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70e réunion du Bureau exécutif de l’Internationale de l’Éducation : une étape majeure de réflexion et d’action

Publié 8 avril 2025 Mis à jour 11 avril 2025

Des responsables de syndicats de l’éducation du monde entier se sont réuni·e·s pour discuter des enjeux et des opportunités contemporains dans l’éducation à l’occasion de la 70e réunion du Bureau exécutif de l’Internationale de l’Éducation (IE) organisée en ligne du 1er au 3 avril 2025.

Un moment de profonde réflexion

Dans son discours d’introduction, le président de l’IE, Mugwena Maluleke, a souligné l’importance de cette rencontre : « La 70e réunion du Bureau exécutif de l’IE marque une étape importante et nous devons prendre le temps de le saluer. Cela fait 32 ans que l’IE a été fondée. Depuis, notre organisation n’a pas seulement résisté, elle s’est renforcée. »

« Notre mouvement mondial est né de l’espoir, de la solidarité et d’un engagement sans faille en faveur de la justice sociale et de la paix, a-t-il ajouté. Voilà les valeurs que nous devons garder à l’esprit alors que nous nous penchons sur les enjeux auxquels nous faisons face aujourd’hui. »

M. Maluleke a évoqué les défis mondiaux contemporains, soulignant l’importance de se livrer à une grande réflexion sur l’état du monde. « Il s’agit d’un ‘moment’ de profonde réflexion sur ce qui se déroule actuellement aux États-Unis. Une démocratie mature et la première économie mondiale. Des choses terribles ont lieu et elles menacent la paix internationale. »

Pour M. Maluleke, autocrates et oligarques craindraient le pouvoir de l’éducation. « Ils en ont peur car ils savent qu’entre les mains des enseignants et enseignantes repose le pouvoir d’inspirer, d’encourager et de changer des vies. Ils en ont peur car ils savent que chaque enseignant et chaque enseignante est une lueur d’espoir guidant les élèves sur le chemin de l’éducation et au-delà. Ils craignent l’éducation en tant qu’arme libératrice contre les ténèbres et la haine. Ils craignent et attaquent nos syndicats car nous sommes des organisations pour la démocratie. »

Organisation, solidarité et la profession

Le secrétaire général de l’IE, David Edwards, a débuté la présentation du rapport d’activités par un appel à action : « Dire que nous vivons dans un ‘monde à l’envers’ serait minimiser la gravité des événements que nous avons connu au cours des derniers mois et des dégâts inestimables que l’administration Trump et ses partisans ont causés. Notre fédération syndicale mondiale, notre profession, doivent ouvrir la voie en ces temps difficiles. Il est absolument essentiel de nous organiser de manière à développer et à renouveler un mouvement syndical inclusif et représentatif, capable de défendre et de faire progresser efficacement : le statut et la condition de notre profession, l’enseignement public de qualité pour tous et toutes, les individus – à savoir les droits humains et syndicaux –, l’égalité de genre et la justice sociale et enfin notre planète, c’est-à-dire la paix, la démocratie et la justice climatique. »

Concernant la première priorité stratégique de l’IE, notre profession, M. Edwards a mis en lumière les progrès accomplis par la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » de l’IE : « En à peine deux ans de campagne, et avec potentiellement 30 événements nationaux et régionaux dans le monde en 2025, nous avons déjà vu les salaires augmenter, les enseignants et enseignantes contractuels obtenir les postes permanents et stables qu’ils et elles méritent, et les États reconnaître pour la première fois l’importance et la nécessité de la collaboration avec les syndicats d’enseignants et enseignantes. »

Il a aussi rappelé qu’en lien avec la campagne, l’IE a également lancé la nouvelle édition du rapport mondial sur la condition de la profession enseignante le 24 janvier à l’occasion de la Journée internationale de l’éducation. D’après des données recueillies auprès de plus de 200 syndicats d’enseignant∙e∙s dans 120 pays, le rapport met clairement en évidence de graves pénuries d’enseignant∙e∙s en Afrique, en Asie-Pacifique et en Amérique de Nord. Dans l’ensemble des régions du monde, les pays font état de sérieuses pénuries de personnel spécialisé.

