Afrique du Sud : les syndicats de l’éducation appellent à une réforme des droits d’auteur
L’Internationale de l’Éducation (IE) et ses organisations membres réclament des réformes urgentes du droit d’auteur, afin de supprimer les obstacles à l’éducation de qualité pour toutes et tous et de garantir l’accès des enseignant·e·s et des étudiant·e·s aux ressources d’apprentissage qui leur sont nécessaires.
En Afrique du Sud et dans bon nombre d’autres pays, en raison de lois restrictives en matière de droit d’auteur, il est devenu difficile, voire illégal, pour les enseignant·e·s d’adapter le matériel pédagogique aux élèves en situation de handicap, d’utiliser des contenus numériques dans leurs classes ou d’élaborer des programmes d’études décolonisés.
À l’occasion de la Conférence sur le droit d’auteur et l’intérêt public, coparrainée par l’Internationale de l’Éducation et organisée du 3 au 6 février au Cap, les syndicats membres de l’IE − South African Democratic Teachers Union (SADTU), National Professional Teachers’ Organisation of South Africa (NAPTOSA) et Kenya National Union of Teachers (KNUT) − se sont joints aux bibliothécaires, expert·e·s juridiques, universitaires, responsables politiques et créateur·rice·s, en vue de réclamer des lois équilibrées et flexibles en matière de droit d’auteur, qui soutiennent l’enseignement et le bien public, et non les intérêts des entreprises.
L’un des principaux volets de la conférence était centré sur le projet de loi visant à modifier la législation en matière de droit d’auteur (South Africa’s Copyright Amendment Bill − CAB), reporté depuis des années malgré son potentiel de rendre les lois sud-africaines réglementant le droit d’auteur conformes aux bonnes pratiques mondiales.
Ai-je commis un délit pour avoir utilisé cette chanson en classe ?
Dans son allocution d’ouverture, Mugwena Maluleke, président de l’Internationale de l’Éducation et secrétaire général du SADTU, a souligné le besoin urgent de décoloniser l’enseignement et de lever les obstacles en matière de droit d’auteur empêchant les enseignant·e·s de dispenser un enseignement inclusif et de qualité.
Évoquant sa propre enfance dans la province rurale du Limpopo, Mugwena Maluleke a rappelé que lui et ses camarades ont été contraint·e·s de suivre un enseignement en anglais, et plus tard en afrikaans, et ont donc été privé·e·s du droit à l’éducation dans leur propre langue − un des nombreux moyens utilisés historiquement en Afrique du Sud pour restreindre l’accès à la connaissance. Ces mêmes barrières systémiques persistent aujourd’hui encore à travers les lois relatives au droit d’auteur qui empêchent les enseignant·e·s d’accéder à des contenus pédagogiques et de les adapter.
Comme le souligne Mugwena Maluleke : « Le droit à l’éducation est un droit humain fondamental. Nos enseignants et enseignantes ne peuvent être criminalisés pour avoir voulu offrir un enseignement de qualité à nos enfants. Malheureusement, les lois régissant le droit d’auteur pour l’enseignement sont souvent trop restrictives : elles créent des obstacles pour les enseignants et les enseignantes et compromettent le droit à l’éducation. »
Le président a clôturé son discours par une anecdote personnelle à propos de l’utilisation de la musique en classe pour enseigner les mathématiques : « Ai-je commis un délit pour avoir utilisé cette chanson en classe ? », se demandant si cette méthode d’enseignement innovante doit être considérée comme un délit en vertu des réglementations actuelles du droit d’auteur.
