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Photo by note thanun on Unsplash
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Il est urgent de mieux financer l’éducation et de réglementer les intérêts privés afin de garantir des systèmes d’éducation équitables, inclusifs et résilients

Réponse de l’Internationale de l’Éducation au Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2021 (GEM) « Les acteurs non étatiques dans l’éducation. Qui décide ? Qui est perdant ? »

Publié 13 décembre 2021 Mis à jour 17 février 2022

L’édition 2021/2022 du Rapport mondial de suivi sur l’éducation de l’UNESCO (rapport GEM) analyse le rôle et l’implication des acteurs étatiques et non étatiques dans l’enseignement et le secteur de l’éducation. L’objectif déclaré du rapport est de s’intéresser aux acteurs non étatiques « du point de vue de l’équité et de l’inclusion », deux facteurs sous-tendant les engagements qui ont été pris par les gouvernements lors de l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) en 2015.

Le rapport opte pour une définition large des acteurs non étatiques, englobant les entreprises privées, les fondations philanthropiques, les médias, les chercheur.euse.s, les groupes de réflexion, les parents, les organisations non gouvernementales, la société civile, les syndicats et les associations confessionnelles. L’édition 2021/2 se penche sur une série de nouvelles questions entourant les rôles des acteurs non étatiques dans les différents secteurs de l’éducation, mettant en avant quatre éléments : l’offre, la réglementation, le financement et l’influence.

L’Internationale de l’Éducation défend une éducation gratuite et de qualité, financée par les pouvoirs publics pour chaque élève dans tous les pays et reconnaît l’éducation comme un droit humain et un bien public. Par conséquent, nous saluons le postulat de départ du rapport GEM de cette année, soulignant que les avantages que l’on peut tirer des contributions potentielles des acteurs non étatiques ne peuvent jamais amener de « compromis en matière d’égalité » et que leur implication dans l’éducation ne doit jamais « exonérer les gouvernements de leurs responsabilités de garantir le droit à l’éducation ». Nous saluons également les affirmations du rapport, selon lesquelles il est essentiel de déterminer la mesure dans laquelle les acteurs non étatiques « facilitent ou entravent les efforts visant à garantir l’équité et l’inclusion dans le domaine de l’éducation ».

Les acteurs non étatiques dans l’éducation : une tendance croissante

Le rapport souligne un soutien important à l’éducation publique : selon une analyse basée sur un échantillon de 35 pays à revenu élevé et intermédiaire, « 89 % des adultes interrogé·e·s déclarent que la responsabilité principale de l’éducation incombe aux gouvernements » et « 75 % se disent favorables à une augmentation du financement de l’éducation publique », ce pourcentage est plus élevé dans les pays où le niveau des inégalités de revenus est important. Malgré ce soutien à l’éducation publique, le rapport montre que les acteurs non étatiques occupent une place de plus en plus importante au sein de l’éducation, avec des variations régionales. L’Asie centrale et du Sud enregistre le plus haut pourcentage d’inscriptions dans l’enseignement primaire et secondaire privé, ainsi que les plus importantes augmentations absolues depuis 2000. Dans le même temps, les budgets de l’éducation publique ont été resserrés, une tendance encore renforcée par la pandémie de COVID-19 et le passage à l’enseignement en ligne dans un grand nombre de pays. Aujourd’hui, les acteurs non étatiques assurent l’éducation de 350 millions d’enfants dans le monde.

Les acteurs non étatiques sont également de plus en plus présents dans d’autres domaines liés à l’éducation, comme la fourniture des manuels scolaires, la conception des programmes d’études, les systèmes d’évaluation, les transports ou les cantines scolaires. Le rapport souligne que leur présence est davantage observée dans l’éducation de la petite enfance (EPE), la formation des adultes, l’enseignement supérieur, ainsi que dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP), « parfois au détriment de l’équité et de la qualité ». Au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, les services éducatifs assurés par des acteurs non étatiques ont connu une augmentation de 7 % en 10 ans, atteignant 17 % dans le primaire et 26 % dans le secondaire en 2014.

