Ei-iE

Théâtre de rue dans le cadre d'un projet syndical contre le travail des enfants au Burundi
Théâtre de rue dans le cadre d'un projet syndical contre le travail des enfants au Burundi

Burundi : plus de 400 enfants retournent à l’école grâce à un projet syndical de lutte contre le travail des enfants

Publié 31 octobre 2024 Mis à jour 25 novembre 2024

404 enfants ont retrouvé les bancs de l’école à la rentrée scolaire de septembre 2024 dans la commune de Gihanga (Burundi), suite à un projet de lutte contre le travail des enfants mis en en œuvre depuis janvier par le STEB, le Syndicat des travailleurs de l’enseignement du Burundi.

Le projet a débuté en janvier 2024 avec le soutien de l’Internationale de l’Education, de la Fondation Fair Childhood de la GEW, de l’AOb et de Mondiaal FNV. Il a permis de retirer 229 garçons et 175 filles du travail des enfants.

Ces retours à l’école sont le résultat d’une vaste campagne de formations et sensibilisations orchestrée par le STEB. Les enseignant·e·s, directeur·rice·s des écoles et autorités de la commune ont été formés sur les droits de l’enfant, la définition du travail des enfants, les manières de sensibiliser la population à l’importance de l’éducation. « Beaucoup de parents ignorent que les travaux effectués aujourd’hui pas les enfants inhibent leur développement à long terme. Nous détaillons dans nos ateliers quelles stratégies utiliser pour les approcher et leur faire comprendre que l’école reste la meilleure garantie d’une vie meilleure », explique Remy Nsengiyumva, Président du STEB.

Des enseignant·e·s se portent ensuite volontaires pour devenir les « point focaux » du projet au sein de leur école, autrement dit les personnes qui vont relayer ses activités dans la communauté scolaire. Ils·elles reçoivent une nouvelle formation syndicale pour être à même d’assurer ces tâches, dont la mise sur pieds ce clubs de lutte contre le travail des enfants au sein des écoles. Ces clubs sont au cœur des activités de sensibilisation menées au sein des communautés, à travers notamment le théâtre de rue.

Des sous-titres en français sont disponibles. Pour les activer, cliquez sur le bouton des paramètres vidéo (icône en forme de roue dentée).

« Ca me fait de la peine quand des amis tournent mal, je veux les aider. »

« J’ai décidé de devenir membre du club de lutte contre le travail des enfants de mon école car je veux aider les autres, explique Donobel, 12 ans, élève de 5eme année primaire à Giganga. Dans mon quartier, je connais beaucoup d’enfants qui ne vont pas à l’école, certains ont des mauvais comportements, ont commencé à voler dans les maisons. Ca me fait de la peine quand des amis tournent mal, car ils n’ont pas eu d’accès à une éducation. Le projet du STEB nous a appris quels sont les droits de l’enfant, comment approcher les enfants en décrochage scolaire pour les sensibiliser à l’importance d’un retour à l’école. J’ai pu convaincre 23 enfants de revenir à l’école cette année. Pour certains, ça n’a pas été trop difficile : je leur ai parlé en rue, en expliquant que l’école leur était toujours ouverte. D’autres ne sont pas convaincus de l’utilité de l’école, ou disent que leurs parents s’y opposent. En ce cas, je vais les voir à leur domicile en compagnie de l’enseignant point focal de mon école, jusqu’à obtenir un retour à l’école »

Ensemble pour les enfants : les syndicats d’enseignants travaillent en partenariat avec les autorités locales

Même lorsque les enseignant·e·s parviennent à convaincre les parents de ramener leurs enfants à l’école, des barrières subsistent. Les parents sensibilisés par le STEB rechignent parfois par peur d’un refus d’inscription de la part du directeur, ou de devoir payer une somme d’argent en échange de l’inscription (ce qui est illégal au Burundi, mais peut se produire). L’un des points forts d’un projet comme celui du STEB est d’impliquer les directeur·rice·s et les autorités locales dès les premières formations et activités, afin de s’assurer de leur pleine collaboration. Salvator Habunimana, chef de colline (division administrative) à Gihanga, va jusqu’à accompagner les parents lors de l’inscription de l’ex-enfant travailleur·se pour les rassurer sur le fait que l’enfant ne sera pas rejeté par la direction et qu’on ne leur demandera aucune somme d’argent. « Lors de chaque réunion de colline, j’explique l’importance de l’éducation, qu’un enfant qui n’étudie pas peut devenir un bandit. Je me déplace parfois au domicile de parents pour achever de les convaincre, et je les menace de sanctions s’ils persistent à ne pas envoyer leurs enfants à l’école, car ils violent la loi ».

« Avant ce projet, le message ne passait pas ! »

Les autorités locales de l’éducation sont également impliquées dans le projet, à la grande satisfaction de Bonaventure Ndayiziga, directeur communal de l’éducation à Gihanga: « Avant ce projet, le message concernant l’obligation scolaire ne passait pas ! Personne n’était responsabilisé pour aller en parler dans les ménages. La formation du STEB nous a aidés à prendre conscience que le message doit arriver dans chaque ménage, qu’on ne peut se limiter à en parler dans une réunion ». Omer Sindayigaya, enseignant représentant communal du STEB à Gihanga, abonde dans le même sens : « Avant, l’Administration donnait ses instructions, il fallait ramener les enfants en décrochage à l’école, mais sans stratégie. Ce projet amène une synergie entre administration, direction d’école, enseignant·e·s et parents, cette synergie donne une force qui produit des résultats bien plus importants ».

