Les enjeux éducatifs en tête de l’ordre du jour de l’OMPI
Déclarations en réunion plénière, organisation d’un événement parallèle, rencontres avec des délégué(e)s et coopération avec d’autres acteur/trices de la société civile: l’Internationale de l’Education réaffirme l’importance d’avancer sur la question des exceptions aux droits d’auteur à l’échelle internationale, à l’occasion du Comité permanent des droits d’auteur et des droits connexes de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Lors de sa 36e réunion qui s’est déroulée à Genève, en Suisse, du 28 mai au 1er juin, le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes (SCCR) de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a approuvé un plan d’action pour l’éducation, la recherche, les personnes en situation de handicap, les musées, les bibliothèques et les archives.
L’Internationale de l’Education (IE) a fait valoir que les exceptions et les limitations au droit d’auteur sont essentielles pour garantir le droit à une éducation de qualité et elle a soulevé des inquiétudes quant aux événements récents concernant le projet de traité sur la radiodiffusion, dans lequel les exceptions ont été écartées des négociations.
Evénement parallèle: Comment l’OMPI peut-elle contribuer au droit à l’éducation pour tou(te)s
L’IE et la délégation indonésienne auprès de l’OMPI ont coparrainé un événement parallèle à l’heure du déjeuner. Animé par Erry Prasetyo, de la Mission permanente de l’Indonésie à Genève, l’événement a présenté des recherches et des exemples pratiques de l’impact des politiques sur les droits d’auteur sur le travail des institutions éducatives et a ainsi démontré l’utilité d’une réforme des droits d’auteur à l’échelle nationale et internationale pour atteindre les objectifs du développement durable.
La Présidente du syndicat des enseignant(e)s indonésien(ne)s PGRI, Unifah Rosyidi, a souligné que pour « un pays en voie de développement, l’accès à un enseignement et à des outils pédagogiques de bon niveau et à un prix raisonnable est indispensable à l’amélioration de la qualité de l’éducation ». Elle a présenté les travaux de son syndicat sur la valorisation des ressources éducatives libres par l’intermédiaire du PGRI Smart Learning Centre ( Centre pédagogique intelligent) et a soutenu qu’il était « important de reconnaître l’éducation en tant que droit humain et de faire progresser les travaux du SCCR sur les exceptions afin de faciliter l’utilisation transfrontière des outils pédagogiques et de réduire le risque de violation des droits d’auteur ».
Teresa Nobre de COMMUNIA a présenté sa recherche sur les licences en Europe et a montré à qu’en Finlande, en France et au Royaume-Uni, les contrats de licence d’accès et d’utilisation des ouvrages numériques en faveur de l’enseignement et de l’apprentissage restreignent souvent le champ des exceptions en matière d’éducation, attribuent des prérogatives discutables aux titulaires de droits et pèsent lourdement sur les écoles. Elle a poursuivi en soulignant que « des clauses contractuelles doivent protéger les exceptions aux droits d’auteur de toute possibilité de dérogation et que les établissements éducatifs ont besoin de dispositifs de recours contre les contrats abusifs ». Ces questions sont au centre des débats de l’UE, qui s’apprête à adopter une directive sur les droits d’auteur dans le marché unique numérique, laquelle permettrait aux licences de supplanter les exceptions en matière d’éducation.
Du côté des créateur/trices, Brianna Schofield de l’Author’s Alliance ( Alliance des auteurs) a indiqué dans sa présentation que les auteur(e)s tirent également profit des exceptions et des limitations aux fins de l’éducation et de la recherche, qui « peuvent promouvoir leurs objectifs de progrès des connaissances, les aider à asseoir leur réputation et amplifier la portée de leurs œuvres ». Elle a plaidé en faveur d’un rééquilibrage du droit d’auteur, qui serait bénéfique à tout un chacun, et a présenté les résultats d’une enquête menée auprès des auteur(e)s d’œuvres dans l’affaire de l’Université nationale de Géorgie (GSU), poursuivie par des éditeur/trices pour violation des droits d’auteur.
Dans sa présentation Separating Fact from Fiction: The Reality of Canadian Copyright, Fair Dealing( Distinguer la fiction de la réalité: réalité du droit d’auteur canadien, utilisation équitable), Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa et membre actif de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), a contesté les affirmations de l’industrie de l’édition selon lesquelles l’utilisation équitable (à savoir, l’exception aux droits d’auteur canadiens) détruit l’édition. Il a démontré que de toute évidence « malgré des allégations contraires, l’expérience canadienne prouve qu’utilisation équitable et prospérité du marché de la publication ne sont pas incompatibles. Elle favorise l’éducation sans pour autant remplacer les livres et les licences. »
Erry Praseyto, de la Commission permanente de l’Indonésie auprès de l’OMPI, a clôturé la réunion en soulignant qu’« il est essentiel de rééquilibrer les débats sur la réforme internationale des droits d’auteur au cours desquels toutes les parties s’expriment en bonne intelligence et savent pertinemment que l’accès et l’utilisation équitable des œuvres dans l’éducation et la recherche sont primordiaux pour le développement des sociétés ».