Par ailleurs, M. Edwards a rapporté qu’en Uruguay, un des premiers pays à s’être engagé dans la campagne « La force du public », le mouvement initié par les syndicalistes de l’enseignement en faveur d’un enseignement public a conduit à l’élection de Yamandú Orsi, un enseignant syndicaliste, à la présidence du pays.

Pour ce qui est de la deuxième priorité stratégique de l’IE, plaider auprès des États en faveur d’un financement public des systèmes éducatifs pour promouvoir et faire progresser l’enseignement public de qualité pour tout∙e∙s, M. Edwards a reconnu que « nous devons renforcer notre plaidoyer pour l’annulation de la dette et pour la justice fiscale et poursuivre notre lutte contre la privatisation. Toutefois, les financements ne font pas tout. Il nous faut également veiller à maintenir les relations humaines au cœur de l’éducation, de manière que l’intelligence artificielle et la technologie ne soient pas utilisées pour remplacer l’humanité mais pour la servir. »

Il a ajouté que le conseil d’administration du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE, acronyme anglophone), qui s’est réuni à Dubaï en décembre 2024, a unanimement approuvé de donner la priorité au personnel enseignant et au soutien du personnel enseignant dans son plan stratégique GPE 2030.

Mi-février, a poursuivi M. Edwards, lors des réunions bisannuelles de haut niveau entre la Confédération syndicale internationale et les fédérations syndicales internationales et les institutions issues des accords de Bretton Woods, l’IE a également abordé la pénurie mondiale de personnel enseignant et a interpelé les institutions à propos de leur programme qui repose sur l’austérité et des attaques aux services publics et aux travailleur∙euse∙s. Elle a aussi appelé à mettre fin aux contraintes imposées sur la masse salariale dans le secteur public et à adopter une nouvelle stratégie concernant les dépenses publiques, réaffirmant la nécessité de réserver les investissements à l’éducation et aux autres services publics dans un contexte d’austérité et de crise de la dette.

Au sujet de la troisième priorité stratégique de l’IE, les individus, le secrétaire général de l’IE a précisé qu’« en tant que mouvement, nous nous engageons à défendre et à faire progresser les droits humains et syndicaux et à instaurer l’égalité de genre et la justice sociale pour tous et toutes, dans le monde entier. Nous exploitons la force de notre mouvement pour défendre et faire progresser les droits grâce à tous les mécanismes disponibles, notamment les conventions des Nations Unies et de l’Organisation internationale du Travail. »

Depuis 11 ans, l’IE et ses organisations membres font campagne pour la libération d’Esmail Abdi, ancien dirigeant du syndicat des enseignants et enseignantes de Téhéran (CCITTA, acronyme anglophone), et de nombre de ses collègues, qui ont été emprisonné·e·s pour avoir simplement exercé leurs droits de réunion, d’association et d’expression. La solidarité internationale a permis M. Abdi de faire partir sa famille à l’étranger en toute sécurité. Lors de l’allocution à distance de M. Abdi adressée au Bureau, M. Edwards a tenu à le saluer.

« Par ailleurs, a continué M. Edwards, je me suis récemment rendu à Ottawa avec la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants et l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, qui ont aidé notre collègue Fahima et sa famille à échapper aux Taliban et à s’installer au Canada. »

Évoquant la quatrième et dernière priorité stratégique de l’IE, la planète (paix, démocratie et justice climatique), M. Edwards a noté que « nous savons que l’éducation fait partie d’un contexte plus large. Les guerres et les conflits, la dégradation des démocraties du monde entier et la crise climatique touchent chaque travailleur et chaque travailleuse du secteur. En tant que syndicalistes, nous devons utiliser le capital des travailleurs et des travailleuses pour bâtir le monde que nous voulons. En tant qu’éducateurs et éducatrices, nous devons défendre une pédagogie de solidarité, de paix, de démocratie et d’espoir pour bâtir le monde dont nous avons besoin. »

À l’occasion de la Journée internationale des droits humains, l’IE a organisé un webinaire et a lancé sa dernière étude intitulée « Les syndicats ouvrent la voie en matière de décolonisation de l’éducation », qui fait ressortir le rôle primordial des syndicats dans la déconstruction de l’héritage colonial dans les systèmes éducatifs du monde entier.

