Pourquoi les enseignant·e·s ont besoin de l’impôt
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L’Objectif de développement durable (ODD) relatif à l’éducation fixe des objectifs ambitieux et, pour en financer la réalisation, nous avons besoin d’un changement radical et nous devons restaurer la confiance dans la capacité des gouvernements à financer pleinement un enseignement public de qualité. Cela ne peut venir que d’une augmentation substantielle des investissements.
Fondamentalement, l’éducation est un investissement à long terme nécessitant un financement prévisible. Il ne s’agit pas d’un gain ponctuel, rapide et à court terme. Le principal retour sur investissement de l’éducation s’étale sur 10 ans ou plus (lorsque les enfants terminent leurs études et contribuent à la société). Les principaux coûts uniques sont des dépenses récurrentes, en particulier pour couvrir les salaires du corps enseignant. Une aide est considérée à la fois comme une solution à trop court terme et trop imprévisible pour couvrir ces coûts. Nous avons besoin de solutions systémiques et d’un financement durable, des caractéristiques qui sont très étroitement associées à l’impôt.
L’impôt est actuellement la principale source de financement des plans gouvernementaux pour l’éducation, même dans des pays à faible revenu extrêmement dépendants de l’aide. Un grand nombre de pays sont sur le point d’atteindre les deux critères communs de 6% du produit intérieur brut (PIB) et de 20 % des dépenses publiques consacrés à l’éducation, mais ne disposent toujours pas de recettes suffisantes. Cela signifie que nous devons nous intéresser davantage au volume global des budgets nationaux. Les ratios impôt/PIB sont une mesure largement utilisée pour la perception de l’impôt et, s’il veut offrir une éducation universelle, un État est susceptible d’avoir besoin (selon Piketty) d’un ratio d’au moins 20 %, ce que de nombreux pays à faible revenu n’ont pas.
Mettre l’accent sur l’impôt en tant que source de revenus présente d’autres avantages : outre le fait de collecter des recettes prévisibles, il s’agit d’un moyen essentiel pour redistribuer les ressources et réduire les inégalités. Il présente également des avantages majeurs en termes de renforcement de la responsabilité, en renforçant les liens entre les citoyens et l’État et en encourageant une meilleure gouvernance.
Certaines formes d’impôt sont « progressives » (pour le dire simplement, les plus riches paient plus en pourcentage de leurs revenus) et d’autres sont « dégressives » (les plus riches paient moins en pourcentage de leurs revenus). S’il l’on peut défendre le point de vue qu’il convient d’accroître les recettes destinées à financer l’éducation par tous les moyens, il existe également un avantage particulier à recourir à une base d’imposition progressive pour des dépenses progressives dans l’éducation, étant donné que cela double la réduction des inégalités à un moment où tout le monde, depuis le Pape jusqu’au Fonds monétaire international, plaide pour y parvenir.
Un domaine important pour commencer à promouvoir une réforme fiscale concerne l’imposition des sociétés, en partie parce qu’elle a fait l’objet d’une grande attention à l’échelle internationale ces dernières années, comme l’ont illustré le plan d’action de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et l’élan politique du G20 qui le sous-tend, le Groupe spécial de haut niveau de l’Union africaine sur les flux financiers illicites et le mouvement populaire en plein essor, qui appelle les entreprises à payer une part équitable d’impôt. Il s’agit également d’un domaine de la fiscalité où les stratégies d’évasion fiscale produisent des effets considérables dans les pays en développement et qui représente donc un moyen potentiellement important d’accroître le financement de l’éducation. Le déficit de ressources de 39 milliards de dollars dans l’éducation pourrait être largement comblé par une action coordonnée dans ce seul domaine !
La priorité doit être donnée aux sociétés multinationales, parce que les entreprises nationales ne bénéficient généralement pas des mêmes incitations fiscales ou des mêmes vacances fiscales (qui sont principalement utilisées pour attirer des investissements étrangers), étant donné que les multinationales disposent de possibilités particulières pour éviter l’impôt en raison de leur caractère international et de l’énorme quantité d’argent en jeu. Une action progressive dans le domaine de la justice fiscale devrait justement commencer là où les inégalités sont les plus criantes et c’est particulièrement le cas lorsqu’il est question de soutenir l’éducation, qui possède un potentiel d’égalisation puissant.