L’implication de chaque partenaire de l’école est essentielle à la réussite de ce projet. Séverin Ntunzwenimana, membre du Comité de Gestion Scolaire de l’école Murira 1 de Gihanga : « Lorsqu’il s’agit de l’éducation de leurs enfants, les parents acceptent plus facilement la visite de personnes qu’ils connaissent dans la communauté. Ils ont confiance en nous quand on leur montre les avantages de l’école, quand on leur dit que nous sommes prêts à inscrire leur enfant pour eux s’ils le souhaitent. Lorsqu’ils voient que le fils ou la fille de tel ou tel voisin a été accepté sans problème par l’école, c’est aussi plus facile de les convaincre ».

Vaincre toutes les réticences

Le retour de 404 enfants sur les bancs de l’école à Gihanga est un succès, mais il n’est qu’une étape dans ce projet : 1.642 enfants avaient été identifiés comme non scolarisés lors de l’étude de base menée par le STEB fin 2023, et 765 s’étaient inscrits dans les écoles suite aux sensibilisations des premiers mois. « Tous ceux qui avaient l'intention de revenir en classe ne l’ont pas fait car certains parents et élèves croyaient recevoir des aides matérielles. Notre travail doit continuer pour vaincre toutes les réticences », explique Remy Nsengiyumva.

Le projet du STEB à Gihanga fait suite à un projet similaire qui a été développé par le syndicat à Rukamaru, une localité proche de la capitale, depuis 2021. 663 enfants ont été ramenés à l’école à Rukamaru de 2021 à 2023, sur 926 enfants identifiés comme travailleurs et déscolarisés lors de l’étude de base menée en début de projet. Les inondations qui ont frappé une partie de la commune de Rukamaru en 2024 rendent difficile une estimation actuelle du nombre d’enfants encore au travail dans cette localité, mais les enseignant·e·s et autorités locales formés par le projet poursuivent leur travail de sensibilisation.

Un retour pour de bon : accompagner les enfants de retour à l’école

Le retour d’un ex-enfant travailleur à l’école n’est qu’une première victoire. L’objectif est qu’ils y restent à long terme. Or, des enfants qui n’ont pas fréquenté l’école pendant des années ont souvent adopté d’autres comportements sociaux, d’autres habitudes qui ne sont pas toujours conciliables avec la discipline scolaire. Le retard scolaire pose aussi problème, raison pour laquelle le projet du STEB offre des cours de rattrapage aux élèves réintégrés après une longue absence.

« Les enfants qui ont eu l’habitude de gagner un peu d’argent grâce au travail restent tentés de s’absenter de temps à autre pour retourner travailler car la pauvreté est très grande dans cette région, explique Selami Mwajuma, enseignante à Rukamaru. Beaucoup ont le ventre creux une bonne partie de la journée. J’ai pu convaincre en 2023 quatre filles et garçons de 14 ans et un garçon de 15 ans de revenir à l’école. Les filles travaillaient dans la rizière, les garçons dans la pêche. Les garçons ne gagnaient de 6 EUR par semaine. J’ai demandé au directeur de mon école d’avoir leur classe car je savais que ce serait difficile : vu leur niveau, ces adolescent·e·s sont réinscrits en 3e primaire, avec des enfants qui n’ont qu’entre 8 et 12 ans. J’accepte leurs absences, parfois un jour sur deux, du moment qu’ils n’abandonnent pas. Je reste en contact avec leurs parents pour qu’ils ne se découragent pas si ces enfants ne sont aussi assidus que les autres, s’ils doivent parfois venir sans uniforme ou stylo, car je veux les accompagner jusqu’aux études secondaires. Je fais tout pour les encourager, comme nommer l’un d’entre eux délégué de classe alors qu’il ne sait pas encore lire ni écrire. Ces jeunes comprennent que l’école leur offre une nouvelle chance inespérée et veulent la saisir ».

« Les formations syndicales nous ont ouvert les yeux sur les lois du Burundi concernant le travail des enfants. J’ignorais par exemple que nous ne pouvions pas employer une personne de moins de 18 ans comme aide domestique à notre domicile. Je me suis engagée à ne pas le faire. En tant qu’enseignant·e·s, nous devons montrer l’exemple du respect des droits des enfants. »

Selami Mwajuma, enseignante à Rukamaru

Ce genre de projet syndical aide les autorités dans leur propre lutte contre l’exploitation des enfants par le travail. A Gihanga, le directeur communal de l’Education a demandé au STEB les résultats de l’étude de base sur le travail des enfants réalisée en début de projet, elle servira comme outil de planification. Remy Nsengiyumva : « Au niveau national, le Ministère ayant l'éducation dans ses attributions vient d'intimer l’ordre aux responsables scolaires et communautaires de recenser tous les enfants qui sont en âge de scolarité qui n’étudient pas. Ils doivent mentionner leurs noms et ceux de leurs parents dans des rapports. On ne sait pas si c'est grâce au projet ou si c’est une simple coïncidence, mais c’est un pas en avant ».

Un coup de pouce au dialogue social

Comme dans les autres pays où des affiliés de l’Internationale de l’Education sont impliqués dans des projets de lutte contre le travail des enfants, le STEB se renforce grâce à ce type d’activités. Remy Nsengiyumva, Président du STEB : « Grâce à ce projet, nos représentants sont en contact permanent avec les cadres de l'administration et ils sont bien accueillis ». Ce projet a aussi permis au syndicat de se positionner dans une synergie de plaidoyer avec d’autres associations de défense des droits de l'enfant pour une meilleure application de la législation sur l'obligation scolaire. « Nous pensons que tout cela améliorera notre visibilité et par conséquent le dialogue social. Nous le voyons déjà lors des audiences et rencontres avec les autorités des Ministères », conclut le Président du STEB.