M.Edwards a ensuite mis en avant les enseignant·e·s et syndicalistes coréen·ne·s qui se sont mobilisé·e·s pour défendre la démocratie et protéger les droits des éducateur·trice·s en Corée du Sud en décembre 2024, lorsque le président a déclaré la loi martiale afin d’éliminer l’opposition politique, la liberté de la presse et les libertés civiles. « Cette crise a accentué les difficultés auxquelles font face les éducateurs, les éducatrices et les syndicalistes qui prônent des droits démocratiques et un enseignement public de qualité. La réponse rapide et courageuse du mouvement syndical s’est avérée être un des facteurs déterminants qui ont permis de faire reculer l’armée et le président. »

Lutter pour l’enseignement public et comprendre le populisme

Diane Ravitch, historienne de l’éducation, s’est adressée au Bureau de l’IE lors d’une séance spéciale : « Maintenant, l’urgence pour l’IE est de répondre aux attaques autoritaires à l’encontre de l’enseignement public et de la démocratie ».

Elle a mis en garde les participant·e·s contre le mouvement « qui vise à faire de l’éducation une activité lucrative. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer aux États-Unis. Ce mouvement se base sur une théorie simpliste qui voudrait que le secteur privé vaille toujours mieux que le secteur public. Résultat : on réduit le financement des écoles publiques pour subventionner le coût de l’éducation privée. »

Cependant, a insisté Mme Ravitch, « c’est une supercherie car ce sont les plus riches du pays qui en sont à l’initiative. Mais leurs propres enfants ne vont pas être touchés car ils sont déjà dans des écoles privées d’élite. Et l’ironie, c’est que les statistiques montrent que les écoles publiques obtiennent de meilleurs résultats que celles qui sont gérées par le secteur privé : elles sont tout simplement meilleures. »

« Nombre d’entre nous, a-t-elle poursuivi, considèrent qu’il est essentiel, pour l’avenir de notre démocratie et le maintien de l’harmonie au sein de nos sociétés, que nous apprenions à vivre et à travailler avec des personnes qui ne viennent pas exactement du même milieu que nous. Et c’est ce qui se passe surtout dans les écoles publiques. »

« Nous nous battons aujourd’hui pour l’avenir de l’enseignement public, a-t-elle conclu, et je suis entièrement convaincue que nos syndicats seront à la tête de ce combat. »

De son côté, Andy Hargreaves, auteur et universitaire, a parlé du concept de populisme : « Nous sommes ici aujourd’hui pour parler de populisme. Le terme ‘populisme’ n’est pas nouveau, il existe depuis une centaine d’années. En 1967, le philosophe Isaiah Berlin le décrivait comme faisant référence à un peuple authentique, victime d’une élite. C’est là l’essence même du message populiste. »

Dans les années 1980, a-t-il ajouté, Margaret Thatcher était la source du terme ‘populisme autoritaire’. « Donc le populisme peut être de gauche ou de droite. Mais le populisme autoritaire consiste à promouvoir sa propre élite en attaquant d’autres élites sous un prétexte populaire. »

M. Hargreaves a ensuite présenté six règles édifiantes pour commencer à envisager la question de l’autoritarisme : comprendre avant de juger, découvrir les vérités cachées, se demander en quoi nous sommes responsables, œuvrer ensemble et créer des coalitions, considérer les problèmes comme de potentiels amis et enfin, faire partie du peuple et ne pas rester un·e expert·e inaccessible.

Par ailleurs, M. Hargreaves a également proposé quatre solutions possibles : donner la priorité à l’apprentissage de la démocratie, valoriser les compétences et les identités de la classe ouvrière, contrer le mauvais populisme avec le bon populisme et faire des enseignant·e·s et de la profession enseignante des symboles de stabilité et de bienveillance.

