#WDR2018 à l’épreuve des faits n°15: Enseignement et formation techniques et professionnels - Réaliser le potentiel pour transformer la vie de millions de personnes, par Pat Forward
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Les éléments les plus frappants du chapitre sur la formation technique et professionnelle (EFPT) du Rapport 2018 sur le développement dans le monde (WDR) sont d’une part qu'il s'agit d'un examen superficiel du rôle et de l'impact de la FTP dans le monde, et d’autre part, que le chapitre conserve obstinément une vision très étroite du rôle que joue ce secteur.
Le ton est donné très rapidement. Le chapitre s’ouvre avec une dichotomie déficitaire - faisant référence à seulement deux voies pour quitter l'école - « l’abandon » ou « le diplôme » [1]. Il fait ensuite valoir l'importance du lien entre l'enseignement professionnel et les besoins des employeurs (plutôt que ceux des élèves). Il fait souvent référence à l'importance de la formation en milieu de travail, soutenant qu'elle approfondit les compétences des travailleurs. Mais, plus important encore, les auteurs estiment également qu’elle augmente la productivité des entreprises. L’ensemble du chapitre fait référence à la construction très étroite de « jobs », non de carrières ou de vocations, même s’il affiche une compréhension de la différence entre la préparation aux carrières et non à des emplois à court terme comme résultat de l'EFTP, et la conception étroite des compétences définies par l'employeur pour le travail « juste à temps ». Les employeurs veulent des travailleurs qui ont été préparés pour les emplois d'hier, pas pour les emplois de demain et certainement pas pour les emplois d'avenir. Le récent travail de l’IE sur les Tendances mondiales dans le secteur de l’EFP : définir un cadre pour la justice sociale décrit les dangers de mettre strictement l’accent sur les compétences « juste à temps » pour le travail, ce qui donne naissance à une EFTP étroite et instrumentale, axée sur les compétences spécifiques pour certains métiers. A l’inverse, il soutient que les étudiants devraient être équipés « des vastes connaissances et compétences nécessaires pour s'engager dans des carrières épanouissantes et contribuer à leurs professions, familles et communautés. » [2]
Les auteurs du WDR ne mentionnent pas le bien public allant manifestement de pair avec l'EFTP, son rôle dans la construction de la vie des gens, l’importance d'un point de référence à large spectre pour les compétences et la nécessité absolue de s’éloigner d’une conception qui sous-tend le secteur et qui consiste à rentabiliser au maximum le capital humain au lieu de cultiver des personnes qui ont raison d’apprécier leurs vies, au lieu de soutenir des citoyens productifs et épanouis. Là encore, « les tendances mondiales en matière d'EFP» publié par l’IE, en abordant le contraste entre les conceptions étroites du développement des compétences du capital humain, et l'idée beaucoup plus large de l' approche axée sur les capacités, détaille davantage l'importance de placer les citoyens au centre de la politique de la formation professionnelle. Dans le cadre de l'enseignement et la formation professionnels, l’approche axée sur les capacités faire la part belle à l'épanouissement humain, et au fait que les femmes et d'autres personnes en situation de désavantage et de pauvreté sont en première ligne dans l'enseignement professionnel [3]. Plus important encore, la méthode axée sur les capacités veut donner aux étudiants l'accès à la connaissance et à la compréhension nécessaires pour développer une capacité plus large et adaptable dans un monde du travail qui évolue rapidement. Ces questions nécessitent un engagement bien plus approfondi que celui qui est présenté dans le Rapport sur le développement dans le monde.
Elément important : le chapitre ne contient aucune mention des obligations des gouvernements à financer et à trouver les ressources pour un secteur de l'enseignement professionnel qui peut soutenir ce qui doit constituer un objectif clé pour tous les pays à ce moment important dans l'histoire - l'éducation de citoyens épanouis et productifs. Dans le monde entier, l'EFTP continue de dépérir, considérée comme le parent pauvre des écoles et des universités parce que les gouvernements ne parviennent pas à accorder la priorité appropriée à son rôle dans le développement de de citoyens épanouis et productifs et préfèrent choisir de limiter son application au développement de compétences étroitement conçues pour des jobs définis par les employeurs.
Le système d'enseignement professionnel australien constitue un cas d’étude de la destruction d'un système d’enseignement professionnel très respecté et fonctionnant bien, basé sur des institutions de ETFC (enseignement technique et formation continue) et des réseaux et des relations sophistiqués entre les employeurs, les syndicats et les gouvernements qui le renforcent. Au cours des deux dernières décennies, les gouvernements successifs de l'Australie ont tenté de privatiser le secteur, offrant des fonds gouvernementaux à des prestataires privés à vocation commerciale, imposant au secteur une formation axée sur les compétences et conçue de façon étroite, supprimant des fonds du système public, remplaçant le financement destiné aux établissements scolaires par des prêts étudiants, et affirmant sans relâche que la caractéristique la plus importante de l'enseignement professionnel doit être son contrôle par l'employeur.