En nous concentrant sur la fiscalité des entreprises et les multinationales, nous devons reconnaître qu’il existe de nombreux cas où la portée des actions nationales dépend, en partie, d’une action internationale mieux coordonnée. Á l’heure actuelle, les règles d’imposition mondiales sont déterminées par le groupe des pays riches – l’OCDE – et le moment est clairement venu de créer un organe des Nations Unies, inclusif et disposant de moyens, pour fixer des règles plus équitables et les faire appliquer. L’absence d’accord sur une telle recommandation a été une déception majeure de la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement (2015), qui visait à trouver des solutions pour financer la réalisation des ODD.
Il semble particulièrement souhaitable que les enseignant·e·s et les militant·e·s de l’éducation insistent pour l’adoption de réformes fiscales dans quatre domaines :
- faire cesser les incitations fiscales préjudiciables (139 milliards de dollars de recettes ont été perdues par des gouvernements s’imaginant qu’ils doivent accorder des avantages fiscaux pour attirer des investissements) ;
- s’opposer à l’évasion fiscale agressive (entre 100 et 200 millions de dollars sont perdus pour l’éducation et d’autres services publics en raison de pratiques de plus en plus courantes et contraires à l’éthique) ;
- renégocier les traités fiscaux douteux (de nombreux traités sont profondément déséquilibrés et privent les pays en développement de ressources dont ils ont désespérément besoin) ; et
- augmenter les impôt pré-affectés (en particulier pour l’éducation).
Chacun de ces domaines est détaillé dans l’annexe jointe. Cela peut être un peu technique, mais nous devons tous surmonter notre peur de l’impôt ! Un excellent nouveau guide intitulé « Questions de financement », publié conjointement par la Campagne mondiale pour l’éducation (CME), l’Internationale de l’Éducation (IE) et ActionAid, nous aidera dans cette tâche, en proposant quelques ressources pratiques et d’utilisation simple aux syndicats d’enseignant·e·s, aux coalitions et aux militant·e·s sur l’augmentation du financement national de l’éducation.
L’argument ultime est que nous avons besoin de trouver un nouveau financement à la fois important et durable pour aider les pays à réaliser pleinement l’ensemble des cibles de l’ODD relatif à l’éducation. Des solutions ponctuelles à court terme ne constitueront pas une avancée. Un ou deux milliards supplémentaires ne feront pas une différence durable. En revanche, mettre fortement l’accent sur la manière d’élargir la base d’imposition pour financer l’éducation offre les meilleures chances perspective de parvenir à ce dont nous avons urgemment besoin : des dizaines de milliards de dollars de financement durable, année après année, pour payer les millions de nouveaux·elles enseignant·e·s professionnel·le·s dont nous avons besoin de toute urgence dans le monde. Cela constitue également une solution cruciale pour apporter un financement durable qui renforce – plutôt que de saper – la responsabilité des gouvernements nationaux d’accorder le droit à l’éducation.
Le moment est venu de traiter cette problématique. La colère suscitée aux quatre coins du monde par les Panama Papers a montré qu’il existe un soutien public et politique en faveur d’une réforme. Il est temps que le cycle négatif de la perte de recettes et des faibles investissements dans l’éducation soit remplacé par un cycle positif d’augmentation des recettes fiscales nationales afin d’investir de manière durable dans les dépenses récurrentes de base de l’éducation, qui créeront une croissance économique à long terme, laquelle entraînera à son tour une augmentation des recettes.
Ce blog s’inspire d’un rapport intitulé « Fiscalité domestique et éducation », rédigé par ActionAid pour l’Education Finance Commission. La lecture du nouveau guide « Questions financières » est également recommandée. Publié par l’IE, ActionAid et la CME, il apporte des conseils pratiques sur le financement national de l’éducation à l’intention des syndicalistes et des militant·e·s de l’éducation.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.