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Mondes de l'éducation

La lutte pour l’éducation et les universités publiques dans l’Argentine d’aujourd’hui

Publié 30 juillet 2024 Mis à jour 23 septembre 2024
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L’enseignement public en Argentine est aujourd’hui menacé par la mise en place d’un programme politique par le gouvernement national visant à, selon les propres termes du président Javier Milei, « détruire l’État de l’intérieur ». Défendant l’idée que l’État est une « organisation criminelle » qui s’oppose à la liberté (du marché) et que la justice sociale porte atteinte au principe du mérite individuel et de la libre concurrence, Milei entend réaliser un projet qui n’est pas moins délirant que ses discours dans les forums internationaux ultraconservateurs, mais tout aussi impitoyable que ses publications sur les réseaux sociaux. Les puissants groupes économiques qui le soutiennent et qui occupent aujourd’hui des postes clés au sein du gouvernement, cherchent à déployer une stratégie de domination irréversible qui leur permettra de garantir en permanence les conditions nécessaires et suffisantes pour s’enrichir en poussant à l’extrême l’exploitation des ressources et du labeur du peuple argentin.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement actuel s’est lancé dans ce que Milei appelle un « plan de reconstruction », faisant table rase de l’architecture institutionnelle préexistante. Il est clair que ce fantasme « libertaire » ne traduit rien d’autre que la nostalgie de l’Argentine pré-démocratique, sans droits politiques, sociaux et culturels, basée sur une économie exclusivement primaire et agro-exportatrice alimentant les plaisirs dispendieux d’une oligarchie devenue scandaleusement riche en exploitant la misère du plus grand nombre. Ce programme qui, au début de l’ère néolibérale, a mis l’Argentine à feu et à sang durant la dernière dictature civico-militaire (1976-1983) n’est pas nouveau. Quelques mois avant les célébrations du 40e anniversaire du retour à la démocratie en Argentine, le pouvoir économique, avec Milei, prend sa revanche : déréglementation de l’économie, ouverture aux capitaux étrangers, ajustement du budget public, réforme néolibérale de l’État, dépréciation des revenus des secteurs populaires, réforme régressive du travail et politique de criminalisation du syndicalisme et de la contestation sociale. Compte tenu de la dette extérieure accumulée par le gouvernement précédent de Mauricio Macri (2015-2019) et de la soumission consécutive aux diktats du FMI, six mois à peine après l’accession au pouvoir du gouvernement « libertaire », cette politique a déjà provoqué une augmentation sans précédent de la pauvreté, de la précarité et du chômage. Ces conséquences sociales dévastatrices ne sont ni un hasard ni un « dommage collatéral », elles s’inscrivent dans une perspective de réaménagement de la société placé sous l’étendard de l’inégalité.

Dans un pays comme l’Argentine, un tel projet nécessite d’éliminer la classe moyenne et exige de la part de celles et ceux qui le soutiennent, de faire taire les forces contestataires du mouvement citoyen : syndicalisme, mouvements sociaux, péronisme, féminisme, organisations de défense des droits humains. Raison pour laquelle le gouvernement de Milei a établi, quelques jours après son arrivée au pouvoir, un « protocole » destiné à organiser les interventions des forces de sécurité lors de manifestations, limitant la liberté d’expression et d’association et visant à pénaliser les mouvements de contestation pacifiques − une violation flagrante de toutes les recommandations et pactes internationaux en matière de droits humains. L’entrée en vigueur de ce protocole a rapidement été suivie d’exactions de la part des autorités : répressions violentes et injustifiées de la mobilisation sociale, arrestations arbitraires, amendes infligées à des organisations, extorsions de bénéficiaires de programmes d’assistance sociale et, plus récemment, inculpation arbitraire pour délits graves visant les personnes prenant part à des manifestations.