À travers le monde, les acteurs non étatiques offrent des services d’éducation et de prise en charge pour les enfants de moins de 3 ans dans des établissements privés, pour la plupart à but lucratif. Depuis le début des années 2000, le nombre de prestataires privés dans l’enseignement préprimaire a considérablement augmenté dans certaines régions et diminué dans d’autres. Globalement, le nombre d’inscriptions dans des établissements d’enseignement primaire privés est passé de 28,5 à 37 % entre 2000 et 2019. Le nombre d’EPE étant en augmentation, de moins en moins de ménages pauvres ont la possibilité d’y d’inscrire leurs enfants. D’autre part, la qualité des services d’EPE proposés par des acteurs non étatiques est extrêmement variable et très peu de pays à revenu faible et intermédiaire ont la possibilité d’introduire des procédures d’assurance de la qualité allant au-delà des exigences administratives.

S’agissant de l’enseignement supérieur, le rapport indique que, dans la quasi-totalité des pays, les services sont offerts par l’intermédiaire d’acteurs étatiques et non étatiques. Cette situation est due à une multiplicité de facteurs sociétaux, tels que la préférence allant aux établissements connectés à la religion ou la culture supposés proposer une éducation « différente », aux établissements d’élite répondant à la demande de milieux plus aisés ou aux petits établissements laïques répondant à la hausse de la demande en matière d’enseignement supérieur, notamment lorsque les budgets publics sont limités.

La qualité de l’enseignement supérieur est compromise si les acteurs non étatiques motivés par le gain aggravent les problèmes liés à la concentration du marché et à la priorité accordée aux profits au détriment de l’amélioration de l’enseignement. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, l’augmentation de la part d’acteurs non étatiques dans le total des effectifs scolaires est associée à un accroissement des inégalités en matière de fréquentation.

Le rapport constate que les ressources nécessaires pour accréditer et surveiller les établissements d’enseignement supérieur non étatiques font souvent défaut et que les dispositions visant à promouvoir l’équité sont généralement plus rares que les dispositions administratives. En outre, les ménages doivent prendre en charge une plus grande part du financement de l’enseignement supérieur car, dans la majorité des cas, les établissements non étatiques, notamment les structures non élitistes plus petites, sont largement tributaires des frais de scolarité pour assurer leur financement. Les constats du rapport corroborent ceux d’une récente recherche de l’Internationale de l’Éducation (IE) sur la commercialisation et la privatisation de l’enseignement supérieur dans le contexte de la COVID-19, mettant en lumière que les prestataires privés ont cherché à apporter des changements durables dans ce secteur à la suite de l’influence et de l’intervention croissantes des sociétés de technologies de l’éducation au sein de l’enseignement supérieur, dues à la transition rapide vers l’enseignement en ligne au moment de la fermeture des établissements scolaires.

Il reste urgent d’augmenter et d’améliorer le financement l’éducation

Le rapport met en évidence que l’une des mesures clés permettant aux gouvernements de protéger et de promouvoir le plus efficacement possible le droit à l’éducation pour tou·te·s est d’assurer le financement adéquat de l’éducation, compte tenu de l’engagement qu’ils ont pris dans le cadre de l’ODD 4 : assurer la gratuité d’un an d’enseignement préscolaire et de 12 années d’enseignement primaire et secondaire. En 2019, une recherche de l’IE évaluant les progrès réalisés en faveur de l’ODD 4 a montré que le principal obstacle empêchant les gouvernements de tenir cet engagement est le montant trop faible des budgets nationaux et des subventions réservés au secteur de l’éducation. Le rapport GEM souligne qu’un pays sur trois consacre moins de 4 % de son PIB et moins de 15 % de ses dépenses totales à l’éducation. Les données collectées par l’ISU pour 71 pays montrent que le montant moyen des dépenses pour l’éducation est passé de 14,1 % en 2019 à 13,5 % en 2021. On observe donc un écart très important entre la réalité et les engagements théoriques qui sont pris par les gouvernements en faveur de l’éducation. Et c’est là qu’apparaissent et interviennent potentiellement les acteurs non étatiques qui, pour la plupart, sont en quête d’opportunités commerciales.

Il est crucial de réglementer les acteurs non étatiques dans l’éducation

Le rapport souligne l’absence de gouvernance et de réglementation des acteurs non étatiques de la part des gouvernements, rappelant que « la fragmentation, le manque de coordination ainsi que le chevauchement ou le manque de clarté des responsabilités peuvent avoir une influence négative sur l’équité et la qualité des services éducatifs ». À cet égard, le rapport appelle les gouvernements à « tenir les prestataires de services éducatifs responsables du respect des normes relatives à la qualité, aux ressources, à la sécurité et à l’inclusion ».