Le système restrictif des droits d’auteur en Afrique du Sud
Les participant·e·s aux nombreux débats de la conférence ont souligné que l’Afrique du Sud demeure l’un des pays les plus restrictifs en ce qui concerne les exceptions au droit d’auteur pour l’enseignement, la recherche et le patrimoine culturel. Tobias Schönwetter, directeur du département dédié à la propriété intellectuelle à l’université du Cap, a ouvert les débats en soulignant que le projet d’amendement de la loi sur le droit d’auteur n’introduisait pas de changements radicaux dans la mesure où beaucoup de pays ont déjà mis en place des dispositions pour une utilisation équitable des œuvres :
« Ce projet d’amendement ne constitue en rien une nouvelle approche radicale du droit d’auteur. Bon nombre de pays dans le monde s’appuient déjà sur le principe de l’utilisation équitable des œuvres. Il a été démontré en long et en large que ce principe permet d’assurer un équilibre entre les droits des personnes qui créent des contenus et celles qui les utilisent. Par conséquent, ne perdons pas notre temps en discussions inutiles : allons de l’avant. »
Au cours du débat « Constitutionnalité et urgence du projet d’amendement de la loi sur le droit d’auteur en Afrique du Sud », la vice-présidente du SADTU, Faseega Solomon, a pointé la frustration des enseignant·e·s qui cherchent à accéder à des informations, face à des cadres obsolètes en matière de droit d’auteur qui privilégient les intérêts commerciaux :
« Les enseignants et enseignantes se disent frustrés en raison du manque d’accès à l’information. Les cadres de réglementation du droit d’auteur actuels privilégient les intérêts commerciaux au détriment des besoins éducatifs au sein de notre société. Un système plus flexible nous permettrait d’améliorer considérablement l’accès aux ressources d’apprentissage et d’enseignement. »
De même, Hesbon Otieno (KNUT) a insisté sur la dimension mondiale du problème, soulignant que les lois restrictives en matière de droit d’auteur dans de nombreux pays limitent la capacité des enseignant·e·s à adapter ces matériels en vue de pouvoir répondre aux besoins de leurs élèves :
« À l’échelle mondiale, notamment en Amérique latine et en Afrique, nous constatons que les lois réglementant le droit d’auteur privent les enseignants et enseignantes de moyens importants pour enseigner. Elles limitent leurs possibilités d’adapter les ressources pour les élèves et de leur offrir un enseignement de qualité. »
Décoloniser l’enseignement : accéder aux savoirs africains et les protéger
Au cours du débat « Systèmes de connaissances et égalité des savoirs », les discussions portant sur le droit d’auteur ont mis en exergue l’importance de protéger les savoirs autochtones et traditionnels.
Les intervenant·e·s ont exprimé leurs inquiétudes face à la réappropriation abusive des savoirs autochtones, remettant en question les entités qui les contrôlent. Les intervenant·e·s ont souligné que les systèmes de transmission orale des savoirs sont souvent incompatibles avec les lois régissant la propriété intellectuelle en Occident, principalement parce que ces connaissances sont rarement matérialisées dans des ouvrages écrits et que les conditions autorisant l’accès à ces ressources sont différentes. La souveraineté des données autochtones a été mise en avant comme étant une notion essentielle, permettant de garantir que ces connaissances resteront accessibles et protégées selon des modalités respectueuses des systèmes de gouvernance des savoirs autochtones.
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Politiques mondiales en matière de droit d’auteur et lutte pour une réglementation équitable
Lors de la table ronde de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) consacrée au droit d’auteur, les intervenant·e·s ont critiqué la trop lente progression des réformes internationales en matière de droit d’auteur, pouvant s’avérer profitables à l’enseignement, à la recherche et aux organisations du patrimoine culturel. Les participant·e·s ont rappelé que, souvent, les monopoles industriels internationaux interfèrent dans les réformes nationales du droit d’auteur, empêchant les gouvernements de mettre en place des politiques accordant la priorité aux intérêts publics.
Stephen Wyber, directeur des politiques et du plaidoyer au sein de la Fédération internationale des associations de bibliothèques (IFLA), a fait remarquer que les exceptions au droit d’auteur demeuraient facultatives au niveau international, conduisant à un patchwork de politiques qui, souvent, excluent les enseignant·e·s. Il a exprimé ses inquiétudes concernant le coût sociétal qu’engendre le report des réformes du droit d’auteur en faveur des intérêts commerciaux : « Quel est le coût de l’absence d’accès aux ressources et de leur non-utilisation ? Une perte pour l’enseignement, la recherche et le patrimoine culturel. »
Les discussions ont également abordé le droit d’auteur dans le cadre des travaux et formations générés par l’intelligence artificielle (IA). Les intervenant·e·s ont souligné que les pays industrialisés s’appuient déjà sur leurs lois relatives au droit d’auteur pour former des modèles d’IA, alors que la formation de l’IA en Afrique reste à la traîne en raison de réglementations du droit d’auteur obsolètes entravant des opportunités essentielles pour l’innovation et la recherche.