Aussi, comme l’a bien résumé Michael Geist, « la discussion sur la réforme des droits d’auteur n’est pas une question de licence, d’exceptions aux droits d’auteur ou de ressources éducatives libres. Nous avons besoin d’un juste équilibre entre les trois pour construire un écosystème d’information équitable. »
L’Internationale de l’Education croit sincèrement que le SCCR peut et devrait contribuer à créer cet « écosystème équitable » en progressant sur l’élaboration d’un cadre international pour les exceptions et les limitations aux droits d’auteur.
Projet de Traité sur la radiodiffusion les exceptions et les limitations sont écartées
Au cours de la réunion, les discussions ont également porté sur un projet de traité concernant la radiodiffusion qui vise à répondre aux préoccupations des radiodiffuseurs en matière de piratage des émissions de radio. Dans une lettre ouverte, la Société civile a critiqué le projet de traité sur un certain nombre de points tels que la proposition d’une durée de protection de 50 ans et la période de fixation suivante et qui dépasserait largement la durée du droit d’auteur. Les radiodiffuseurs bénéficient ici de nouveaux droits exclusifs alors que les droits des usagers sont négligés. Nikola Wachter de l’IE a relayé cette préoccupation, en réunion plénière, et a souligné que les enseignant(e)s et les chercheurs/euses doivent pouvoir utiliser, en toute loyauté, le contenu diffusé à des fins pédagogiques: « Un nouveau traité doit aborder comme il convient les exceptions et les limitations dans le cadre de l’éducation et de la recherche. Le projet de texte actuel n’est pas équilibré à cet égard et risque de porter sérieusement atteinte aux droits des usagers. »
Adoption du plan d’action pour les établissements d’enseignement et de recherche et les personnes handicapées
Parmi les points positifs de la 36e session du SCCR, il convient de mentionner l’accord concernant le Plan d’action sur les établissements d’enseignement et de recherche et les personnes ayant d’autres handicaps, qui prévoit les actions suivantes pour 2018-2019:
· établir une typologie des exceptions et limitations aux établissements d’enseignement et de recherche dans le but d’aider à identifier et comparer les similitudes et les divergences entre les législations des différents pays;
· commanditer une étude sur les questions que pose l’environnement numérique par rapport aux activités des établissements d’enseignement et de recherche à l’échelle nationale et internationale;
· actualiser et développer l’étude exploratoire de Reid/Ncube sur l’accès des personnes handicapées aux œuvres protégées par le droit d’auteur (SCCR/35/3);
· organiser des séminaires régionaux inclusifs sur les établissements d’enseignement et de recherche;
· organiser une conférence mondiale sur les exceptions et les limitations qui en réfèrera au SCCR;
· organiser une activité en marge de la session du SCCR sur le thème des personnes atteintes d’autres handicaps non couverts par le Traité de Marrakech.
L’Internationale de l’Education s’est félicitée du plan d’action et a souligné qu’il serait important que les parties prenantes de l’enseignement participent aux réunions et travaillent à l’élaboration d’un programme normatif pour l’éducation. Par ailleurs, l’étude sur les questions numériques ne devrait pas se contenter d’étudier la disponibilité de modules d’apprentissage en ligne et la mise en place de modules de formation à distance, mais aborder la manière dont la législation sur les droits d’auteur pourrait entraver l’utilisation équitable des œuvres numériques ainsi que la collaboration en ligne dans la sphère éducative en général.
Wachter a également souligné que les discussions ne devraient pas se limiter à l’utilisation des œuvres dans les établissements d’enseignement, mais qu’il faudrait plutôt parler d’« activités éducatives », rappelant que « l’éducation ne se fait pas seulement en classe: les enseignants organisent des sorties avec leurs étudiants et visitent les institutions du patrimoine culturel. »
Pour plus d’informations :
· Civil Society Issues Call For Action On Draft WIPO Copyright Exceptions( Appel à l’action de la société civile au sujet des projets de plans d’action de l’OMPI sur les exceptions au droit d’auteur), Intellectual Property Watch.
· Consulter les interventions des Etats membres au sujet des bibliothèques (et de l’éducation), Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques.