La liberté académique menacée dans les pays nordiques
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Toutes les sociétés démocratiques se fondent sur des données factuelles et des preuves scientifiques pour prendre des décisions sociétales. La liberté académique permet de garantir, au sein des universités, que les personnels académiques puissent fournir ces éléments de preuve. Ces institutions endossent une responsabilité toute particulière : celle de répondre aux besoins de la société en matière de recherche fondamentale motivée par un esprit de curiosité, de maintenir une vaste base de connaissances, et d’apporter un regard critique essentiel. Les institutions académiques doivent encourager la confiance dans la science, protéger la vérité, élargir nos connaissances et se faire les médiatrices d’échanges reposant sur des données factuelles et des argumentaires, sur la logique et sur des idées neuves. C’est pourquoi les universités doivent être autonomes et bien protégées, et garantir la liberté académique de leurs universitaires, ainsi que des étudiantes et des étudiants. La liberté de recherche, d’enseignement, d’apprentissage et de diffusion des connaissances est primordiale, mais la liberté académique touche également à la redevabilité et à la responsabilité, ainsi qu’au développement indépendant de la science et de la connaissance à travers des délibérations collégiales et l’autogouvernance.
Depuis des décennies, la région nordique fait figure de modèle en matière de protection des institutions universitaires contre les pressions politiques, commerciales et idéologiques. Nos universités se sont fait les plateformes prospères de la pensée indépendante, où la recherche et l’éducation évoluent sans ingérence extérieure. La liberté académique a contribué à l’extraordinaire résilience de la démocratie dans les pays nordiques, au succès de leur innovation technologique et sociétale, et à leur qualité de vie élevée. Mais cet héritage est aujourd’hui menacé, comme le montre un récent rapport des syndicats du personnel académique nordiques.
Ce rapport se penche sur la teneur de la liberté académique, sur les instruments internationaux censés la défendre, et sur son évolution récente dans les pays nordiques. Même si la liberté de recherche et d’enseignement est généralement bien protégée dans les pays nordiques, l’étude conclut que la liberté académique subit une pression grandissante. La dépendance croissante à l’égard des financements externes compromet l’indépendance des chercheuses et des chercheurs. L’ingérence politique influence les programmes de recherche. Parallèlement, l’augmentation des contrats de travail temporaire laisse les universitaires plus vulnérables et moins disposé·es à poursuivre des sujets controversés ou des idées ambitieuses aux résultats incertains. En outre, la tradition de la prise de décision démocratique propre aux universités se perd, la direction centralisée menant de plus en plus la danse. Le plus préoccupant est peut-être la montée du harcèlement et de l’intimidation à l’encontre des universitaires, en particulier celles et ceux qui travaillent dans des domaines sensibles ou controversés. Cette répression de la liberté d’expression n’affecte pas seulement les universitaires à titre individuel, mais sape également le tissu démocratique de nos sociétés.
La liberté académique et l’autonomie institutionnelle constituent une protection solide contre les fausses informations, l’anti-factualisme et les théories du complot. Elles nous sont plus que jamais indispensables. Le modèle nordique, qui repose sur un secteur public relativement important, une coopération tripartite et le principe d’un État-providence, prévoit des universités publiques offrant un enseignement gratuit pour les citoyennes et les citoyens, ainsi que les personnes y résidant de façon permanente. Il est généralement convenu que la garantie d’un financement public approprié, la liberté académique et l’autonomie institutionnelle sont des moyens de promouvoir le bien commun. En contrepartie, il faut accepter un certain contrôle politique des établissements d’enseignement supérieur financés par les pouvoirs publics. Le succès futur de ce modèle dépend de la capacité des sociétés nordiques à rester des démocraties saines, administrées par des responsables politiques partageant ces valeurs. Si cette vision est remise en question, comme cela s’est produit dans d’autres démocraties, la protection juridique de la liberté académique devient d’autant plus cruciale.
La menace qui pèse sur la liberté académique dans les pays nordiques n’est pas uniquement une problématique nordique, elle a des implications mondiales. L’érosion de l’indépendance académique dans cette région pourrait créer un précédent inquiétant, dont les effets se feraient sentir au-delà de nos frontières. Dans leur rapport, les syndicats universitaires nordiques appellent donc les parlementaires, les gouvernements et les institutions nordiques à protéger la liberté académique, plus particulièrement à travers les cinq principes suivants :
1. Garantir un financement public stable pour les universités
Le financement public doit être garanti et suffisant pour permettre aux chercheuses et aux chercheurs de mener des études indépendantes, sans avoir à se plier constamment aux agendas des organismes de financement externes.
2. Renforcer la protection juridique de la liberté académique
Des protections juridiques plus fortes sont nécessaires pour garantir que le personnel universitaire et les universités restent des voix indépendantes et critiques au sein de la société, à l’abri des pressions extérieures et des agendas politiques.
3. Assurer la sécurité de l’emploi à long terme pour les universitaires
Le recours croissant aux contrats à durée déterminée porte atteinte à la liberté académique. Il est essentiel que les universitaires bénéficient d’un emploi sûr et durable qui leur permette de prendre des risques intellectuels et de mener des recherches innovantes sans craindre de perdre leur travail.
4. Rétablir une gouvernance collégiale et démocratique dans les universités
En raison de la centralisation de la gestion qui continue de s’imposer, le personnel universitaire est de moins en moins en capacité de déterminer par lui-même les priorités de l’université. Les syndicats appellent à un retour de la gouvernance démocratique et collégiale, où le personnel universitaire a réellement son mot à dire dans les décisions relatives à la recherche et à l’enseignement, « aux fins d’améliorer le niveau d’excellence et de qualité académiques, dans l’intérêt de la société tout entière », comme le stipule la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur de l’UNESCO (paragraphe 32).
5. Protéger les universitaires contre le harcèlement et l’intimidation
Les universitaires doivent être libres de prendre part au débat public et de poursuivre leurs recherches sans crainte de harcèlement ou de représailles. Les universités ont besoin de protections et de systèmes de soutien plus solides pour défendre la liberté d’expression académique.
Garantir le respect de ces cinq principes permettra de renforcer la liberté académique et de préserver les refuges pour la recherche et l’éducation que sont les universités nordiques, au bénéfice de toutes et tous.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.