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Mondes de l'éducation

Un traité qui protège le travail des personnels enseignants

Publié 7 avril 2025 Mis à jour 9 avril 2025
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L’IE suit depuis plusieurs années les débats qui ont lieu au sein du Comité permanent du droit d’auteur·e et des droits connexes (SCCR) de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les limitations et exceptions au droit d’auteur·e pour les bibliothèques, les archives et les institutions éducatives. Alors que la discussion semble, par moments, progresser, la portée de ces avancées reste somme toute très limitée par rapport à l’urgence d’un cadre juridique protégeant les conditions de travail des enseignantes et des enseignants. Il est indispensable de disposer de lois sur les droits d’auteur·e qui garantissent aux personnels enseignants l’accès au matériel nécessaire à leur travail, afin de leur permettre de sélectionner et d’adapter librement des images, des photos et autres supports audiovisuels en vue de la création de leurs propres ressources didactiques.

D’où la demande d’un traité international qui prévoie des limitations et des exceptions plus larges et en même temps plus définies que celles énoncées, par exemple, dans la Convention de Berne. Celle-ci tend à donner lieu à une interprétation excessivement étroite, qui est loin de répondre aux besoins de celles et ceux d’entre nous qui utilisent des supports didactiques en classe, que ce soit à des fins pédagogiques ou pour fournir à nos élèves le contexte culturel nécessaire pour aborder un problème ou comprendre un point de discussion.

En novembre 2023, une proposition du Groupe africain (qui regroupe les délégations des pays de ce continent) avait été adoptée dans le but de faire avancer un programme de travail, sur la base duquel le secrétariat de l’OMPI était, à son tour, chargé d’élaborer un plan de mise en œuvre. Un projet de programme existe déjà et les différents groupes de pays disposant d’un droit de vote à l’OMPI ont soumis des demandes de clarification, des demandes d’extension ainsi que des objections. La présente note n’a nullement pour but de s’attarder sur les procédures complexes de cet organisme, mais plutôt de souligner que, malgré tout le travail accompli, les progrès dans ce domaine se font attendre, a fortiori si on les compare à la rapidité des changements intervenant dans nos milieux de travail et qui ne sont pas sans susciter notre inquiétude. En effet, face au recours croissant aux cours en ligne, tant pour ce qui a trait aux modalités d’enseignement à distance qu’au soutien à l’enseignement présentiel, nous sommes constamment confronté·es à des contraintes de toutes sortes liées à l’utilisation de ressources protégées par le droit d’auteur·e. De même, les enseignantes et les enseignants qui travaillent dans des contextes transfrontaliers requièrent également un instrument international qui ne les place pas dans une situation d’inégalité par rapport à leurs élèves pour ce qui est du partage des ressources.

Au cours des dernières sessions du Comité, nous avons pu constater que le traité sur la radiodiffusion constituait systématiquement le premier point à l’ordre du jour. Centré à l’origine sur la protection des signaux, ce traité a vu son champ d’application s’étendre considérablement, donnant lieu à des débats et à des désaccords sur certains aspects jugés ambigus. Le temps excessif nécessaire à leur traitement ne laisse pas de place pour avancer sur les autres enjeux. Les discussions sur ce traité se poursuivent depuis plus de trente ans. En tant que travailleurs et travailleuses de l’éducation, nous sommes particulièrement préoccupé·es par le manque d’espace que cela nous laisse pour avancer sur le volet des limitations et des exceptions, outre le fait qu’aucune attention n’est accordée aux répercussions possibles sur les activités que nous devons mener pour accomplir notre travail dans des conditions adéquates.

Quel que soit le traité qui en résultera, nous exigeons qu’il ne représente pas un nouveau risque de poursuites judiciaires liées à l’utilisation de ressources éducatives nécessaires au maintien des processus pédagogiques à tous les niveaux, de l’éducation préscolaire à l’enseignement supérieur. Il n’est pas clair ce qu’il adviendra des transmissions par Internet et il est inquiétant que les traités existants soient considérés comme suffisants pour que le nouveau texte, s’il est approuvé, n’ait pas de répercussions sur notre travail.

Songeons, par exemple, à certaines situations spécifiques : qu’adviendrait-il si un ou une professeur·e d’école secondaire utilisait des extraits de telenovelas latino-américaines de différents pays pour permettre aux élèves d’analyser les différences dans la façon de représenter les femmes et les communautés LGBTQI+ ? Que se passerait-il si un ou une professeur·e d’université enregistrait des extraits de matchs de football pour comparer le contenu des chants de supporters dans différents contextes sociopolitiques ? Et qu’en serait-il si le contenu provenait d’archives appartenant au domaine public, mais accessible uniquement par le biais d’un documentaire d’histoire diffusé sur une chaîne de télévision ? Enfin que se passerait-il si les personnels enseignants d’une école proposaient aux élèves de réaliser une carte interactive incluant des informations diffusées sur les chaînes locales concernant une ville ou un quartier ? Nous pensons qu’il faut s’abstenir de poursuivre un projet qui ne prévoie pas de restrictions et d’exceptions aux droits d’auteur·e en vue d’une utilisation équitable des ressources dans les institutions éducatives, ainsi que dans les bibliothèques, les archives et les musées.

Loin d’être hypothétiques, de telles utilisations de contenus issus de signaux sont mentionnées dans plusieurs études auxquelles l’IE a participé. « Nous utilisons énormément de contenus provenant de la radio, de la télévision, de YouTube et de divers sites Internet. Dans le cours Montage, nous travaillons avec des archives aussi bien visuelles que sonores, dont les étudiantes et les étudiants se servent pour réaliser des courts métrages. Dans d’autres matières, nous utilisons des exemples réalisés par certains membres de la faculté pour des chaînes de télévision et des plateformes de streaming afin d’expliquer les processus de réalisation cinématographique », explique une professeure d’université publique argentine.

Quoi qu’il en soit, le point le plus urgent à l’ordre du jour est celui des limitations et des exceptions. Alors qu’au sein du Comité permanent, les années se succèdent à débattre du projet d’élaboration d’un programme en vue de l’élaboration ultérieure d’un plan, au lieu de discuter d’un texte concret avec des principes, des objectifs et des mesures spécifiques, les enseignantes et les enseignants du monde entier, en particulier en Amérique latine et en Afrique, continuent de se battre pour défendre le droit à l’éducation face à des conditions de plus en plus précaires.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.