Les artistes, les étudiant·e·s et les personnes handicapées sont également touché·e·s
Au-delà des salles de classe, les réglementations restrictives en matière de droit d’auteur ont également un impact sur les artistes, les étudiant·e·s et les personnes porteuses d’un handicap, creusant davantage encore le fossé des inégalités.
La musicienne sud-africaine Mercy Pakela a fait part de son expérience du contrôle des entreprises sur ses créations musicales : bien qu’elle se déclare favorable à l’utilisation de la musique par les enseignant·e·s à des fins pédagogiques, elle n’a jamais été la principale bénéficiaire de ses œuvres artistiques, les intermédiaires de l’industrie musicale continuant à tirer profit de ses plus grands succès.
Claudia Blum (Blind South Africa) a également soulevé la question des obstacles auxquels sont confrontées les personnes malvoyantes qui souhaitent accéder à du matériel de lecture, limitant ainsi leurs possibilités de s’intéresser à des domaines tels que la musique, l’histoire ou les sciences. Elle a déclaré :
« Si je n’avais pas eu la possibilité d’accéder au matériel de lecture tel que je l’ai fait, je n’aurais pas pu continuer à m’intéresser à la musique et à l’histoire. »
Rappelant l’importance de la formation au droit d’auteur en tant que tel, Hema Hariram (NAPTOSA) a souligné que les jeunes élèves intégraient souvent sur le marché du travail sans connaître leurs droits, les amenant à signer des contrats restrictifs limitant leur potentiel créatif et économique :
« Les jeunes élèves sont également des créateurs et des créatrices, qui conçoivent du matériel artistique et numérique dans leurs établissements scolaires et, par la suite, dans leurs environnements professionnels. Il est indispensable de les former au droit d’auteur afin de leur éviter de signer des contrats restrictifs. »
L’IE appelle à une action immédiate : l’Afrique du Sud doit montrer l’exemple
L’Internationale de l’Éducation et ses organisations membres sud-africaines − SADTU et NAPTOSA − demandent au président Cyril Ramaphosa de signer sans délai le projet d’amendement de la loi relative au droit d’auteur.
Ce projet d’amendement a suscité une forte opposition dans les rangs des groupes de pression liés aux multinationales, malgré sa conformité avec les bonnes pratiques mondiales et l’équilibre qu’il assure entre les droits des personnes qui créent des contenus et celles qui les utilisent. En l’absence de lois garantissant une utilisation équitable des œuvres, les enseignant·e·s, les chercheur·euse·s et les étudiant·e·s en Afrique du Sud se voient contraint·e·s de fonctionner dans une sorte de flou juridique limitant leur accès à la connaissance et portant préjudice à l’éducation de qualité.
Les revendications majeures de l’IE reflètent le besoin urgent de mettre en place un système de droit d’auteur qui protège le droit à l’éducation et fournit aux enseignant·e·s les moyens nécessaires, plutôt qu’un système qui limite leur accès aux connaissances et leur utilisation en classe. Les enseignant·e·s doivent avoir la possibilité d’utiliser et d’adapter des ressources, afin de pouvoir assurer un enseignement inclusif et de qualité sans crainte de répercussions juridiques. Leurs voix doivent être prises en compte dans les réformes du droit d’auteur, afin de garantir que les politiques répondent aux véritables besoins dans les classes.
D’autre part, une formation et des ressources adéquates doivent être proposées aux enseignant·e·s pour leur permettre d’appréhender efficacement les réglementations en matière de droit d’auteur. À l’échelon mondial, les traités internationaux de l’OMPI demeurent essentiels pour faire avancer les réformes nationales et protéger la collaboration transfrontalière pour l’enseignement et la recherche, en veillant à ce que les connaissances restent accessibles à tout un chacun.
Le plaidoyer de l’IE en faveur d’une réglementation équitable du droit d’auteur ne s’arrête pas là. Les discussions concernant les réformes indispensables du droit d’auteur, notamment les exceptions et limitations pour l’enseignement et la recherche, se poursuivront lors de la prochaine réunion du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI. Pour de plus amples informations concernant cette réunion, cliquez ici.
Pour en savoir plus sur le travail de l’IE dans le domaine du droit d’auteur et de l’éducation, cliquez ici.