La liberté académique en danger dans la société de la connaissance
Adoptée en 1992 sous les auspices de l’UNESCO, la Déclaration de Sinaia sur la liberté académique et l’autonomie universitaire affirme que: “l’histoire a montré que les violations de la liberté académique et de l’autonomie universitaire ont un coût élevé en terme de régression intellectuelle, d’aliénation sociale et de stagnation économique ».
Malheureusement, l’histoire se répète et il y a beaucoup à dire. On assiste à un déclin croissant du respect envers le principe de la liberté académique, à tel point que celui-ci est négligé de façon flagrante. En d'autres termes, nous sommes en situation de crise.
La Recommandation de l’UNESCO de 1997 concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur garantit ce droit, énonçant que « le personnel enseignant de l’enseignement supérieur a droit au maintien de la liberté académique ». La Déclaration de Sinaia de 1992 stipule que « les gouvernement et le public doivent respecter les droits des universités à servir comme centres de recherche totalement libre et de critique sociale ».
La liberté académique n’est pas seulement un droit, mais une responsabilité des institutions de l’enseignement supérieur et des universitaires. Ces derniers comptent sur l’état et la société pour garantir que le personnel académique puisse faire son travail sans restriction, sans que son indépendance, sa carrière, sa liberté personnelle, sa sécurité et même sa vie soient menacées.
Ce qui est tout aussi fascinant et déconcertant à la fois, est le fait que, même si l'on peut s’attendre à ce que des progrès aient été réalisés au fil des ans, on assiste en fait à une détérioration visible de ce principe à travers le monde. En Europe du Nord, il y a une grande préoccupation concernant les signes visibles d’une bureaucratie et d’un contrôle accrus, d’un contrôle politique de l’utilisation des ressources de la recherche et de la réduction de la liberté de publication des chercheurs.
Le personnel académique dans la plupart des pays anglo-américains a souffert d’une augmentation de la supervision et de la gestion de la part du gouvernement. En particulier, les Etats-Unis ont fait l’expérience d'un nombre inquiétant d’incidents liés à la « guerre contre le terrorisme ». En Amérique Latine, les restrictions venant du gouvernement appliquées au cours des années ont conduit à affaiblir la liberté académique, tandis que la pression extérieure sur le personnel académique a également eu le même effet négatif en Afrique, en Asie et dans le Pacifique, et au Moyen-Orient.
Tout ceci a été accompagné de récents cas de violence ou d’autres formes d’abus contre le personnel académique dans plusieurs pays. Dans certains pays, le personnel académique pense que le fait de se prononcer sur des sujets controversés ou de faire des déclarations pouvant être interprétées comme critiques à l’encontre du gouvernement ou de la politique institutionnelle menacerait leurs emplois ou leurs possibilités de recevoir une promotion.
Dans beaucoup de pays industrialisés, la pression extérieure provient de la poussée toujours grandissante vers la mondialisation, la compétitivité, la marchandisation, et l’utilisation toujours croissante des mécanismes du marché dans l’enseignement supérieur. La question du financement de la recherche est de plus en plus préoccupante, puisque les organismes de financement soumettent très souvent l’octroi des fonds à un certain nombre de conditions, par exemple en ce qui concerne les publications ou l’utilisation des résultats de la recherche.
Dans d’autres pays, le principal souci est d’une nature plus profonde, liée au sous-développement, et à des contraintes politiques ou conflictuelles internes. L’expérience montre qu’une fois que ces pays ont résolu de tels problèmes, la liberté académique n’est pas nécessairement garantie. Les problèmes soulevés par la mondialisation et l’ouverture au marché, se trouvant déjà sur une pente ascendante, vont indéniablement s’accentuer.
Dans ce contexte l’adoption en juin de cette année par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe d’une recommandation sur la liberté académique et l’autonomie universitaire qui ensemble constituent « une nécessité fondamentale dans une société démocratique » est un signe positif. Elle mentionne que ces principes jumeaux « devraient être garantis législativement, et de préférence constitutionnellement ». Bien que ceci ait toujours été l’objectif le plus désirable pour la communauté académique, il semble que même une garantie légale ne soit désormais plus suffisante. Dans beaucoup de pays où les protections légales existent, la liberté académique est toujours mise sous l’éteignoir. Bien que ce principe ait été affirmé à de nombreuses reprises dans des textes légaux nationaux et internationaux variés, c’est une liberté fragile qui doit constamment être justifiée et clarifiée.
La liberté académique ne constitue pas un privilège désuet ou simplement une protection accordée à la communauté académique. En effet, la liberté académique est fondée sur une logique claire rattachant les personnels académiques à la société. Dans un contexte mettant l’accent sur la diversité culturelle, la Déclaration de Sinaia de 1992 se réfère à l’ « obligation » des universités de prendre position contre toutes formes de comportement intolérant, et à « l’engagement pour une recherche ouverte et indépendante » comme « une caractéristique définissant l’Université ».
La liberté académique est un critère essentiel pour le développement de la science et pour le développement et la diffusion du savoir qui doit être sincère, objectif et impartial. Ceci constitue précisément la contribution du secteur académique à la société. Ironiquement, c’est dans l’ère actuelle de la soi-disant ‘société de la connaissance’ que, en dehors de la communauté académique, l’on passe outre à ce lien fondamental.