Haïti : renforcer le syndicalisme de combat en temps de crise
En déployant de larges efforts, en utilisant les moyens offerts par les nouvelles technologies et forte du soutien international, l’Union nationale des normaliens/normaliennes et éducateurs/éducatrices d’Haïti (UNNOEH) a pu organiser son 4e Congrès national de façon hybride et a réaffirmé sa volonté de lutter en faveur d'une école publique de qualité pour toutes et tous dans le pays.
Un contexte adverse à l’organisation du congrès
« Ce congrès hybride était une réussite », s’est félicité Kensone Delice, nouveau coordinateur de l’Union Nationale des Normaliens/Normaliennes et Éducateurs/Éducatrices d’Haïti (UNNOEH) depuis ce congrès.
Pour lui, le syndicat «a fait tomber le mythe suivant lequel toutes les déléguées et tous les délégués doivent se réunir dans une salle pour réaliser un congrès. Désormais, il n'y a plus de prétexte pour ne pas réaliser même d'autres séances de travail à distance. Nous avons également compris que la technologie est aussi un moyen pouvant nous permettre de contourner les graves crises sociopolitiques et économique du pays. Notre conviction est renforcée sur le fait que l'utilisation de la technologie peut renforcer notre dynamisme. C'est aussi un signal éliminant tout prétexte pour ne pas organiser à temps le congrès national de l'UNNOEH.»
Selon les statuts du syndicat, ce congrès devait être réalisé depuis août 2020, mais vu les graves crises socio-politiques et la pandémie de COVID-19, une coordination nationale avait décidé de reporter ce congrès au mois de février 2021. En conséquence, la coordination nationale a dû prolonger le mandat du Bureau exécutif pour une période de six mois conformément aux statuts. Aux termes de cette échéance, la crise que traverse le pays a empiré et dans la foulée le Ministère de l’Éducation nationale a orchestré une campagne de répression syndicale qui n’a pas épargné le coordonnateur général de l’UNNOEH, a regretté Delice.
De décembre 2021 à avril 2022, des congrès régionaux ont néanmoins pu être organisés dans sept coordinations syndicales régionales sur onze.
Delice a néanmoins déploré que le pays se trouve aujourd’hui, sur le plan politique et économique, dans une situation pire. Malgré ce contexte difficile, toutes les composantes de l’organisation, en particulier le bureau exécutif national provisoire et la coordination nationale, se sont mobilisées pour la réalisation du 4e congrès national pour les 22 et 23 août 2022 à l’université Quisqueya de Port-au-Prince, avec l’aide financière de l’Internationale de l’Éducation. Le thème en était : «Renforcer le syndicalisme de combat en temps de crise».
Angeline Cherfils, coordonnatrice générale par intérim de l’UNNOEH a ouvert le congrès national de l’UNNOEH en prononçant un vibrant discours : « Ce congrès est important pour l’organisation parce qu’il rétablit l’ordre démocratique. Ce congrès est aussi un message à l’endroit d’autres organisations de la société civile et politiques qui ont toujours des prétextes pour ne pas organiser de congrès. Dans son discours, elle a également encouragé les membres du syndicat à s’engager davantage afin d’augmenter la puissance syndicale de l’UNNOEH, « le seul moyen d’être plus efficace dans la bataille pour une éducation publique de qualité pour tous et pour toutes ».
Deux thèmes principaux : stratégies et lutte et position vis-à-vis du pouvoir exécutif
Delice a rapporté que, politiquement, les débats ont porté sur deux éléments essentiels :
- La définition des stratégies de lutte pour continuer plus efficacement la lutte en faveur d'une école publique de qualité pour toutes et pour tous. « Des gens ont soutenu l'idée que nous devrions déclencher une mobilisation dès la réouverture des classes prévue pour le début du mois de septembre. D'autres étaient d'avis contraires », a-t-il indiqué.
