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Mondes de l'éducation

#RDM 2018 A l’épreuve des faits #10 : « Il nous faut bien plus que de meilleur(e)s enseignant(e)s », par Pasi Sahlberg

Publié 16 janvier 2018 Mis à jour 12 avril 2018
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L’édition 2018 du Rapport sur le développement dans le monde (RDM 2018) ne se trompe pas à propos de la crise mondiale de l’apprentissage : pléthore d’enfants non scolarisés, manque d’équité sur le plan éducatif et piètre qualité des résultats d’apprentissage. En revanche, il fait fausse route en cherchant à s’appuyer sur les études factuelles disponibles pour « réaliser la promesse de l’éducation ». Le problème est qu’il existe aujourd’hui une telle quantité de « données factuelles » disponibles pour réformer l’éducation que tout le monde, y compris la Banque mondiale, peut à sa guise rechercher les données qui confirment une hypothèse et ensuite sélectionner les sources qui les avancent.

Le RDM 2018 affirme que les principaux facteurs à l’origine de cette crise sont la mauvaise qualité de la formation initiale des enseignant(e)s, l’absence de motivation et d’incitants, de même que l’inefficacité de l’enseignement. Comme le souligne Steven Klees, il est surprenant que la Banque mondiale arrive aujourd’hui à cette conclusion. Durant des années, cette institution a écarté la formation des enseignant(e)s de toutes ses initiatives pour l’éducation, jugeant inutile d’investir dans ce domaine. Au lieu de cela, la Banque mondiale préconise auprès de ses clients le recrutement d’enseignant(e)s contractuel(le)s non qualifié(e)s pour remédier à la qualité insuffisante des effectifs. Le rapport précise ensuite que trop d’enseignant(e)s ne se sentent pas « motivé(e)s » à enseigner et que proposer des incitants financiers ou autres pourrait apporter une solution efficace à ce problème. Toutefois, selon les recherches, les systèmes de rémunération basés sur la performance ne fonctionnent pas dans les écoles, et les outils d’évaluation des enseignant(e)s pouvant apporter une valeur ajoutée restent, dans la pratique, impossibles à utiliser de manière fiable. Les personnes qui enseignent ou travaillent régulièrement dans des établissements scolaires savent que la plupart des enseignant(e)s exercent ce métier dans le but de transformer la vie des gens et de contribuer au bien commun, et non pas pour rechercher des incitants déterminés par les résultats de leurs élèves.

L’analyse de la profession enseignante que propose le rapport est insatisfaisante pour trois raisons : il envisage le travail des enseignant(e)s sous l’angle du capital humain, il propose une vision étriquée des politiques qui les concernent et il crée l’amalgame entre « données factuelles » et « affabulations » à propos de la Finlande.

1.  Analyse de la profession enseignante - capital humain vs capital social. Le paradigme du capital humain suppose que l’amélioration de la performance est fonction de l’amélioration du personnel. Si ce postulat est vrai pour l’éducation, il ne s’agit en aucun cas d’une vérité universelle. Les études démontrent que la collaboration entre enseignant(e)s se veut profitable à tout le monde [1]. D’autre part, lorsque les écoles coopèrent et contribuent mutuellement à s’améliorer, le rythme auquel s’opère le changement peut aller au-delà des attentes (ex. London Challenge ou l’Initiative de l’Alberta pour l’amélioration des écoles). Investir dans le capital social, c’est-à-dire dans la collaboration, le travail d’équipe et les réseaux, permet souvent de renforcer le capital humain – l’inverse n’est pas vrai. Il apparaît également que l’investissement ayant pour finalité d’améliorer la qualité de la collaboration professionnelle [2]– et non pas uniquement sa fréquence – se veut moins coûteux que les tentatives d’introduire un changement en investissant uniquement dans le capital humain.