L’IE soutient l’appel que lance le rapport en faveur de cadres réglementaires et juridiques, devant être développés de façon participative, transparente et équitable au travers de la coordination, de la collaboration et de la coopération. L’absence de réglementation et de surveillance des acteurs non étatiques a donné lieu à un environnement où les résultats d’apprentissage sont variables et où la ségrégation et les inégalités sociales gagnent du terrain. Comme le note le rapport, cela pose également des problèmes aux enseignant·e·s qui travaillent dans les établissements scolaires privés, tels que les contrats précaires et les salaires moins élevés. Externaliser l’éducation vers des acteurs non étatiques peut se révéler préjudiciable au professionnalisme et affaiblir le statut de la profession, notamment pour les enseignant·e·s et le personnel de soutien à l’éducation. De même, leur confier la formation professionnelle initiale et continue des enseignant·e·s peut également altérer la qualité de l’éducation.

Le rapport souligne l’impact négatif sur les conditions de travail des enseignant·e·s dans les établissements scolaires privés, comme cela a été mis en évidence durant la pandémie de COVID-19, lorsque nombre d’enseignant·e·s travaillant dans des établissements scolaires privés ont vu leurs salaires diminuer ou leurs contrats être résiliés. L’Internationale de l’Éducation soutient l’appel lancé par le rapport, selon lequel les enseignant·e·s doivent être valorisé·e·s en tant que professionnel·le·s dans tous les établissements scolaires et leurs droits du travail protégés.

Plus qu’une question de choix : l’éducation est un droit humain

L’Internationale de l’Éducation s’inquiète du nombre croissant d’acteurs non étatiques et de leur rôle croissant au sein de l’éducation. Si le rapport GEM analyse les acteurs non étatiques de l’éducation « du point de vue de l’équité et de l’inclusion », certaines affirmations telles que « financement public n’est toutefois pas nécessairement synonyme de prestation publique » et « l’éducation constitue également un bien privé » ne semblent pas compatibles avec une approche cohérente de l’éducation fondée sur les droits humains. Il est difficile de concevoir que l’éducation puisse être à la fois un bien public et un bien privé, alors que ce dernier s’appuie sur une exploitation commerciale du secteur. Raison pour laquelle nous soutenons fermement la recommandation suivante du rapport : « La réglementation ou l’interdiction de la recherche du profit peut permettre de lutter contre les politiques relatives au choix de l’établissement scolaire qui exacerbent les inégalités ».

L’IE salue également l’affirmation suivante du rapport : « Pour les décideurs, la question ne consiste pas seulement à déterminer si l’implication des acteurs non étatiques dans l’éducation répond aux normes de qualité convenues, mais aussi à savoir comment ces acteurs facilitent ou entravent les efforts visant à garantir l’équité et l’inclusion dans le domaine de l’éducation ». Il semble que les gouvernements, les acteurs non étatiques et l’ensemble des parties prenantes de l’éducation ne partagent pas une approche commune de l’équité et de l’inclusion au sein de l’éducation. Par conséquent, il est également indispensable de déterminer qui définit ce qui est équitable et/ou inclusif en ce qui concerne l’éducation, comment les progrès seront suivis et évalués et qui sera responsable du suivi et de l’évaluation.

En tant que fédération mondiale des organisations représentant les enseignant·e·s et le personnel de soutien à l’éducation, l’Internationale de l’Éducation demeure convaincue de la nécessité pour les gouvernements d’accroître de toute urgence leurs investissements dans le secteur de l’éducation et ses effectifs. La pandémie de COVID-19 nous montre ce qui est en jeu lorsque les systèmes éducatifs ne sont pas suffisamment financés pour leur permettre de résister aux chocs et aux crises : le droit d’accéder à une éducation gratuite et de qualité financée par les pouvoirs publics n’est plus qu’une chimère pour des millions d’enfants et de jeunes à travers le monde. Outre la nécessité d’inverser la tendance à couper les budgets de l’éducation, les gouvernements doivent également évaluer et prendre en compte les inégalités préexistantes et contextuelles touchant les élèves et le personnel de l’éducation, et exacerbées par la pandémie. Il est urgent de s’attaquer aux lacunes et aux faiblesses structurelles du secteur de l’éducation et d’oeuvrer à des systèmes éducatifs plus équitables, plus inclusifs et plus résilients, aujourd’hui et demain.