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Mondes de l'éducation

La Révolution d’avril et le chemin de la profession enseignante au Portugal

Publié 25 avril 2025 Mis à jour 24 avril 2025
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Le 25 avril pour toujours ! Telle est la devise de celles et ceux qui continuent de croire aux principales promesses de notre révolution démocratique du 25 avril 1974. Ces dernières années toutefois, contrairement à ce que promettaient les utopies du processus révolutionnaire, l’idée d’émancipation a été oubliée ou a acquis de nouvelles significations. L’internationalisation du capitalisme et la réduction de l’autonomie relative des États-nations, conjuguées à l’hégémonie croissante d’un « agenda mondial pour l’éducation », figurent parmi les facteurs que nous ne pouvons manquer d’examiner d’un œil critique.

Dans ce contexte, la signification de l’émancipation, en tant que projet collectif, se rapproche désormais davantage de la notion de survalorisation des projets individuels, à savoir des projets ancrés dans des logiques et des stratégies concurrentielles, de sélectivité néodarwinienne, obéissant davantage à l’idée néolibérale de l’individu entrepreneur en quête de survie, qui cherche à éviter d’être tenu·e pour incapable et d’être marginalisé·e pour être inutile. Il n’est guère surprenant que les anciennes stratégies adoptées par les classes dominantes, et même par certaines franges de la classe moyenne, aient été actualisées et renforcées, et qu’elles constituent désormais des stratégies néo-méritocratiques. Ces stratégies articulent l’ancienne méritocratie avec la parentocratie, en d’autres termes, la capacité et l’effort individuel de chaque élève avec l’intervention des parents dans la définition des parcours et des options permettant de garantir la réussite. Bien qu’elle ne représente rien de nouveau, cette stratégie a conduit à une demande croissante d’éducation privée et à l’internationalisation des études. Dans un monde où les relations et les liens collectifs se défont, ces évolutions ont contribué à l’émergence de nouvelles inégalités sociales et éducatives, ainsi qu’à la dévalorisation de l’école publique en tant que lieu d’émancipation du commun.

Je n’ai rien contre le droit légitime de poser un choix sur les projets éducatifs, entre le public étatique, le social solidaire (moins mentionné) ou le privé. Cependant, en tant que défenseur d’une éducation publique universelle, de qualité scientifique, pédagogique et démocratique (trois piliers indissociables), je me dois d’attirer l’attention sur les investissements insuffisants et les restrictions croissantes dont souffrent les politiques sociales, qui devraient être des instruments de droits humains fondamentaux et non de simples instruments de contrôle social. Avec, en l’occurrence, toutes les conséquences que cela implique pour l’éducation publique et pour la reconnaissance et la valorisation des personnels enseignants en tant que travailleuses et travailleurs intellectuel·les. Ces conséquences ont représenté un déficit matériel, mais aussi symbolique, entravant dans une large mesure la motivation et l’engagement, tant personnel que collectif. D’où la nécessité de trouver des alternatives viables et d’autres possibilités de réalisation et de progression professionnelle : les conditions d’une école plus égalitaire, avec plus de justice sociale et cognitive. Aussi convient-il de revenir brièvement sur la Révolution d’avril (après tout, c’est ce que nous célébrons en ce 51e anniversaire) et de faire deux ou trois brèves remarques supplémentaires sur les chemins parcourus depuis.

Pendant les longues décennies de la dictature fasciste, le régime espérait que les personnels enseignants des écoles primaires et secondaires seraient animés d’une vocation et d’un esprit missionnaire, qu’ils agiraient comme des employé·es zélé·es et subordonné·es d’un système éducatif centralisé, bureaucratique et fortement hiérarchisé, organisé essentiellement de manière à fournir un niveau minimum d’éducation (pas toujours universelle). Un système qui, en définitive, garantirait une orientation différentielle et discriminatoire (classiste) des parcours ultérieurs possibles, en triant sur le volet une minorité restreinte qui, à un niveau supérieur, veillerait à entretenir l’idéologie dominante et le statu quo d’une société bâillonnée, profondément inégalitaire et subordonnée à un régime dictatorial qui a imposé une longue guerre coloniale.

