Ei-iE

Mondes de l'éducation

Les personnels enseignants au cœur de la justice climatique : lutter contre la crise dans les écoles philippines

Publié 24 avril 2025 Mis à jour 23 avril 2025
Écrit par:

« Ces problèmes ne sont pas nouveaux : ils sont le résultat de dizaines d’années de négligence dans le secteur de l’éducation publique. Cependant, ils sont désormais amplifiés par l’aggravation de la crise climatique. Si nous continuons de les ignorer, nos écoles ne deviendront plus seulement sous-équipées pour l’apprentissage, mais également des lieux dangereux pour les élèves comme les personnels enseignants. »

D’après l’indicateur World Risk Index, les Philippines sont systématiquement classées parmi les pays du monde les plus exposés aux catastrophes naturelles. Au cours des vingt dernières années, nous avons subi le plus grand nombre de phénomènes météorologiques extrêmes. Je suis née à une époque où éruptions volcaniques, violents tremblements de terre et typhons dévastateurs étaient déjà choses courantes. Aujourd’hui, nous devons également affronter l’aggravation des effets des vagues de chaleur et d’El Niño. Les catastrophes naturelles font désormais tellement partie de nos vies quotidiennes qu’on donne des noms aux ouragans, comme si l’on parlait de connaissances. Les grands désastres sont aussi souvent liés à des événements personnels, à l’image de mon prénom, que je dois à la tour Ruby qui s’est effondrée dans un terrible tremblement de terre. Aux Philippines, tout le monde ou presque – à l’exception peut-être des plus riches – a déjà, un jour ou l’autre, pataugé dans des rues inondées, ressenti une angoisse à l’idée de l’arrivée imminente d’une catastrophe historique ou été frustré face à la gestion de la situation par l’État, qui s’en remet aux dons plutôt que de se préparer activement à faire front.

Personne n’est à l’abri d’une catastrophe naturelle. Quand je suis devenue enseignante, j’ai constaté par moi même qu’on attend des écoles qu’elles servent de centres d’évacuation, malgré leurs propres vulnérabilités.

Une crise de l’éducation, aggravée par les changements climatiques

Depuis des années, le système éducatif des Philippines connaît de sérieux retards, notamment des pénuries de classes chroniques et un manque de personnel enseignant, non enseignant et de santé dans les écoles. Nous travaillons dans des classes surchargées et des infrastructures inadaptées, y compris des infirmeries inexistantes ou qui ne disposent pas du matériel nécessaire. Ces défaillances, qui persistent depuis longtemps, sont aujourd’hui amplifiées par les changements climatiques. À l’heure où j’écris ces lignes, 7 000 écoles de tout le pays ont étaient contraintes de suspendre les cours en classe et de passer à un enseignement flexible en raison des chaleurs extrêmes. Au total, 3,6 millions d’élèves sont touché·es. Les mois de mars, d’avril et de mai sont généralement les plus chauds et les plus secs dans notre archipel, mais le phénomène actuel d’El Niño a fait monter les températures à un niveau dangereux. Nombre de collègues et d’élèves souffrent de vertiges et de maux de tête du fait des fortes chaleurs. Nous essayons d’éviter que ne se reproduisent les incidents de l’année dernière, lorsque des enfants ont dû être emmené·es en urgence à l’infirmerie scolaire à cause de saignements du nez, voire d’évanouissements. Toutefois, en raison du manque cruel d’infrastructures et de personnel de santé dans les écoles, la prise en charge de ces risques sanitaires demeure un défi majeur. La mauvaise ventilation et la surpopulation dans les classes – qui peuvent compter jusqu’à 60 élèves chacune – ne font qu’empirer les choses. Ces problèmes ne sont pas nouveaux : ils sont le résultat de dizaines d’années de négligence dans le secteur de l’éducation publique. Cependant, ils sont désormais amplifiés par l’aggravation de la crise climatique. Si nous continuons de les ignorer, nos écoles ne deviendront plus seulement sous-équipées pour l’apprentissage, mais également des lieux dangereux pour les élèves comme les personnels enseignants.

En tant qu’enseignantes et enseignants, ce que nous faisons dans nos écoles est fondamentalement destiné aux générations futures. Nous répondons à leurs besoins et construisons leur avenir. Cet engagement est au cœur de nos efforts pour la justice climatique et notre rôle éducatif y est intrinsèquement lié. Il est important de reconnaître qu’en tant que personnel enseignant et membre de syndicats de l’éducation, nous avons le pouvoir de provoquer un changement systémique plus large. On nous dit souvent – et c’est parfois aussi ce que l’on enseigne – que tout ce que nous pouvons faire, c’est adopter le mot d’ordre « réduire, réutiliser, recycler », qui se concentre exclusivement sur la transformation de nos modes de vie individuels. Néanmoins, il nous faut aller plus loin et prendre conscience qu’ensemble, nous pouvons questionner et changer le système. La force de nos syndicats, qui a été démontrée tout au long de notre histoire, prouve que l’action collective peut conduire à des évolutions majeures. Nous devons nous renforcer par l’éducation et rappeler que les écoles sont au cœur de la société. Les enseignantes et les enseignants devraient être en première ligne, à façonner l’opinion publique et à entreprendre une démarche transformatrice. Nous devons aussi écouter les personnes les plus marginalisées dans nos communautés, apprendre d’elles et les laisser nous montrer le chemin. C’est en restant résolument solidaires et en portant leur voix que nous défendrons le véritable esprit et le pouvoir de nos syndicats. Ensemble, nous pouvons initier un changement systémique et réellement faire la différence.