Déclaration concernant le Sommet mondial sur le handicap

Le Bureau a adopté une Déclaration concernant le Sommet mondial sur le handicap, qui réaffirme « le rôle central de l’éducation inclusive dans la construction de sociétés justes et équitables ».

La déclaration précise également que l’IE et ses organisations membres « [estiment] que ce droit n’est jamais mieux défendu qu’en concevant un modèle social du handicap, une approche selon laquelle ce sont les barrières sociétales, plutôt que les déficiences individuelles, qui mettent un frein à la participation des personnes en situation de handicap ».

« Partout dans le monde, poursuit la déclaration, les syndicats de l'éducation jouent un rôle dans l’élimination de ces obstacles, non seulement en organisant les enseignants et enseignantes, y compris en situation de handicap, mais également en promouvant les politiques inclusives s’avérant à la fois pertinentes et efficaces. Leur rôle est crucial, à l’heure où l’on observe une pénurie mondiale d’enseignants et enseignantes et des resserrements budgétaires de plus en plus préjudiciables à l’enseignement inclusif et aux programmes d’aide aux enfants en situation de handicap et à leurs familles. »

Résolution sur les attaques contre l’éducation publique, la démocratie et les valeurs syndicales aux États-Unis

Le Bureau de l’IE a de plus adopté une résolution pour exprimer sa solidarité avec les organisations membres de l’IE aux États-Unis, l’Association nationale de l’éducation (National Education Association) et la Fédération américaine des enseignant∙e∙s (American Federation of Teachers), « alors qu'elles défendent leurs élèves, leurs membres, leur profession et leurs communautés scolaires ».

D’après la résolution, « en réponse à une avalanche de mesures autoritaires adoptées par l'administration Trump », le Bureau de l’IE « réaffirme sans équivoque son engagement en faveur de l'éducation publique, de la démocratie inclusive et des droits humains et syndicaux aux États-Unis et dans le monde entier ».

Par conséquent, l’IE appelle :

  • Les organisations membres du monde entier à témoigner leur soutien aux membres des États-Unis dans leur résistance aux politiques autoritaires et régressives, et à continuer à œuvrer en faveur de l’éducation publique, des droits humains et syndicaux, de la paix et de la démocratie ;
  • Les établissements d’enseignement à rejeter toute pression visant à supprimer ou réduire leurs programmes de diversité, d’équité et d'inclusion, et à résister à toute nouvelle attaque contre leur liberté académique.

Recommandations du Comité de la promotion des femmes de l’IE

Lors de sa 70e réunion, le Bureau de l’IE a approuvé les recommandations émises par le Comité de la promotion des femmes de l’IE, notamment celles consistant pour l’IE à « assurer le suivi de la déclaration politique de la 69e Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW) et communiquer avec ses membres sur la manière de promouvoir sa mise en œuvre » et à envisager « l’établissement d’une structure consultative dédiée à la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI), qui mette l’accent sur les conséquences de la situation mondiale actuelle et les stratégies d’amélioration de l’inclusion ». Le Bureau de l’IE a également décidé que la prochaine Conférence mondiale des femmes de l’IE se tiendrait au Brésil.

Les responsables de syndicats de l’éducation ont également abordé les questions financières, le plan opérationnel de l’IE, les rapports par région de l’IE, le compte-rendu des actes du 10e Congrès mondial, le Fonds de solidarité de l’IE et la composition des conseils et comités consultatifs spéciaux de l’IE.

En conclusion, la 70e réunion du Bureau exécutif de l’IE a été un moment de profonde réflexion et d’action collective. Les responsables syndicaux·ales ont réaffirmé leur engagement en faveur de l’enseignement public, de la démocratie et des droits humains et ont appelé à la solidarité internationale pour répondre aux enjeux mondiaux contemporains. La prochaine réunion du Bureau aura lieu du 1er au 3 décembre 2025 à Bruxelles, en Belgique.