- La position que l'UNNOEH doit adopter par rapport au gouvernement en place. Delice a noté : « Des gens pensent que nous devrions rester strictement cantonnés aux questions liées à l’éducation, mais d'autres pensent le contraire. Les débats étaient vraiment animés. »
« Ce Congrès a envoyé un message très clair aux autorités et le ministre de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle l'a reconnu », s’est réjoui le leader de l’UNNOEH. Le ministre Nesmy Manigat a en effet pris la parole à distance à l’occasion du congrès pour féliciter les syndicalistes « pour cette grande démonstration démocratique à l’intérieur de l’UNNOEH » et a reconnu que l’UNNOEH est le syndicat qui met beaucoup de pression sur son ministère pour qu’il y ait ouverture d’un dialogue formel autour du cahier de charge déposé par le syndicat au ministère depuis son arrivée au poste de ministre.
Solidarité du mouvement syndical enseignant international avec les collègues haïtien·ne·s
L’Internationale de l’Éducation était représentée en virtuel par son coordinateur Florian Lascroux qui a souligné que « l’Internationale de l’Éducation saluait l'effort qui consiste à organiser un congrès dans le contexte très difficile du moment. Avec ses organisations membres, elle est solidaire de ses affiliés haïtiens et continuera à les soutenir sous différentes formes. »
Il s’agit d’« une démonstration concrète de fonctionnement démocratique, d'autant plus remarquable dans un environnement lui-même non démocratique, a-t-il continué.
Affirmant que cela allait susciter l'admiration de nombreux·euses enseignant·e·s partout dans le monde, Lascroux a admis que l'initiative d'un congrès hybride est intéressante et que cette expérience pourrait inspirer et être reproduite dans d'autres pays.
Adoption de résolutions
Le Bureau exécutif national sortant a présenté un cahier de résolutions contenant huit chapitres, avec 27 résolutions. Toutes les résolutions n’ont pas pu être discutées et adoptées lors du congrès, qui a donc décidé de donner à la prochaine coordination nationale la responsabilité de sanctionner les autres résolutions.
Les débats lors du congrès se sont ainsi concentrés sur l’adoption des cinq premiers chapitres du cahier de résolutions, à savoir : Renforcement syndicat-militance et syndicalisation ; Finances, administration, archives et économie solidaire ; Communication, technologie et diffusion ; Revendications individuelles, négociation et mobilisation syndicale ; et Formation professionnelle-Formation syndicale et développement personnel.
Dans leurs discours, la majorité des délégué·e·s ont exprimé leur ferme conviction quant au fait que le renforcement de l’UNNOEH doit être l’une des grandes priorités du nouveau bureau exécutif national.
Delice a quant à lui fait valoir que, « pour que l’UNNOEH soit renforcée, il est évident qu’on doit mettre accent sur l’axe de la formation. Très peu d’enseignantes et d’enseignants ont accès à la formation continue. C’est pourquoi, dans le plan d’action quadriennal, il est question de la mise sur pied d’un plan de formation professionnelle pour les membres. Il sera aussi question d’un plan de formation syndicale afin de mieux armer nos membres pour la lutte en faveur d’une école publique de qualité pour toutes et tous en Haïti. »
Remise des prix Marie-Anne France Etienne
Le comité du congrès a également profité pour honorer certaines personnalités importantes pour l’organisation. Un hommage posthume a notamment été rendu à Marie-Anne France Etienne pour ses contributions dans la lutte syndicale. D’autres personnalités telles que Georges Wilbert Franck et Louis Pierre Janvier, des syndicalistes ayant consenti des sacrifices pour l’avancement de l’UNNOEH, et Liliane Pierre Paul, une journaliste de radio qui a toujours supporté l’UNNOEH dans ses batailles pour un enseignement public de qualité pour tou·te·s en Haïti, ont été également honoré·e·s.
Pour faire connaître cet évènement et cette réussite organisationnelle dans des circonstances très difficiles, le syndicat a tenu des conférences de presse, diffusé un spot publicitaire et placardé des affiches, a expliqué Delice. Ceci a permis de toucher un large public malgré que les désordres politiques aient largement focalisé l’attention de la population haïtienne.
Il a conclu en disant que « pour l’UNNOEH, la transformation du système éducatif haïtien n’est possible que par une grande mobilisation des différents secteurs de la société sous le leadership éclairé du mouvement syndical. En effet, pour que cette grande mobilisation soit possible, nous devons renforcer notre puissance syndicale. »