Pendant la période révolutionnaire, qui a duré deux ans, les personnels enseignants se sont affranchis du joug de l’ancien régime en déclin, beaucoup se considérant comme des militantes et militants pédagogiques et des intellectuel·les pouvant amener une transformation. Surgit alors un tourbillon de sentiments et de désirs émancipateurs, ainsi que de nombreuses contradictions et ambiguïtés, même si les expériences les plus marquantes étaient profondément ancrées dans l’esprit progressiste de l’époque.

Malheureusement, dans le domaine de l’éducation, les énergies utopiques de la Révolution se sont rapidement dissipées. À la place, les personnels enseignants ont adhéré aux discours et aux promesses d’un nouveau professionnalisme (avec tout ce que cela peut impliquer en termes de réussite collective), or ils se retrouvent aujourd’hui confrontés à la déprofessionnalisation, voire au néoprofessionnalisme.

Aux antipodes des promesses de la Révolution d’avril, la déprofessionnalisation, qui se traduit (aussi) par la dévalorisation sociale et politique du travail enseignant, rend aujourd’hui encore plus insupportable et aliénant l’effet des mille contraintes présentes dans la vie quotidienne : de l’impossibilité à utiliser le temps et l’espace de manière créative à la solitude de la salle de classe ; de l’usure de la collégialité à la nature de plus en plus tactique des interactions ; des déséquilibres provoqués par diverses injustices dans la création des horaires et l’attribution des responsabilités et des tâches, à la non-reconnaissance des investissements dans la formation ; des effets les plus délétères de la marginalisation des questions éthiques, à la perméabilité sans réserve à diverses formes de dé-démocratisation ; des attitudes d’intimidation et d’annulation à la manipulation managériale et à la surveillance autocratique.

Il existe bien évidemment aussi des résistances à contre-courant, des alternatives constructives, des projets innovants et des engagements qui valorisent les personnels enseignants. Cependant, le contexte actuel est aussi propice au néo-professionnalisme, un ensemble de pratiques qui se fondent dans l’assimilation sans réserve du didactisme psychologisant, dans l’attachement inconditionnel à la technicisation numérique de l’enseignement et à la séduction de l’intelligence artificielle, dans l’internalisation de la logique des résultats mesurables pour les classements nationaux et internationaux, dans la transformation du ou de la professeur·e en tuteur·rice, médiateur·rice ou (même) en coach personnel·le. Un néo-professionnalisme qui coexiste avec des conditions de travail de plus en plus difficiles dans de nombreuses écoles, c’est-à-dire avec l’accentuation de la subordination hiérarchique (voire autoritaire), avec la simplification de la formation initiale et la dévalorisation conséquente des sciences de l’éducation (contrairement à l’exigence d’une formation complexe qui incombe aux travailleuses et travailleurs intellectuel·les), entre autres problèmes. Les relations entre enseignantes et enseignants, induites par les idéaux de la Révolution, ont évolué avec le temps et se redéfinissent aujourd’hui de manière syncrétique et souvent paradoxale. Des revendications justes et des luttes syndicales mobilisatrices coexistent avec des compétences individualistes et des stratégies de survie professionnelle (pas toujours loyales). L’érosion des solidarités et la dévalorisation de la collégialité dialogique coexistent avec la désillusion face aux promesses politiques reportées et l’épuisement provoqué par la surcharge de travail et les tâches bureaucratiques. Le tout, souvent, sous la surveillance panoptique et autocratique dans certains cas des directeurs et directrices d’école, perméables à l’esprit le plus réactionnaire de diverses idéologies politiques et éducatives émergentes. C’est aussi pour cela que la résistance s’impose d’urgence, car l’éducation critique sera toujours une utopie (réalisable) de la Révolution d’avril !

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.