Comme la détermination du gouvernement australien à imposer des réformes du marché du secteur de l'enseignement professionnel australien n’a cessé de croître au cours des cinq dernières années, le financement du secteur s’est effondré, la croissance des bénéfices dans le secteur privé a atteint des sommets- avec tous les « bénéfices » provenant du sabotage du financement public, près de 4 milliards de dollars ont été perdus pour le système en raison de l’ échec d’un système de prêts étudiants- et plus grave encore, les inscriptions et la participation à la formation professionnelle ont également chuté.
L’obsession des gouvernements australiens pour l'organisation et la conception mercantiles, leur respect rigoureux de la formation axée sur les compétences, ainsi que la prolifération et la commercialisation de milliers de programmes de formation, la sape et le sous-financement des enseignants, l’impossibilité de trouver les ressources ou de développer les qualifications requises pour enseigner et soutenir la préparation et le développement des enseignants - toutes ces choses sont le résultat direct d'un manque d'appui à un secteur public sophistiqué d'enseignement et de formation professionnels.
L'Australie a détruit son propre système d'éducation professionnelle, sapant les établissements publics d'enseignement qui en étaient les piliers, limogeant des milliers d'enseignants, et condamnant des centaines de milliers d'étudiants à un avenir d’endettement pour suivre des qualifications et des formations qui, dans bien des cas, n’ont jamais été assurées.
Dans des recherches récentes sur le fondement du secteur australien de l'enseignement professionnel, Buchanan, Wheelahan et Yu posent deux questions importantes sur la façon d'aborder la politique de l'éducation professionnelle :
Quels objectifs devons-nous poursuivre, et quel est le point de référence pour les compétences ?
La réponse à ces questions est pertinente pour le développement de systèmes d'EFTP dans le monde entier.
L'EFTP doit-elle avoir pour objet de maximiser le rendement sur le capital humain (avec une priorité à l'emploi infiniment flexible) ou d’encourager les gens à vivre des vies qu'ils ont raison d’apprécier (avec une priorité au soutien pour des citoyens productifs et épanouis) ?
Et quel est le point de référence en matière de compétences ? Doit-il s’agir uniquement de compétences dérivées des emplois actuels ? Ou de capacités d’adaptation à un avenir incertain, de plus en plus touché par la nouvelle technologie et conditionné par la capacité des personnes à se déplacer rapidement dans leur domaine professionnel, d’un domaine à l’autre ou au sein des diverses filières professionnelles ? Cette approche plus large de l'EFTP, à laquelle fait référence l'étude de l’IE, démontre que les gens doivent disposer des connaissances, des compétences et des attributs nécessaires pour naviguer, négocier et s'engager dans ces aspects de la vie ; l’habilité au travail émerge de connaissances, de compétences et d'attributs plus larges. Dans son message principal N°5, le Rapport traite spécifiquement de l'impact de la technologie sur le monde du travail et sur l'apprentissage ; il souligne que l'adaptation aux nouvelles technologies est essentielle pour la préparation à la participation au monde du travail en évolution rapide. Cependant, l'étude de L’IE reconnaît également que ces nouvelles compétences technologiques doivent être construites sur les fondements d'un projet d'alphabétisation et de numératie - une démarche inhérente à une approche plus large de l'EFTP, et malheureusement absente de l’analyse du Rapport.
La Banque mondiale ferait bien d'aborder le secteur de l'EFTP d’une manière plus approfondie et plus détaillée. En tant que secteur clé de l'éducation pour les individus et pour la société, l’EFTP peut jouer un rôle clé dans la transformation de la vie des personnes et dans l'établissement de relations essentielles avec l'industrie et les syndicats dans la transformation de l'économie et l'avenir du travail. Le secteur de l'EFTP ne peut pas créer des emplois, mais peut transformer la façon dont fonctionne l'économie.
« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.
[1] Banque mondiale. 2018. Rapport sur le développement dans le monde 2018 : Apprendre pour réaliser la promesse de l'éducation. Washington, DC : Banque mondiale. doi:10.1596/978-1-4648-1096-1. Licence : Creative Commons Attribution 3.0 CC PAR IGO p154
[2] Wheelahan, Leesa et Moodie, Gavin (2016) Tendances mondiales dans le secteur de l’EFP : définir un cadre pour la justice sociale, Bruxelles : Internationale de l’Education, p 9-10
[3] Ibid.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.