de la commercialisation dans le secteur de l’enseignement supérieur, ainsi que les coupes budgétaires sévères (plus de 70 %) réalisées par Javier Milei et la baisse des salaires de 30 % en termes réels. Elle a rappelé combien il est essentiel que les résolutions tiennent compte de ces attaques contre les universités publiques.

Jeffery M. Freitas, de l’AFT aux États-Unis, a souligné l’importance de la liberté académique et le risque que les progrès technologiques représentent pour cette liberté.

Les syndicats plaident en faveur de politiques qui garantissent la sécurité et des conditions de travail équitables pour l’ensemble du personnel d’éducation. Ils préconisent des investissements publics considérables de manière à renforcer la qualité de l’enseignement et de la recherche et à garantir l’autonomie des éducateur·trice·s en matière d’enseignement et de recherche sans interférence.

L’événement s’est achevé sur une plénière au cours de laquelle la discussion a mis l’accent sur la solidarité et l’action collective. Dans leurs déclarations finales, les panélistes ont appelé à poursuivre le travail dans l’unité. Rosalia Fatiaki a invité les participant·e·s à « faire courageusement preuve de solidarité ». David Edwards, quant à lui, a encouragé l’auditoire à combattre « le populisme d’extrême droite ». Maxine Looby a appuyé sur le besoin de « prendre régulièrement des nouvelles les uns des autres dans une démarche de solidarité ». Yamile Socolovsky a terminé son intervention par une citation : « la única lucha que se pierde es la que se abandona » (la seule lutte perdue est celle qu’on abandonne). Enfin, pour Jeff M. Freitas, il était capital de développer les adhésions et de faire en sorte que les membres puissent se mobiliser. En conclusion, il a appelé tout le monde à « éduquer et s’organiser ».