Que faisons-nous en tant que syndicat ?

C’est la question que nous devons nous poser. En réponse aux chaleurs extrêmes, nous avons mis en place plusieurs mesures pour faire face à la crise et plaider en faveur de réformes nécessaires aux Philippines.

Notre programme général d’action comprend le déblocage immédiat de fonds d’urgence pour réparer sans attendre les installations d’assainissement des eaux, améliorer la ventilation et moderniser les infirmeries scolaires.

Nous défendons également l’accélération de la construction de 15 000 salles de classe adaptées aux changements climatiques, une promesse faite par le nouveau Secrétaire du département de l’Éducation. Afin de veiller à ce que les établissement pédagogiques pourront s’adapter aux enjeux environnementaux, nous réclamons l’implication des syndicats dans les consultations concernant les protocoles d’urgence et les mécanismes permettant à l’enseignement de continuer malgré les vagues de chaleur. Par ailleurs, nous demandons que des financements supplémentaires soient alloués à l’augmentation du personnel de santé, à l’amélioration de la ventilation dans les salles de classe et au développement d’environnements scolaires adaptés au climat.

Nous insistons également sur la nécessité d’intégrer pleinement l’éducation au climat dans les programmes scolaires afin de doter les élèves de connaissances sur les enjeux environnementaux qui les attendent. Au-delà de propositions de réformes, nous impliquons activement les autorités dans des campagnes et des activités de plaidoyer.

Une de nos victoires les plus marquantes est d’avoir réussir à faire ajuster le calendrier académique. Les mois d’avril et de mai étant les plus chauds aux Philippines, nous avons fait pression pour un retour à une année scolaire s’étendant de juin à mars. Cette modification devrait prendre effet à partir de la prochaine rentrée des classes.

En outre, nous avons fait campagne pour que le gouvernement publie des directives claires concernant la rémunération des heures supplémentaires pour le personnel enseignant, en particulier lorsque les écoles sont utilisées comme centres d’évacuation en cas de catastrophe naturelle.

Nos efforts ne sont pas passés inaperçus : nous avons été remarqué·es sur la scène nationale et avons fait les gros titres de différents journaux et émissions de radio alors que nous continuons de porter nos appels à l’action.

De plus, nous avons fait entrer notre combat dans l’arène législative. Avec le soutien de la représentation du corps enseignant au Congrès, nous avons organisé des auditions parlementaires portant sur le financement de salles de classe adaptées aux changements climatiques et les conséquences des vagues de chaleur sur les élèves et le personnel enseignant.

Notre plaidoyer s’est étendu au-delà de la législation. Nous avons activement pris part à des actions en faveur de l’environnement telles que des mobilisations à l’occasion du Jour de la Terre, des audiences budgétaires au Congrès et au Sénat, ainsi que des initiatives pour protéger notre collègue syndicaliste, coordinateur régional et défenseur des droits humains et environnementaux, Eco Dangla, qui a récemment été enlevé.

Reconnaissant le rôle crucial des communautés autochtones dans la préservation de l’environnement, nous avons réactivé le réseau des populations autochtones d’ACT, également connu sous le nom de Save Our Schools. Les peuples autochtones possèdent des connaissances et une expérience inestimables en matière de protection des ressources naturelles, ce qui en fait des alliés majeurs dans la lutte contre le changement climatique. Avec la collaboration de spécialistes issu·es de diverses universités philippines, nous œuvrons à promouvoir un cadre éducatif national qui intègre le plaidoyer environnemental afin que les générations à venir prennent conscience de l’urgence de l’action en faveur du climat.

Avec ces initiatives, nous poursuivons la lutte pour un système éducatif plus résilient, plus juste et plus durable. Un système qui protège les élèves comme les personnels éducatifs des répercussions toujours plus dramatiques du changement climatique. Il nous faut décoloniser et décarboniser l’éducation, et nous soutenir mutuellement dans le processus. Nous n’avons pas contribué à part égale à cette situation terrible. C’est au contraire une structure inégalitaire claire qui est au cœur de la crise climatique. Si nous n’en prenons pas acte dans nos classes, nous manquerons à nos obligations envers une génération entière d’élèves et passerons à côté de l’accomplissement du droit à l’éducation.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.