2. Vision étriquée des politiques adressées aux enseignant(e)s. C’est un fait avéré, les enseignant(e)s représentent près de trois quarts du montant total des budgets pour l’éducation à travers le monde. Mais, une fois encore, il ne s’agit pas d’une vérité universelle. De l’Albanie aux Etats-Unis, le salaire peu attrayant des enseignant(e)s fait partie de ces facteurs déterminants qui dissuadent les jeunes de se lancer dans une carrière d’enseignant(e) à vie. Il est certes facile de réclamer des effectifs de meilleure qualité, mais cela ne suffit pas. Les politiques intéressant directement la communauté enseignante doivent, elles aussi, être améliorées. Le RDM 2018 nous offre quelques exemples de politiques efficaces au sein de systèmes éducatifs performants, mais ne formule aucune recommandation convaincante pour améliorer les cadres politiques nationaux pour les enseignant(e)s. Les pénuries d’effectifs et, par conséquent, le nombre trop important d’entre eux mal préparés ou non qualifiés, sont la conséquence directe de l’inefficacité des politiques qui les concernent et du financement insuffisant de l’éducation. Comme le montrent les recherches, améliorer les politiques mises en place pour les enseignant(e)s contribue souvent à améliorer la qualité des effectifs et à renforcer les performances sur le plan éducatif au fil du temps.

3. Les mythes entourant la Finlande. Le rapport explique, à la page 13 et plus loin à la page 136, comment le système éducatif finlandais confère une importante autonomie à ses effectifs qualifiés et comment ceux-ci peuvent adapter leur enseignement aux besoins de leurs étudiant(e)s. Il déclare ensuite que les systèmes éducatifs moins performants ne peuvent se voir accorder une telle autonomie, étant donné que, en présence d’effectifs peu qualifiés, non motivés et mal dirigés, la situation ne ferait qu’empirer (p. 13). Il semble nécessaire ici de clarifier certains points. La performance pédagogique des écoles finlandaises n’est pas uniquement imputable à « l’autonomie des enseignant(e)s ». Dans ce pays, la culture des écoles s’appuie sur une collaboration professionnelle entre les établissements et au sein de chacun d’entre eux, impliquant l’ensemble du système. Au lieu de réserver un volet important de leurs réformes éducatives à la reddition des comptes, comme le sollicite souvent la Banque mondiale auprès de ses clients, les écoles finlandaises jouissent d’une autonomie collective les rendant plus autonomes vis-à-vis de la bureaucratie, mais moins indépendantes les unes par rapport aux autres. Les recherches montrent que la collaboration professionnelle se révèle particulièrement profitable aux enseignant(e)s moins qualifié(e)s ou en début de carrière. C’est bel et bien cette culture de la collaboration professionnelle qui améliore la performance éducative des écoles finlandaises, et non pas l’autonomie des enseignant(e)s comme le prétend le rapport.

Une autre légende à propos de la Finlande veut que le nombre de certifications universitaires serait le meilleur indicateur de l’efficacité des enseignant(e)s. A la page 23, le RDM indique que pour assurer l’efficacité de son enseignement, la Finlande attire dans la profession certain(e)s des diplômé(e)s de l’enseignement supérieur titulaires des plus hautes qualifications. Mais en réalité, seule une minorité de ceux et celles qui sont accepté(e)s dans les programmes de recherche universitaires concurrentiels sont issu(e)s du quintile supérieur du réservoir de talents [3]. Le RDM 2018 omet également de signaler que, avant de pouvoir participer à ces programmes universitaires concurrentiels, les candidat(e)s à l’enseignement sont soigneusement sélectionné(e)s sur la base de leurs multiples talents combinés et de leurs caractéristiques personnelles. Chaque étudiant(e) fait l’objet d’une formation scientifique et clinique rigoureuse. Raison pour laquelle les enseignant(e)s finlandais(es) possèdent des compétences pédagogiques supérieures, une connaissance des contenus, des aspirations morales et une identité claire de ce qu’ils/elles sont, le tout formant les piliers de leur professionnalisme.

Pour tenter de trouver les moyens d’échapper aux pièges que nous tend la crise de l’apprentissage, le RDM 2018 aurait dû s’appuyer davantage sur les enseignements tirés des pays où le système d’éducation est performant et qui, en vue de renforcer l’éducation publique, accordent souvent la priorité à la qualité, à l’équité et au professionnalisme des enseignant(e)s dans leurs politiques éducatives.

« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.

[1] Quintero, E. (Ed.) (2017). Teaching in Context: The Social Side of Education Reform. Cambridge, MA: Harvard Education Press.

[2] Andy Hargreaves, A., O’Connor, M. (2017). Cultures of professional collaboration: their origins and opponents. Journal of Professional Capital and Community, vol. 2, édition 2, pp.74-85, https://doi.org/10.1108/JPCC-02-2017-0004

[3] Sahlberg, P. (2017). FinnishED Leadership. Four big, inexpensive ideas to transform education. Thousand Oaks: Corwin Press.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.