Les attaques menées contre les universités publiques et l’enseignement public, s’inscrivent dans le cadre multidimensionnel de cette politique d’ajustement et de réforme néolibérale de l’État, de mercantilisation de tous les aspects de la vie et de mise au pas de la société. Le gouvernement, qui a supprimé le ministère de l’Éducation en le réduisant à un secrétariat du nouveau ministère du « Capital humain », a déjà procédé à une diminution drastique du budget de l’éducation et des universités, en mettant fin au financement d’une multitude de programmes indispensables pour garantir les conditions adéquates permettant de mener à bien la mission éducative et universitaire. Le gouvernement a suspendu le financement du Fonds national de soutien à l'enseignement ( Fondo Nacional de Incentivo Docente − FONID), une victoire historique dans le cadre du combat mené par la communauté éducative, représentant une part importante des salaires des enseignantes et enseignants de l’enseignement obligatoire. De fait, le gouvernement a également paralysé le fonctionnement des commissions nationales paritaires pour l'enseignement et les universités, entraînant la perte de plus d’un tiers du pouvoir d’achat des personnels enseignants. En agissant de la sorte, le gouvernement s’exonère de sa responsabilité de garantir le droit à l’éducation à tous niveaux et, tout en rappelant la nature essentielle de l’éducation dans le but de supprimer le droit de grève, a déjà précipité plusieurs milliers d’enseignantes et enseignants sous le seuil de pauvreté.

S’agissant plus particulièrement des universités, le gouvernement assujettit non seulement ces dernières à son plan général de contraction budgétaire et de désengagement de l’État, mais entrave délibérément leur fonctionnement afin d’ouvrir les portes au marché, menaçant ainsi de détruire un système public exceptionnel reconnu pour ses principes démocratiques et son ouverture à toutes les franges de la population. Notre histoire nous a déjà démontré que les resserrements budgétaires agissent comme une extorsion au travers de laquelle les activités universitaires doivent servir les objectifs des entreprises ou des institutions financières internationales. La volonté du président de réorienter les modalités de financement du secteur de l’éducation vers la demande, via les chèques-éducation, les crédits ou d’autres formules similaires, est une composante essentielle de la stratégie globale de privatisation et de commercialisation de l’éducation, qui s’impose déjà de manière notable dans d’autres pays du monde et, en particulier, sur le continent latino-américain. À cet égard, il importe de mettre en garde contre la volonté de provoquer une segmentation du système universitaire, visant à le transformer en une structure où seules coexisteraient certaines catégories d’excellence et de « rang mondial », comme cela se passe dans d’autres pays, et où les activités des établissements ou d’autres secteurs, limitées à la fonction d’enseignement, seraient soumises à une logique du marché s’appuyant sur une précarisation du travail des enseignantes et enseignants et sur une réduction des programmes universitaires à de simples accréditations certifiant l’employabilité des étudiantes et étudiants. La précarisation et la menace qui pèsent sur l’égalité des chances peuvent déjà être observées dans les différentes sphères du monde académique par exemple, et de manière particulièrement préoccupante, la crise galopante qui conduit les universités à rechercher une sortie de secours en remplaçant les cours présentiels par des formations en ligne, comme cela était le cas durant la pandémie.

Les universités publiques sont, non seulement inutiles pour un projet néocolonial tel que celui porté par Milei, mais elles constituent également un obstacle à ses ambitions. Ce qui explique que, aux accusations habituelles de la droite dénonçant l’inefficacité et la corruption des universités publiques, viennent s’ajouter aujourd’hui d’autres invectives qualifiant les universités publiques de « centres d’endoctrinement » politique et idéologique dangereux. La responsabilité publique d’une institution où le pluralisme des idées et l’intégrité de la formation contribuent à l’épanouissement de citoyennes et de citoyens critiques, et au développement d’une société solidaire qui refuse la soumission au dogme de l’inéluctabilité de la souffrance et de l’injustice, qui met sur la table les problèmes rencontrés par la majorité et qui s’engage à rechercher collectivement des solutions pour y remédier, constitue un obstacle pour ceux et celles qui aspirent à réduire la population en esclavage.

Face à ces attaques, nos syndicats ne cessent de se mobiliser pour défendre l’éducation et les universités publiques, et reconstruire un système scientifique et technologique, lui aussi, détruit. Ensemble avec les organisations citoyennes, nous contribuons activement à organiser la résistance à cette politique en tous points autoritaire et dévastatrice. Le 23 avril, plus d’un million et demi de personnes sont descendues dans les rues de Buenos Aires et de nombreuses autres villes du pays pour défendre les universités publiques. L’ampleur et la dimension transversale de cette mobilisation témoignent de l’ancrage de certains sentiments partagés au sein de la population et réaffirment la valeur d’une institution dont la mission s’avère essentielle dans la construction de la démocratie, de la justice sociale et de la souveraineté. Cette revendication et cette volonté manifeste de lutter traduisent notre confiance en un peuple qui, tout au long de son histoire et dans tous ses combats, a su faire renaître l’espoir inaltérable de créer dans notre pays une société plus juste.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.